
Anthony Khoury, alias Anthony Adonis, la voix et le visage du groupe Adonis. Photo Jad Abou Jaoudé/L’OLJ
C’est chez lui, dans son coin intime et chaleureux, que le chanteur compositeur Anthony Khoury, plus connu sous le nom d’Anthony Adonis, nous reçoit dans son petit duplex où ses (anciens) talents d’architecte se ressentent dans chaque détail. Quand il se présente avec certitude en disant, « je m’appelle Anthony Adonis », ce nom devenu comme une évidence l’identifie « naturellement », dit-il. « C’est ainsi que les gens m’appellent. J’aime la sonorité de ces deux noms, et puis ils ont la même racine grecque, Adon. J’ai trouvé ça facile, amusant… » Bien que le chanteur ait vécu en banlieue de Beyrouth, à… Adonis, justement, après avoir grandi en Arabie saoudite, son amour pour Beyrouth est infini et présent dans de nombreux titres qui ont fait le succès du groupe Adonis. « J’ai découvert cette ville lorsque je me suis inscrit en fac d’architecture. J’ai débarqué comme un étranger qui arrive dans une nouvelle ville, avec un regard neuf. J’ai vite été happé par son architecture, sa diversité, sa night life, sa beauté. Beyrouth a été au centre de mes études, aussi. » Men shou btechki Beirut ? chantait-il déjà en 2013…

14 ans plus tard
Après quelques années où le groupe se cherchait, se défaisait pour mieux se (re)faire, le quatuor final, constitué d’Anthony Adonis (voix et piano) Joey Abou Jawdeh (guitare), Nicola Hakim (batterie) et Gio Fikany (basse) a enfin trouvé son parfait rythme de croisière et une notoriété qui a dépassé le Liban, entre pop, électro, et surtout rock. « Du rock libanais, rock parce que c’est notre formation, une formation musicale rock traditionnelle composée de guitares, de basse, de batterie et de piano, et libanais parce que notre musique est faite par des Libanais pour des Libanais. »
Il a fallu des essais, des envies, des partages, de nouvelles inspirations, quelques erreurs , des concerts de plus en plus importants, au Liban et à l’étranger, et des réussites certaines pour enfin se sentir serein. Et heureux. « Les gens pensent toujours que le succès arrive du jour au lendemain, confie Anthony. Quand on me disait qu’il fallait au moins 10 ans pour se faire un nom, je trouvais ça trop long. Nous avons vécu deux périodes, de sept ans chacune. Dans la première on ne savait pas vraiment ce que l’on faisait, on se cherchait, on cherchait le son qui nous définirait. On découvrait, de même, la formation finale du groupe. Ce qui a changé, c’est que nous savons maintenant de quoi on a envie et ce qu’on a envie de dire. Et on a fini par comprendre les rouages de l’industrie. Ces années nous ont permis de nous développer graduellement. C’est tellement mieux de goûter au succès progressivement. Et c’est là, vers 2017, que notre carrière en tant que groupe a débuté avec la sortie de « Nour . C’est là que Gio a joint le groupe définitivement et qu’on a travaillé l’album avec les morceaux qui nous ont fait vraiment connaître sur les plans libanais et arabe. »
14 ans plus tard, le public s’est élargi et diversifié. Les adolescents qui connaissent leurs chansons par cœur et avec le cœur ont été rejoints par des trentenaires, « par leurs parents aussi », précise Anthony. « Et puis, notre public a grandi avec nous. C’est un privilège de se renouveler à travers eux. » 14 ans plus tard, plus souriant, plus charmeur, avec, toujours, cette légère mélancolie qui lui va bien, il avoue : « Aujourd’hui, je connais mieux la valeur du temps. Avant, j’avais hâte d’y arriver. Maintenant, le groupe peut prendre son temps pour développer chaque morceau. » Et de lâcher : « Je suis quelqu’un de très cérébral. Je vis beaucoup dans ma tête. Il y a quelques années, j’avais beaucoup de questionnements et de doutes. J’étais en plein changement de carrière. Je n’étais pas sûr si je devais continuer en architecture, ou arrêter et dédier mon temps à la musique. J’étais vraiment quelqu’un qui avait beaucoup, beaucoup, beaucoup de questions dans la tête, tout le temps. » En 2023, Anthony Adonis est tenté par une nouvelle expérience, réécrire pour Roy el-Khoury les chansons de la comédie musicale Chicago en arabe. C’était la première fois que je traduisais des chansons d’une autre langue en maintenant le sens au cours des adaptations. Mais c’était des adaptations plutôt libres puisque l’exercice consistait à s’emparer d’une mélodie déjà existante, et très réussie, et écrire de nouvelles paroles dessus et gardant le sens de l’histoire et en l’adaptant au Liban et aux circonstances particulières du pays. J’aimerais le refaire… » « D’ailleurs, précise-t-il, nos albums sont conçus comme des comédies musicales, avec des personnages, un thème et une histoire… »
