
Loïc Nervi, un boulanger au grand cœur. Photo DR
C’est la dernière fournée du jour et Loïc Nervi trépigne dans sa boulangerie de Lorgues, sa ville natale dans le sud de la France. Il a la tête ailleurs, à 4 000 km de là, au Liban, un pays qu’il ne connaît pas et qu’il s’apprête à découvrir. Ce soir, le quadragénaire quitte sa famille – sa femme, ses filles de 7 et 9 ans, ses sœurs – et ses salariés pour deux semaines, direction l’aéroport de Marseille pour rejoindre Beyrouth. Pas question d’y faire du tourisme, il vient en mission humanitaire apporter son soutien au peuple libanais qui souffre depuis des décennies, « pas pour faire de la figuration, pas pour prendre des photos et se promener », précise-t-il.
Le déclic, il l’a eu devant les images des bombardements du Liban par Israël, cet été : « J’ai vu toutes ces vidéos horribles des bombes tombées sur les habitations, les bâtiments détruits, les gens à la rue, les blessés, toutes ces personnes en souffrance et dans le besoin, et je me suis dit que ma place est là-bas. » « Je vais aller faire du pain pour eux », dit-il encore.

Aller partout où le besoin se fait ressentir
Le boulanger français cherche alors un partenaire pour l’embarquer dans cette aventure. Sur les réseaux sociaux, il découvre l’association Mon Liban d’Azur dirigée par Géraldine Ghostine, une Franco-Libanaise installée depuis 2018 à Beyrouth et qui a pour but d’établir des ponts entre ses deux pays, la France et le Liban, au travers la gastronomie et la culture. L’association a déjà mené plusieurs actions caritatives au Liban. Géraldine est enthousiaste « Le pain, c’est un aliment universel, c’est aussi le symbole du partage et de la convivialité », pense-t-elle. Le contact est établi et, en quelques mois, un programme est mis en place. Loïc apporte ses compétences de boulanger et Géraldine s’occupe de la logistique, de lui assurer un logement, des lieux pour fabriquer du pain. Le boulanger insiste pour aller partout où il est nécessaire, dans la capitale mais pas que. Au Liban-Sud, dans le Nord aussi. Clairement, il aura du pain sur la planche pendant son séjour !
À Beyrouth, Loïc Nervi officiera principalement à La Cuisine de Mariam, une cantine solidaire dans le quartier de la Quarantaine créée après la double explosion du port de Beyrouth en 2020 et capable de nourrir jusqu’à 5 000 personnes par jour. Il ira fabriquer son pain à l’Hôtel-Dieu aussi, le livrera à l’hôpital militaire de Badaro. Le 4 février, Journée mondiale de lutte contre le cancer, il distribuera son pain et ses viennoiseries aux enfants cancéreux. À Tyr, il s’arrêtera dans deux écoles publiques et à l’Immaculée Conception de Rmeil pour offrir ses brioches aux élèves. Un programme chargé qui ne fait pas peur à cet hyperactif. Il n’en est pas à sa première mission.
Avant le Liban, l’Ukraine déjà
Mars 2022, un mois après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, Loïc Nervi s’embarque « sur un coup de tête » livrer trois tonnes de denrées alimentaires aux réfugiés ukrainiens à la frontière polonaise, parce qu’il est « ému par la situation », mais sera rapidement frustré de ne pas pouvoir faire plus, forcé de partir trop rapidement. Il se rapproche alors d’associations humanitaires présentes sur place et y retourne en novembre 2023, où il passe une semaine à Kherson, pour ce qu’il fait de mieux, du pain. « J’ai eu un gros coup de cœur pour cette ville martyre sous les bombes en continu et ses habitants, courageux, debout malgré tout. C’est un peu ma ville maintenant », déclare-t-il. Juin 2024, il crée sa boulangerie itinérante, un camion de déménagement entièrement pensé et aménagé à ses frais. « À l’intérieur, précise-t-il, il y a tout pour faire du pain comme dans mon laboratoire, un batteur-mélangeur, des petits fours, une échelle gastronome et une pièce unique au monde : une diviseuse manuelle, indispensable pour séparer la pâte à pain uniformément, créée pour moi par les lycéens de mon village. Je peux monter jusqu’à 1 000 pains par jour comme ça. J’ai attelé une remorque avec un groupe électrogène. Je suis mobile et autonome, je peux aller partout, livrer dans tous les villages traversés. » Il ira ainsi jusqu’à Soumy et Krasnopillia, deux villages situés au nord du pays, juste à la frontière où les combats avec les Russes font rage. « Tôt le matin, je prépare mon pain dans mon camion. Les gens viennent le récupérer, et sinon je vais à leur rencontre. »

Boulanger au grand cœur
En 2024, Loïc Nervi est allé trois fois en Ukraine avec son inséparable camion. Six pays traversés, plus de 3 000 km parcourus à chaque voyage pour offrir du pain dans des zones de guerre. Rien ne l’arrête dans sa mission, pas même le danger, le casque et le gilet pare-balles obligatoires, pas même la peur et l’urgence de travailler vite. Pour comprendre la générosité de ce boulanger sans frontières, ce boulanger au grand cœur, il suffit de jeter un coup d’œil sur son camion qui le représente, sur lequel est dessiné un immense cœur. « Avec les gens sur place, il y a énormément d’émotions, de ressenti. En Ukraine, je ne parlais pas la langue, mais on se comprenait en un regard. Ça leur faisait plaisir de voir un Français. Ce qui m’a le plus touché, c’est l’attitude des personnes âgées. Elles n’ont pas grand-chose, pas d’eau, pas d’électricité, par moins 10 degrés… Et elles ne se plaignent pas... Certaines situations me donnaient envie de pleurer. À travers mon pain, j’ai voulu apporter un peu de chaleur à ces personnes, leur dire qu’elles ne sont pas oubliées. Je suis un marchand de réconfort. Le regard reconnaissant des gens quand je leur donne mon pain est le seul bénéfice que je recherche. »
Ces missions qui le remplissent de bonheur ont un prix : quitter ses deux filles de 7 et 9 ans, un sacrifice que le boulanger assume. « Mes enfants sont privilégiés, ils sont en bonne santé, c’est sûr je passe à côté de moments avec elles, mais je suis un bénévole dans l’âme. Je ne vais pas attendre d’avoir 90 ans pour le faire. Là, je suis en pleine forme physique, c’est maintenant qu’il faut que j’y aille. » Seule crainte pour le boulanger sans frontières, manquer de temps. « Une fois qu’on part, aider devient comme une drogue. On n’a qu’une envie, y retourner. » Après le Liban il a déjà le projet de repartir en Ukraine. En attendant, il est possible de suivre son périple libanais sur sa page Facebook.
Très beau geste ! Un grand cœur … loin des réalités Libanaises hélas ! Les libanais ont toutes les ressources financières pour acheter la farine et faire du pain : visiblement on ne manque de rien au Liban ( cf les stories sur Instagram…. Fêtes et mariages …)
23 h 43, le 28 janvier 2025