S‘il est bien vrai que la politique est l’art du possible, alors force est de constater que le Premier ministre désigné a réussi à exploiter au mieux les disponibilités du moment.
Mieux encore, Nawaf Salam a bousculé d’emblée, sinon invalidé, plus d’un de ces funestes axiomes qui n’ont cessé, ces dernières années, d’intoxiquer la vie politique libanaise. C’est en ce sens que le nouveau gouvernement formé samedi marque véritablement, en soi, un fort prometteur début de changement. En fait foi d’abord la cohorte de personnalités à l’expertise et à l’intégrité morale bien connues, qu’inclut cette équipe, même si nombre d’entre elles étaient proposées ou agréées par des partis. On peut se féliciter aussi du boisseau d’idées, elles-mêmes matière à sereine discussion, dont sont résolument porteurs plusieurs de ces ministres. Qu’il s’agisse du perfectionnement du système ou du statut du Liban face aux bouleversements que connaît la région, ce n’est plus de politiciens que l’on se propose enfin de débattre mais de science politique, spécialité chère d’ailleurs au chef du gouvernement.
Rien de neuf par contre, en ce qui concerne certaine chasse gardée, n’aura-t-on pas manqué de déplorer : c’est rigoureusement exact pour ce qui a trait au ministère des Finances, lequel en effet reste assigné à une communauté précise, la chiite, au mépris de la règle d’alternance. Mais il n’est pas interdit d’espérer que le détenteur de ce portefeuille, qui est aussi un des proches du mouvement Amal les plus avisés et estimés, fera bon usage de ce privilège. Car avec une longueur d’avance sur le coup de neuf promis aux institutions libanaises, ce sont tout simplement les temps qui ont changé.
Le président de l’Assemblée et leader d’Amal demeure certes un incontournable interlocuteur au double plan interne et international. A ces deux mêmes niveaux cependant, c’est son partenaire au sein du tandem chiite, le Hezbollah, qui fait littéralement figure de grand blessé de guerre, d’éclopé. Bien que de manière indirecte comme c’est d’ailleurs le cas pour d’autres partis, la milice pro-iranienne est bel et bien présente dans le cabinet Salam, et cela par fort compréhensible souci de stabilité domestique. Mais au sein du gouvernement comme sans doute d’un Parlement élu en 2022 en rupture totale avec l’opinion populaire, le Hezbollah se trouve de plus en plus amoindri et même isolé. Avec l’effilochement de l’accord de Mar Mikhaël conclu avec le Courant patriotique libre, avec l’auto-exclusion du gouvernement que s’est infligée ce dernier, la milice ne dispose plus désormais de ce comparse chrétien qui lui permettait de prétendre à une stature intercommunautaire, et donc raisonnablement nationale ; elle n’est plus que la frange la plus extrême du chiisme libanais, contestée de surcroît par un nombre croissant de chiites.
Ce développement n’échappe guère d’ailleurs à l’œil de l’étranger. Vendredi dernier, une émissaire américaine venait prononcer, du haut du palais présidentiel de Baabda, une péremptoire exclusive contre le Hezbollah ; en contraste avec le soin apporté à sa mise, la coquette Morgan Ortagus poussait l’inélégance diplomatique jusqu’à remercier inopportunément Israël pour sa campagne militaire au Liban. Or 24 heures seulement plus tard, on voyait l’Amérique de Trump jouer le jeu et se joindre au vaste et enthousiaste concert international qui a ponctué la formation du gouvernement.
Requinqué du dedans, le Liban fait donc aussi peau neuve aux yeux du monde. Pour la première fois depuis des décennies, notre diplomatie n’est plus à la traîne de Téhéran et se repositionne, se replace dans la ligne de son environnement naturel arabe. On ne verra plus un ministre libanais des AE inviter les ambassadeurs étrangers à une excursion aux abords de l’aéroport de Beyrouth pour constater qu’il n’y existe pas de caches secrètes de missiles du Hezbollah. On ne verra pas non plus un pensionnaire du palais Bustros, relevant du même CPL, traiter de frustes bédouins ces mêmes Saoudiens qui donnent du travail à nos expatriés, et dont on attend qu’ils aident le Liban à se relever de ses ruines. N’est-ce pas d’ailleurs par un juste retour des choses que l’on voit maintenant ces énergumènes se résigner à bouder sous la tente en prévision d’une traversée du désert qu’il faut souhaiter aussi longue que possible ?
Une joyeuse volée de cloches a salué tout à la fois, dimanche, la Saint-Maron et la reconstitution en chair et en os d’un pouvoir légal au grand complet. En attendant le meilleur, le Liban renouait alors avec le possible (on y revient !). C’est ce même devoir d’espérance - et aussi de calme réalisme - que nous commande cette aube de renouveau.