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De sable et d’eau

Tout était prêt jeudi pour l’annonce, dans le carnet rose de notre République, de l’heureux évènement ; et soudain des exigences de dernière minute sont venues retarder la naissance impatiemment attendue du nouveau gouvernement libanais.

On croyait pourtant l’affaire dans le sac, depuis qu’avait été concédé à un proche du tandem Amal-Hezbollah le portefeuille des Finances. Ne restait plus alors qu’à désigner cette perle rare, à savoir un cinquième ministre chiite échappant salutairement à toute consigne de sabordage partisane. Voilà qui mettrait en effet le gouvernement à l’abri de tout torpillage de l’intérieur par la voie d’une démission massive, générale, des représentants de l’une ou l’autre des communautés libanaises nécessairement associées au pouvoir. Doublement rare était de surcroît la perle proposée, le choix du Premier ministre désigné s’étant porté sur une agronome et économiste de renom qu’en d’autres temps toutes les familles spirituelles libanaises se seraient sans doute arrachée. Implacablement récusée par le tandem était néanmoins Lamia Moubayed. Rebelote, deux autres noms étaient vainement avancés le lendemain.

Que faire, dès lors, face à un aussi flagrant déploiement de mauvaise foi, insupportable dérive qui consiste à brandir comme vérité, et même comme chose due, des faits que l’on sait totalement infondés ? Les faits, il ne sert visiblement à rien de les étaler dans toute leur tragique, leur accablante splendeur. Il est parfaitement inutile de rappeler au président de l’Assemblée Nabih Berry que son allié, le Hezbollah, a magistralement perdu une guerre qui était la sienne, et en aucun cas celle du Liban. Il est tout aussi inutile de relever que plutôt que de se répandre en revendications la milice pro-iranienne devrait implorer le pardon non seulement de son public, mais de l’ensemble du peuple libanais qu’elle a jeté en vrac dans la fournaise. Que cette milice serait même bien inspirée de s’offrir une ou deux années sabbatiques, le temps de se reconvertir en parti politique comme les autres. Et enfin que l’actuel chef du Hezbollah, qui vient d’être promu représentant personnel de Khamenei au Liban, devrait se consacrer entièrement à cette charge de nature surtout religieuse ; voilà qui lui laisserait moins de temps pour discourir, comme il s’obstine à le faire, de fictives victoires militaires et de prétentions politiques absolument hors de mise.

Nawaf Salam n’aura épargné aucun effort pour concilier, autant que possible, son engagement de renouveau et son souci des sensibilités communautaires. Or ce sont précisément ces dernières qui ont tempéré la vigoureuse dynamique de changement enclenchée, coup sur coup, par l’élection de Joseph Aoun à la présidence et sa propre désignation au Sérail. Les partis les plus divers ont vite fait de réclamer leur part du gâteau des privilèges ; à la foire d’empoigne sont venues s’ajouter en outre d’abjectes cabales sur internet et certaines chaînes de télévision. Pour autant, ce n’est pas le soldat Salam qu’il s’agit de sauver ; ce qu’il faut, c’est libérer le Liban longtemps otage de l’Iran, et qui reste d’une certaine manière l’otage des instruments, largement démystifiés pourtant, du même Iran.

Fallait-il vraiment en venir au stupéfiant coup d’éclat auquel se livrait hier, en plein palais de Baabda, l’émissaire américaine Morgan Ortagus, en décrétant fini, kaput, hors jeu, le Hezbollah, ce qui plongeait dans l’embarras la présidence de la République ? Et ne

pouvait-on rêver de plongeons autrement plus gratifiants ? Bien plus conforme aux attentes populaires demeure un gouvernement de spécialistes formé loin de toute interférence partisane. À satisfaire une partie, c’est toutes les autres que l’on invite à la salle aux enchères. Les exclure toutes, c’est être assuré au contraire de ne pas faire de jaloux. Le Parlement n’y verrait que du feu : plutôt que de braver l’opinion publique, il ne pourrait qu’accorder sa confiance à un tel cabinet de fait accompli, lui qui s’est déjà montré singulièrement sensible aux vœux internationaux.

Pour échapper aux sables mouvants de la politique bassement politicienne, va-t-il falloir se décider à piquer une tête dans la mare aux grenouilles ?

Issa GORAIEB
igor@lorientlejour.com

Tout était prêt jeudi pour l’annonce, dans le carnet rose de notre République, de l’heureux évènement ; et soudain des exigences de dernière minute sont venues retarder la naissance impatiemment attendue du nouveau gouvernement libanais.On croyait pourtant l’affaire dans le sac, depuis qu’avait été concédé à un proche du tandem Amal-Hezbollah le portefeuille des Finances. Ne...