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Culture - Livre

De l’effervescence de la nuit beyrouthine aux street artists de la place Tahrir, Hajar Azell écrit les révolutions arabes

De Beyrouth à Oran, le deuxième roman de l’écrivaine franco-marocaine nous plonge dans le bouillonnement du printemps arabe, sur les traces d’Alice, journaliste franco-algérienne appelée à couvrir le Proche-Orient.

De l’effervescence de la nuit beyrouthine aux street artists de la place Tahrir, Hajar Azell écrit les révolutions arabes

L’écrivaine franco-marocaine Hajar Azell. Photo Gallimard

Hajar Azell, née à Rabat en 1992, arrive à Paris en 2010 pour y faire ses études. Une trajectoire qu’elle ne cesse d’accomplir depuis dans un sens puis dans l’autre. Comme les personnages de ses romans (deux à ce jour, publiés dans la prestigieuse collection blanche des éditions Gallimard), Hajar Azell appartient à la Méditerranée. Elle la traverse en permanence, portée d’une rive à l’autre par son imaginaire, mais aussi par ses nombreux projets journalistiques et littéraires.

Tout commence par le webmagazine Onorient, qu’elle rejoint en 2013, alors qu’elle est encore étudiante : frustrée de voir le monde arabe couvert dans les médias français sous un angle strictement politique et sécuritaire, elle cofonde un média qui vise à célébrer le bouillonnement culturel de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient. De Beyrouth à Casablanca, elle part à la rencontre de la scène artistique arabe contemporaine.

En 2021, son premier roman, L’envers de l’été, est situé dans un village méditerranéen sans nom, symbole du pays des origines que les descendants d’immigrés retrouvent le temps des vacances. Dans L’envers de l’été, le politique est lié à l’intime : il n’y est pas question de grandes révolutions ou de tournants historiques. Mais les tabous et les interdits sociétaux laissent une marque secrète sur les vies et les corps des personnages. Hajar Azell change de parti pris pour son deuxième roman : Le sens de la fuite, lui, nous confronte à l’histoire en train de se faire.

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Retour littéraire sur le printemps arabe

Près de quinze ans après le début des soulèvements populaires, Le sens de la fuite nous plonge dans le tumulte des printemps arabes. Une période cruciale pour l’éducation politique de Hajar Azell. Elle explique : « Ce début des années 2010 m’a beaucoup marquée. Je venais d’arriver en France, j’avais dix-huit ans. Je ne comprenais pas tout, mais je me souviens de certains détails : regarder la télévision française et entendre Michèle Alliot-Marie, alors ministre des Affaires étrangères, proposer de soutenir la police tunisienne face aux manifestants en leur offrant le « savoir-faire français ». Mes amis faisaient partie de cette jeunesse active et contestataire. Auprès d’eux, j’ai acquis une culture politique et un vocabulaire militant que je n’avais pas. J’ai mis du temps à comprendre combien cela m’avait marquée, même sans être encartée. Et à comprendre qu’un projet comme Onorient, avec son emphase sur la culture contemporaine arabe, était profondément politique. » Et le roman foisonne de clins d’œil à la vie culturelle de l’époque : de l’effervescence de la nuit beyrouthine aux street artists de la place Tahrir, en passant par une radio féministe palestinienne.

Le sens de la fuite n’est pourtant pas un roman historique. Encore moins un bilan des révolutions arabes : « Je n’aime pas les bilans, je préfère montrer la vie de ces années. La sentence de l’échec des révolutions m’a toujours énervée. Ce n’est pas le genre de changements qui se passe en une génération. » Ce roman, Hajar Azell le porte donc en elle depuis une décennie et l’aventure Onorient : « Il me fallait trouver une pulsion romanesque pour écrire cette histoire. » Elle finit par la trouver dans le personnage d’Alice, journaliste née en France de parents algériens, ambitieuse, travailleuse et passionnée, qui couvrira le monde arabe du Liban à l’Algérie, en passant par l’Égypte et la Syrie en guerre.

