Il aurait eu 100 ans en 2025. Cent années pleines d’une créativité inassouvie dont il laissera l’empreinte indélébile sur le patrimoine culturel libanais. Mansour Rahbani, poète, philosophe, compositeur et producteur, aura, à travers son art, embrassé la cause des opprimés, des laissés-pour-compte et aurait eu encore beaucoup de pain sur la planche. L’homme était visionnaire. Le poète pluridisplinaire. Avec son frère Assi, il a façonné le théâtre et la musique de la belle époque, mais aussi celle des conflits et tensions extrêmes dans une région que le répit peine à atteindre. Sur une initiative personnelle où le grand absent reste l’État, ses 3 fils, Oussama, Ghady et Marwan ont, de concert avec Henri Zogheib, poète et directeur du centre du patrimoine libanais à l'université LAU – qui était très proche de Mansour –, organisé tout un cycle d’activités à l’occasion du centenaire de sa naissance.
Mansour Rahbani, le visionnaire de la scène et de la musique orientales
Mansour Rahbani a vu le jour le 17 mars 1925 à Antélias, quelque 12 mois après la naissance de son frère aîné Assi. Tous deux grandissent comme de véritables jumeaux et nouent des liens indéfectibles au sein d’une famille de 6 enfants, issue d’un village du Nord, Rahbé d’où le nom Rahbani. Le père Hanna Assi el-Rahbani était propriétaire de restaurants, et les 2 aînés lui donnaient un coup de main en faisant le service. Il avait prévu à leur endroit un grenier où ils dormaient et écoutaient leur père jouer sur son bouzouk les chansons de Sayed Darwich et Abdelwahab, après le départ de la clientèle. Une enfance entre musique et scènes de la vie quotidienne qui « va nourrir leur inspiration pour l’essentiel de leurs œuvres », raconte Henri Zogheib. Le père décède le soir de Noël 1944 laissant quasiment la responsabilité du foyer à Assi et Mansour qui sont alors forcés de travailler. Mansour intègre la police de Beyrouth. «Au lieu de rédiger des procès-verbaux, Mansour, beau gosse et coureur à l’époque, écrit des poèmes qu’il déclame aux jeunes filles qu’il courtise», s’amuse Henri Zogheib. Vers 1945, le club Antélias est créé, et le duo Rahbani y produit ses pièces de théâtre. Un soir, un cadre de Radio Liban, Nicolas Abourousse, découvre le talent d’écriture des deux frères et décide de les faire venir à la radio. Petit bémol : Mansour est déjà employé du service public. Il démissionne de la police pour rejoindre son frère Assi au sein de l’institution. C’est d’ailleurs là-bas que Assi rencontrera Nouhad Haddad (Feyrouz). À partir de là, ils apposeront à leurs œuvres la signature Frères Rahbani et imposeront un thème rythmique nouveau qui déclenche des controverses. Leurs créations, enracinées dans les traditions musicales maronite, byzantine et folklorique, sont tout en dialogue avec la musique classique occidentale. Elles reflètent les aspirations et les luttes de la société arabe.
En 1957, le président Camille Chamoun leur confie l’inauguration du Festival de Baalbeck qui sera la pierre angulaire de la fulgurance d’une carrière qui se fera toujours à deux jusqu’au décès de Assi le 21 juin 1986. Mansour poursuivra une carrière en solo et signera 11 œuvres dont la première est Sayf 840 qu’il dédie à son frère Assi, 5 recueils de poésie, des chansons et des séries télévisées. « Le génie de Mansour, c’est sa dimension de grand poète et son esprit novateur », souligne Henri Zogheib.
« Mansour le père était un tendre très affectueux, mais il avait les pieds sur terre et savait garder cette distance nécessaire à l’autorité parentale », précise son fils Ghady qui ajoute qu’il était intransigeant et très strict quand il s’agissait de donner le meilleur de soi-même au travail. « Avec lui, rien n’était acquis. Jusqu’à son dernier souffle, il n’y avait aucune place pour la médiocrité, il fallait toujours mieux faire, tendre vers la perfection, mais nous étions très proches. C’était un homme au fait de tous les sujets qui se mélangeait avec toutes les catégories et tranches d’âge des gens », lâche Ghady qui confie que la leçon la plus importante que son père lui ait inculquée est l’humilité.
Un héritage qui se perpétue
Les poèmes, pièces et musiques de Mansour Rahbani, enseignés dans les universités les plus prestigieuses comme Harvard et la Sorbonne, continuent d'inspirer les nouvelles générations. Avec son ultime création, Le Retour du phénix, il a confirmé sa place d’esprit avant-gardiste qui a façonné l'identité culturelle arabe et rappelé au monde que l’art est une arme puissante pour transcender les frontières. Disparu le 13 janvier 2009, Mansour Rahbani restera une référence de la culture arabe. D’ailleurs, Abdelwahab a décrit son talent comme une révolution dans la musique orientale. Une myriade d’activités est prévue en 2025 pour rendre hommage à son héritage culturel. Neuf d’entre elles sont déjà confirmées et d’autres doivent suivre :
1. Une conférence en deux sessions l'après-midi du samedi 25 janvier au Salon littéraire de l'Institut Philokalia à Aintoura, avec des interventions de sœur Marana Saad, du journaliste Rafiq Khoury, du poète Suheil Matar, du père Youhanna Geha et de l'artiste Ghassan Saliba.
2. Une conférence en deux sessions au Centre du patrimoine libanais de l'Université libano-américaine (LAU) l'après-midi du lundi 17 mars 2025, avec des interventions du Dr Philip Salem (depuis Houston), de la journaliste Warda Zamel, du père Dr Badi' al-Hajj, du poète Abdul Ghani Taliss et du Dr Naji Kozaily.
3. sélection de plusieurs pièces de théâtre filmées de Mansour et leur projection dans divers centres culturels, notamment à Tripoli (Centre al-Safadi), Beyrouth (Centre culturel français), Zahlé (Palais municipal), Ajaltoun (Centre culturel municipal), ainsi que dans d'autres centres culturels à travers le Liban.
4. La réédition des cinq recueils de poésie de Mansour : Je suis l'autre étranger, Je pérégrine solitaire en souverain, Les Châteaux d'eau, Le Marin de l'hiver, et Les Poèmes premiers, publiés par les éditions Sair al-Machreq.
5. La création d'une page spéciale sur la chaîne « YouTube Mansour Rahbani », pour suivre l'évolution des programmes et annoncer ceux à venir durant l'année du centenaire.
6. Le lancement d'un oratorio symphonique avec chant choral et solo, composé musicalement par Oussama Rahbani, basé sur les poèmes de Mansour dans son recueil Je pérégrine solitaire en souverain, avec la sortie de l'oratorio sur un CD.
7. La préparation d’une série d'épisodes télévisés sur des chaînes libanaises et arabes concernant Mansour et ses œuvres.
8. Le ministère de l'Éducation publiera une circulaire demandant aux écoles publiques de participer à des programmes sur les frères Rahbani et sur Mansour.
9. Une table ronde spéciale dans le cadre des activités de la Foire du livre libanais (mars 2025) organisée par le mouvement culturel à Antélias.