2024, une année difficile
Comme pour la plupart des Libanais, usés par des traumatismes qui n’ont cessé de se superposer, 2024, pour Anthony, a été belle professionnellement–, leur dernier album, Hadith el Layl, a connu un franc succès et les concerts se sont multipliés, à Utrecht, Londres, Paris et Amman–, elle a également été longue et douloureuse, avec son lot d’angoisses et de guerres. « Je me souviens d’un moment en particulier, qui restera gravé dans ma mémoire : j’étais en Europe en novembre 2024, après deux mois de bombardements israéliens intensifs. J’avais décidé de rester là-bas mais 10 jours plus tard, j’ai été pris d’une impatience et j’ai préféré rentrer. Je ne voulais plus être loin de ma ville. En avion, nous étions une vingtaine de passagers à avoir pris cette décision dans une angoisse perceptible et collective. Durant ces 4 heures de vol, j’ai partagé avec ces inconnus un des moments les plus intenses et les plus beaux de ma vie. »

Au sujet de leur nouvel album intitulé Wedyan (vallées), leur 7e, constitué de 11 nouveaux titres , et dont la sortie est prévue le 10 avril, Anthony précise : « Cet album, que nous avons travaillé avec un producteur jordanien, est imprégné de nouvelles expériences musicales, un mix entre rock alternatif, des éléments de musique orientale, et des influences de RnB et de pop baroque. » Optimiste, comme il le résume, « nous l’avons conçu comme une excursion en montagne, une aventure solitaire au cœur de la nature. Au fond de la vallée, on traverse des moments d’angoisse, de doute et d’incertitude. Par contre, sur les hauts sommets, le monde est à nos pieds, et l’on se sent envahi par un optimisme et une joie de vivre. Cette excursion est une métaphore de ma propre vie durant ces deux dernières années. Une période difficile, marquée par la guerre et la violence, mais aussi, au niveau personnel, une prise en charge de mes émotions, et une confiance en moi toute nouvelle ».
Pour 2025 qui démarre bien avec, déjà, plusieurs concerts à l’affiche (trois dates au Moyen-Orient en avril, le Canada le 27 mai, Beyrouth cet été et l’Europe en octobre) et la sortie de ce nouvel album, Anthony Adonis souhaite « avoir la chance de continuer à faire ce métier que j’aime le plus au monde. M’exprimer à travers la musique, toucher les gens, découvrir de nouvelles destinations, de nouvelles villes, un nouveau public et faire des collaborations, c’est mon nouveau trip », conclut-il , en rajoutant : « Et puis, comme tout le monde, plus de bonheur, plus de santé et plus de musique, bien sûr », avant de se mettre au piano et, de sa voix à nouveau mélancolique, reprendre quelques notes de sa chanson « Istisna’i ». Pour notre plus grand bonheur.
Adonis en quelques titres
Daw el-baladiyyé (2011)
Men shou btechki Beirut (2013)
Nour (2017)
12 sa3a (2019)
Hadith el Layl (2022)
Wedyan (avril 2025)
Anthony en quelques questions
Un chanteur qui a influencé ta carrière ?
Ziad Rahbani
Un auteur ?
William Burroughs. Les thèmes qu’il aborde et son style d’écriture m’ont marqué.
Une personne ?
Ma grand -mère. Elle m’a encouragé à faire de la musique depuis que j’en ressentais l’envie, c’est-à-dire depuis un très jeune âge.
Un designer ?
Georges Hobeika, c’est lui qui nous habille. Il personnifie bien notre style musical et notre style, tout court.
Est-ce que le look est important pour toi ?
Oui, bien sûr. Il contribue à construire notre image de marque. C’est une extension de notre univers, au même titre que la musique bien sûr, et les vidéos, les photos, les illustrations.
Vous avez des produits dérivés, en vente sur votre site…
Nous concevons nous-mêmes nos propres produits dérivés. Parce qu’à la base, Joey et moi, sommes designers, et on s’amuse dans cet exercice. Notre contribution ajoute une touche personnelle aux vêtements et aux produits qu’on propose.
Votre rapport avec le succès ?
Le succès change la personne, mais moi, je ne suis pas dérangé par cette notoriété, être reconnu dans la rue, abordé. J’aime les gens. J’aime quand quelqu’un prend le temps de me dire que nous avons une influence positive sur sa vie. Je trouve ça très beau.
Bravo et bonne chance !
08 h 13, le 14 mars 2025