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Campus - RENCONTRE

Yves Thréard : L’IA ne remplacera jamais le talent du journaliste

Un échange exceptionnel s’est tenu le 17 février à l’USEK entre le directeur adjoint du « Figaro » et un public composé d’étudiants, de professeurs et de passionnés du monde médiatique autour du thème « Penser un journalisme d’intervention : un espace de dialogue, de médiation et de réflexion ».

Yves Thréard : L’IA ne remplacera jamais le talent du journaliste

Yves Thréard, éditorialiste et directeur adjoint de la rédaction du « Figaro » depuis 2000, aux côtés de la Dr Léa Yahchouchi, chef du département de traduction à l’USEK, pendant la conférence du 17 février. Photo USEK

Alors que le journalisme traverse une période de transformation profonde face à la montée en puissance de l’intelligence artificielle (IA) et du numérique, et que les réseaux sociaux diffusent des informations sans en garantir la véracité, comment concilier instantanéité et rigueur, indépendance et engagement, nouvelles technologies et valeurs journalistiques ? Autant de questions qui taraudent l’esprit de tout journaliste qui respecte son métier et auxquelles Yves Thréard, éditorialiste et directeur adjoint de la rédaction au Figaro depuis 2000, a répondu avec beaucoup de clarté au cours d’une conférence dirigée et animée par la Dr Léa Yahchouchi, chef du département de traduction à l’USEK, le 17 février. « Tout dépend du journaliste, de son talent et de son savoir-faire », affirme sans hésiter Yves Thréard, qui est également éditorialiste à BFMTV et chroniqueur sur la chaîne Public Sénat. « Il est évident que, dans le journalisme comme dans d’autres métiers, la révolution industrielle entraînera la disparition de certains emplois, mais elle en créera d’autres. C’est le principe de la destruction créatrice qui a accompagné toutes les révolutions industrielles. Et le journalisme ne fait pas exception »,

poursuit-il. Répondant à une question sur la menace que représente l’intelligence artificielle (IA) dans un monde où l’information circule de plus en plus vite, notamment avec l’essor des réseaux sociaux, M. Thréard estime que « l’IA ne remplacera jamais le talent et les connaissances d’un journaliste capable de transmettre l’information à son public ». « Il ne faut pas oublier que l’IA générative, celle qui crée du contenu, offre une analyse et une perspective très sommaires et ne remplacera jamais le travail de terrain, l’analyse et l’esprit critique du journaliste », martèle-t-il fermement. « C’est certes un outil utile, mais il faut arrêter de fantasmer là-dessus », ajoute-t-il, en insistant « sur la nécessité pour les futurs journalistes de se former aux nouveaux outils numériques, tout en restant attachés aux fondamentaux de leur métier : la vérification des sources, la rigueur et l’investigation ». Relevant le fléau que représentent « l’information virale sur Twitter/X et la montée des fake news, qu’il devient de plus en plus difficile de contrôler et de vérifier », M. Thréard admet qu’il est « très difficile de lutter contre ce phénomène pour contrôler l’information » et qu’« avoir recours à un cadre législatif plus strict ne suffira pas à régler ce problème ». « Avec la multiplication des médias, l’information circule à l’échelle mondiale avant même que son contenu ne soit vérifié », souligne-t-il. « Et c’est là que le vrai journaliste se démarque : en mettant en perspective l’information, en évaluant son importance, en vérifiant sa source et sa véracité. En un mot, en accomplissant ce travail de recherche et de vérification qui est le vrai rôle du journaliste. » Et d’ajouter : « Malheureusement, nous avons aujourd’hui des acteurs très puissants, à l’instar de

Google ou de certaines banques de données dirigées par des individus ou des sociétés privées sans lien avec le journalisme, qui interviennent dans le champ de l’information sans aucun contrôle. Ce sont des puissances phénoménales, capables de diffuser ce qu’elles veulent. Elon Musk, par exemple, pourra être demain le rédacteur en chef de la planète, et personne ne pourra l’arrêter (rires). Il est donc essentiel, aujourd’hui, de distinguer entre deux termes souvent confondus : le journalisme et la communication, qui sont deux métiers très différents. Le journalisme informe, cherche l’information, alors que la communication est une mise en scène de l’information qui rend celle-ci le plus séduisante possible. » Et évoquant les influenceurs sur les réseaux sociaux, il explique : « Ils influencent le public mais ne sont en aucun cas des journalistes qui informent leur public. » À la question de savoir comment Le Figaro gère la pression de l’instantanéité face à l’exigence de vérification des faits, M. Thréard affirme qu’aujourd’hui « Le Figaro n’est plus un journal mais un média global (...) On organise le journal en fonction du site internet, avec des papiers assez longs, parce que l’on a constaté que le public veut de plus en plus qu’on lui raconte des histoires. C’est donc une révolution interne qui commence avec le site internet. Le bouclage traditionnel des quotidiens est révolu et le papier n’est plus qu’une annexe de ce site ». Relevant par ailleurs le problème de « l’éditorialisation de l’information », il considère qu’elle « brouille la frontière entre faits et opinions », un phénomène particulièrement visible dans les débats télévisés et les chroniques journalistiques. « Cette évolution pose la question de la responsabilité des médias dans la construction du discours public et dans la perception des décisions politiques par les citoyens », affirme-t-il.

