
Des constructions s'élèvent déjà dans cette région très sensible autant écologiquement que culturellement. Photo envoyée par le Comité libanais pour la sauvegarde de Tyr
Cela fait plusieurs semaines que des travaux sur des terrains à Tyr, dont l’un adjacent à la réserve naturelle marine, soulèvent un tollé auprès de nombreux activistes, qui craignent pour le site côtier, dont la zone tampon (de protection) est déjà touchée par les excavations. Mais le Comité libanais pour la sauvegarde de Tyr met, lui, en garde contre un danger supplémentaire dans cette zone dite du « Jiftalik » et de la réserve naturelle : la présence de sites archéologiques encore non fouillés, dont l'un des trois ports phéniciens que compte cette cité millénaire du Liban-Sud.
Des trésors inestimables et qui devraient être absolument préservés, affirme l’association, qui exige, dans une note envoyée aux ministères concernés, « l’arrêt immédiat des travaux » et « l’examen approfondi des contrats, documents et plans » en vue d’une décision finale qu’elle recommande être « l’annulation du projet dans sa forme actuelle ». Elle rappelle également que ce projet de construction est situé sur des terrains appartenant à l’État libanais et réservés au ministère de la Défense pour des activités à caractère militaire.
Interrogée, une source du ministère de la Culture répond simplement s'être « saisie du dossier », tout comme la Justice. Au moment de publier cet article, nous n’avions pas pu contacter la Direction générale des antiquités (DGA) pour la sonder sur les risques encourus.
Un projet « à caractère commercial »
De leur côté, les activistes de la région sont nombreux à souligner le danger de ces travaux qui ne se sont interrompus que durant les pires mois de la dernière guerre entre Israël et le Hezbollah, c’est-à-dire entre le 23 septembre et le 27 novembre 2024. Une fois le cessez-le-feu entré en vigueur, et alors que la ville pansait encore ses plaies, les bulldozers ont repris leur travail. Une plainte déposée auprès de la juge des référés de Tyr par les Green Southerners, une association écologique, a toutefois donné ses fruits : la juge Yolla Ghotaïmi a ainsi décrété l’arrêt des travaux le 14 mars, et nommé un expert environnemental pour inspecter les lieux.
Mais le répit pourrait n’être que de courte durée, et les risques ne se limitent pas à l’environnement, rappelle le comité. Dans sa note aux décideurs, ce dernier souligne que ce projet n’est nullement réservé à l’armée, comme il a été insinué plus d’une fois (notamment par Hassan Dbouk, président du conseil municipal de Tyr que nous avions interrogé dans le cadre d'un précédent article), bien qu’il compte un club des officiers. Situé sur près de 400 000 m², le projet s'étale sur sept parcelles, dont celle jouxtant la réserve. Les constructions sont principalement commerciales, a appris le comité, ce qui « rend injustifié le secret qui entoure les documents et les cartes, sous prétexte que le projet concerne le ministère de la Défense ».
Citant de « rares informations fiables », le comité ajoute que « le ministère de la Défense aurait conclu un accord de type BOT » avec une société privée qui lui accorderait « le droit d’exploiter ces parcelles en y construisant environ 150 commerces, restaurants, appartements et bâtiments commerciaux, ainsi qu’un club pour officiers, exploitables sur 28 ans ». Contacté précédemment, le ministre de la Défense, Michel Menassa, n'a pas donné suite à nos sollicitations.
« L’un des aspects les plus préoccupants du projet est la demande déposée auprès de la municipalité de Tyr pour la construction d’un pont piétonnier reliant le projet au littoral de la réserve naturelle », poursuit la note du comité. Ce passage serait situé face à la zone de la plage strictement interdite à toute activité, sauf à des fins de recherche scientifique et de protection de l’environnement.
Le troisième port
Outre le fait que ce projet fonctionne sans étude d’impact environnemental (ce qui nous avait été confirmé par la ministre de l’Environnement,Tamara el-Zein, qui s’apprêtait à signer elle-même la requête), il n’aurait été soumis à aucune institution concernée par le patrimoine. Pour comprendre les enjeux patrimoniaux d’une poursuite de ces travaux, il faut revenir à l'an 2000, date à laquelle l’Association internationale pour la sauvegarde de Tyr avait convié une équipe internationale pluridisciplinaire pour étudier les fonds marins dans cette partie de la ville, dirigée par Honor Frost, pionnière de l’archéologie sous-marine.