Une reporter franco-algérienne face à ses propres contradictions

Il était important, pour Hajar Azell, de se choisir un alias romanesque qui la pousse à réfléchir à sa propre position d’autrice : « Comment raconte-t-on un événement historique ? Il y a toujours un biais qui vient du journaliste, du média ou du pays. Dans nos régions, les regards des journalistes locaux croisent ceux des journalistes internationaux. » Arabophone et d’origine algérienne, Alice, la protagoniste, n’en demeure pas moins une journaliste française qui doit vendre ses articles aux médias européens : « Ça m’intéresse de choisir des personnages dominants pour nuancer mon regard. Je suis extrêmement exigeante lorsqu’il s’agit de raconter des endroits minorés dans la littérature. Il était important qu’on puisse avoir accès aux doutes d’Alice. » Car Alice est sans cesse taraudée par la question de son appartenance, ramenée à son étrangeté par les personnages qu’elle rencontre au cours de ses voyages. Sa pulsion de fuite ne fait que l’éloigner de ce mirage qu’est le « chez-soi ». Hajar Azell explique : « Alice est une antihéroïne qui, par ses doutes, va laisser la place à d’autres personnages. » Parmi ceux-ci, Bassem, journaliste égyptien resté sur place, véritable héros du roman. À travers lui, Hajar Azell réfléchit à la figure des « fixeurs » qui aident les reporters internationaux en leur fournissant des informations et des contacts : « Ce sont eux qui prennent le plus de risques. Ils ont des lignes rouges et sont soumis à une censure plus féroce. » L’autrice, qui dédie son roman à Shireen Abu Akleh, journaliste palestinienne assassinée par les forces israéliennes en 2022, écrit dans ce roman un hommage aux journalistes arabes : « On pense à la guerre de l’information qui a lieu à Gaza, par exemple. Les journalistes locaux ne sont pas forcément pris au sérieux, et on attend que leurs homologues internationaux débarquent pour les croire. »

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Trajectoires de fuite croisées

À travers les failles d’Alice, une foule de personnages s’immisce dans le récit pour lui donner son intensité et son éclat. De retour à Paris, elle rencontre Ilyes, un jeune migrant qui vient d’accomplir la même trajectoire que celle de son propre père, des décennies plus tôt : quitter Oran pour la France. Alice appartient à cette deuxième génération de migrants, brûlant de connaître le monde que leurs parents ont quitté. Pour connaître ses origines, elle effectue le chemin inverse. Ainsi se croisent, au-dessus de la Méditerranée, ceux en quête d’appartenance et ceux en quête d’une vie meilleure. Une chorégraphie migratoire que le roman de Hajar Azell met en mouvement : « Ce qui m’intéresse, c’est de faire résonner la fuite en avant d’Alice avec celle, plus pratique, plus brûlante, d’Ilyes, qui a une force de joie. » Et elle cite son amie, l’écrivaine Asya Djoulaït : « Le sens de la fuite dépend de la couleur du passeport. »

Hajar Azell, née à Rabat en 1992, arrive à Paris en 2010 pour y faire ses études. Une trajectoire qu’elle ne cesse d’accomplir depuis dans un sens puis dans l’autre. Comme les personnages de ses romans (deux à ce jour, publiés dans la prestigieuse collection blanche des éditions Gallimard), Hajar Azell appartient à la Méditerranée. Elle la traverse en permanence, portée d’une rive à l’autre par son imaginaire, mais aussi par ses nombreux projets journalistiques et littéraires.Tout commence par le webmagazine Onorient, qu’elle rejoint en 2013, alors qu’elle est encore étudiante : frustrée de voir le monde arabe couvert dans les médias français sous un angle strictement politique et sécuritaire, elle cofonde un média qui vise à célébrer le bouillonnement culturel de l’Afrique du Nord et du...
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