Engagement, indépendance et objectivité du journaliste

Le journalisme d’intervention dépasse la simple transmission d’informations pour jouer un rôle actif dans la société. Ce type de journalisme implique-t-il une prise de position objective ou doit-il se limiter à un rôle de facilitateur du dialogue ? « Il faut commencer par bannir un mot qui n’existe pas en journalisme : l’objectivité », lance d’emblée le directeur adjoint du Figaro en répondant à cette question. « Le journaliste est honnête avec ce qu’il a entendu, ce qu’il a enquêté et ce qu’il rapporte en estimant que c’est la réalité. Mais cela n’a rien à voir avec l’objectivité. Deux individus assistant au même événement ne verront pas la même chose. D’où l’importance de la pluralité des médias. » Soulevant la question de l’indépendance des journalistes, Yves Thréard rappelle que « la ligne éditoriale d’un média est souvent influencée par ses actionnaires et ses impératifs économiques, eux-mêmes liés à des intérêts politiques ou communautaires ». Il poursuit : « Lorsque vous travaillez dans un média qui appartient à un propriétaire ou un groupe de propriétaires puissants, si vous ne pensez pas comme eux ou que vous ne dites pas ce qu’ils souhaitent entendre, cela devient compliqué. Un constat particulièrement vrai en France, où les grands groupes financiers contrôlent une grande partie de la presse. Le véritable défi du journalisme aujourd’hui est donc de préserver une certaine liberté d’enquête et d’expression, malgré ces contraintes. » Puis ce fut au tour des étudiants sélectionnés par le département de journalisme et communication de poser leurs questions à M. Thréard, questions qui ont porté sur des thèmes variés, allant du journalisme d’opinion à l’avenir de la presse écrite, en passant par le rôle du journaliste dans les conflits internationaux et plus particulièrement la couverture médiatique des crises libanaises dans la presse française, souvent perçue comme insuffisante ou centrée sur des angles spécifiques. Yves Thréard reconnaît que, « bien que la France ait historiquement entretenu des liens privilégiés avec le Liban, son influence politique et médiatique dans la région a diminué ces dernières années ». Abordant la relation complexe entre les médias et la politique, M. Thréard met en lumière le rôle crucial des journalistes dans la couverture des crises, notamment en revenant sur la pandémie de Covid-19. Selon lui, la crise sanitaire a mis en évidence le rôle-clé des médias dans la formation de l’opinion publique, mais elle a aussi révélé les dangers d’une information trop rapide et parfois biaisée. En clôturant la session, Yves Thréard a tenu à adresser un message aux jeunes journalistes : « Soyez curieux, posez des questions, ne vous arrêtez jamais à la première version des faits. Exercez votre métier et éclairez les gens honnêtement. Votre rôle est de chercher la vérité, même quand elle dérange. » Une phrase qui a résonné dans l’auditorium, rappelant aux futurs professionnels que le journalisme est avant tout un engagement au service de la vérité et du public.


Alors que le journalisme traverse une période de transformation profonde face à la montée en puissance de l’intelligence artificielle (IA) et du numérique, et que les réseaux sociaux diffusent des informations sans en garantir la véracité, comment concilier instantanéité et rigueur, indépendance et engagement, nouvelles technologies et valeurs journalistiques ? Autant de questions qui taraudent l’esprit de tout journaliste qui respecte son métier et auxquelles Yves Thréard, éditorialiste et directeur adjoint de la rédaction au Figaro depuis 2000, a répondu avec beaucoup de clarté au cours d’une conférence dirigée et animée par la Dr Léa Yahchouchi, chef du département de traduction à l’USEK, le 17 février. « Tout dépend du journaliste, de son talent et de son savoir-faire », affirme sans hésiter Yves...
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