Que peut donc faire le monde pour stopper la furie meurtrière de Benjamin Netanyahu que l’on voit s’acharner inlassablement sur Gaza ? Cela fait 17 mois que la question moisit sur le tapis sans susciter la moindre ébauche de réponse. Voici maintenant qu’elle n’est plus guère qu’une vue de l’esprit, charitable sans doute ; mais d’une terrifiante inanité.
L’espace d’une nuit d’enfer, l’aviation israélienne vient inopinément de tuer sous ses bombes plus de 400 Palestiniens à Gaza, dans leur immense majorité des civils. L’ONU a tempêté, un vaste concert de protestations a bien ponctué cette massive violation de la trêve de janvier dernier et certaines capitales ont même crié au génocide. Mieux encore, les familles des otages israéliens détenus à Gaza sont allées jusqu’à sommer Netanyahu d’arrêter de sacrifier leurs proches pour se maintenir coûte que coûte au pouvoir. Fort bien que tout cela, mais ensuite ?
Ensuite rien jusqu’à nouvel ordre hélas ! Car il n’existe précisément plus d’ordre international, parce que tous les anciens mécanismes de régulation des relations entre États ou peuples ne sont plus que souvenir. De ce naufrage est grandement responsable la première superpuissance mondiale. Le fatal processus avait commencé avec un vacillant Joe Biden impuissant à trancher entre ses engagements envers Israël et ses timides, ses flottantes réserves face à l’ampleur du massacre. C’est cependant Donald Trump qui s’est chargé de finir le job, comme il aime si bien dire. Durant son premier mandat déjà, Trump disposait impérialement des territoires d’autrui pour faire cadeau à l’État hébreu de Jérusalem et du plateau syrien du Golan. Non content de lorgner le Groenland ou Panama, c’est d’une bande de Gaza brillant de tous ses néons, mais nettoyée de sa population légitime, qu’il rêve maintenant de prendre possession. Dans son obstination à faire table rase de tous ces dogmes que l’on continue, de nos jours, d’enseigner à Sciences Po, il n’oublie pas de fouler aux pieds les règles élémentaires de la diplomatie en rudoyant et humiliant son hôte ukrainien sous le regard des caméras de télévision rameutées pour la circonstance. Et de sa conversation téléphonique avec Poutine il fait un événement médiatique planétaire, alors même qu’il endosse sans la moindre gêne, en Ukraine comme en Palestine, ce blasphème universel qu’est toute acquisition de territoires par la force…
Le Hamas a choisi la guerre en refusant de libérer ses otages : par ce jugement sans appel qui ne retient pourtant qu’une part de vérité, la Maison-Blanche aura cautionné à fond la volonté proclamée d’Israël de poursuivre jusqu’au bout son offensive, sans égard pour les énormes pertes d’innocentes vies humaines. À en juger par l’hallucinant bilan d’une seule nuit de bombardements, voilà qui, à la longue, va ressembler de la plus hideuse des manières à une solution finale de la question de Gaza. En fallait-il vraiment autant à l’orgueilleuse démocratie américaine pour consoler de son échec l’émissaire présidentiel au Moyen-Orient Steve Witkoff, présent aux négociations de Qatar ?
Et puis que faut-il encore attendre, ou au contraire redouter, de cette méconnaissable Amérique ? Longtemps pris entre l’enclume iranienne et le marteau israélien, le Liban n’a pu certes que se féliciter du rôle que s’est arrogé Washington dans la supervision du cessez-le-feu. Les États-Unis sont en effet les seuls au monde en mesure de freiner les excès de leur allié israélien. Mais ils sont tout aussi capables d’exercer les pressions nécessaires en vue de réalisations diplomatiques autrement plus significatives que les accords d’Abraham : de viser à bien davantage qu’une cessation de l’état de guerre entre notre pays et Israël, comme on en prête la ferme intention au même Witkoff.
S’il est une chose, une seule, que le Hezbollah ait réussie en ouvrant un catastrophique front de soutien à Gaza, c’est d’avoir donné au Liban un sérieux avant-goût des horreurs de Gaza. C’est peut-être aussi d’avoir placé le pays face à des choix impossibles, car périlleusement prématurés. Pour l’heure, la milice n’a pas renoncé à entraver la pacification du Sud, suscitant des frappes israéliennes et retardant d’autant la fin de l’occupation ennemie ; elle n’est pas étrangère, de surcroît, aux échanges de tirs survenus à travers la frontière syrienne, et auxquels l’armée régulière, déjà accaparée, a dû riposter.
Face aux éventuels orages, c’est à cadenasser ses portes et baisser ses volets qu’est impérativement tenue la demeure libanaise.
Issa GORAIEB