Les études ont mis au jour la présence de vestiges de trois ports antiques phéniciens qui caractérisaient la puissante ville de Tyr avant sa conquête par Alexandre le Grand (332 av. J.-C.). Le port nord était situé à la place de l’actuel port de pêche de Tyr, mais il était deux fois plus grand. Le port sud était dans l’actuelle région de Ras el-Jamal et portait le nom d’« égyptien » car témoin des relations entre les Phéniciens et l’Égypte antique. Le troisième, appelé Paléa-Tyr, se trouve principalement sous la réserve, enseveli sous des couches de sable, et constituait le point reliant la terre ferme à l’île de Tyr (celle qui devait devenir plus tard une presqu’île). C’est les vestiges de ce port qui seraient en danger du fait de ce projet, craint Maha Chalabi, présidente du Comité libanais pour la sauvegarde de Tyr.

« Faire ressortir les vestiges de ces trois ports mettrait Tyr sur la carte des villes patrimoniales les plus importantes du monde », affirme-t-elle. Dans un article datant de 2007 pourtant, et suite aux études effectuées début 2000 par l’équipe d’Honor Frost, Christophe Morhange, de l’Université d’Aix-en-Provence, avec son coauteur Nick Marrinier, proposaient « des modifications du plan directeur d’urbanisme de Tyr prenant mieux en compte la richesse du patrimoine archéologique et du milieu naturel, éléments indispensables à un développement durable de cette métropole du Liban-Sud en voie de croissance accélérée ». C'est la voie inverse qui a, depuis, été privilégiée.
Infractions vs actions entreprises
Le comité note aussi plusieurs infractions : sur le plan archéologique, la majorité des parcelles sont inscrites à l’inventaire national des bâtiments historiques (ce qui impose des contraintes très strictes à toutes sortes de constructions), alors que sur le plan environnemental, le projet empiète sur la zone tampon de la réserve naturelle.
Sur un plan légal, poursuit le réquisitoire du comité, le projet est en violation de plusieurs lois : celle des biens publics qui exige une autorisation de l’État pour l’occupation temporaire des biens publics ; celle des antiquités, qui requiert une autorisation de la DGA pour les travaux sur des terrains placés sur l’inventaire national ; celle des zones protégées qui interdit l’empiétement sur la zone tampon des réserves ; celle du décret sur les études d’impact environnemental, puisqu'aucune étude de la sorte n’a été entreprise ; celle du plan directeur de la ville de Tyr, qui exige une approbation préalable du ministère de la Culture pour tout projet dans la région ; celle des marchés publics, puisque le projet n’y a apparemment pas été soumis ; et celle de l’accès à l’information, puisqu’aucune personne ayant fait la demande de consulter les contrats et les plans du projet n’y a eu accès jusque-là.
Le comité a également notifié l’Unesco de ce projet en cours, puisque les vestiges de Tyr sont inscrits sur la liste du patrimoine mondial. Déjà en 1999, le bureau du patrimoine mondial de l’Unesco avait recommandé d’éviter une densification encore plus importante de la vieille ville de Tyr, de créer une zone tampon autour des vestiges, conformément à la Convention de 1972 pour les sites inscrits sur la liste, et d’effectuer des prospections et des sondages bien en amont de toute opération de construction. Une pétition est par ailleurs en circulation en vue de permettre aux défenseurs du patrimoine d'alerter les autorités sur les risques de perdre des sites uniques.
Pendant des décennies, ces fossoyeurs de notre républiques se sont pris pour les propriétaires du pays. Ils ont acheté tous les politiciens véreux afin de détruire notre patrimoine. L’heure des comptes est arrivée et il ne faut pas trembler pour les punir à hauteur de leurs délits afin que ça serve de leçons à tous ceux qui lorgnent sur nos richesses culturelles et naturelles sur un mal entendu.
11 h 07, le 08 avril 2025