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Cheikh Soubhi el-Saleh, une personnalité et des idées exceptionnelles

Cheikh Soubhi el-Saleh, une personnalité et des idées exceptionnelles

Cheikh Soubhi el-Saleh. Photo Wikipédia

Une des personnalités qui ont marqué l’histoire religieuse et du Liban est sans doute notre éminent cheikh Soubhi el-Saleh. Avec le grand mufti de la république libanaise de son époque, cheikh Hassan Khaled, ils ont été les véritables précurseurs de l’institutionnalisation et la structuration de Dar al-Fatwa. Grâce à ces deux personnalités religieuses, Dar al-Fatwa, qui est l’organe suprême de la représentation des musulmans libanais, a été élevée avec le patriarcat maronite au rang des deux institutions religieuses les plus actives et les plus médiatiques qui ont marqué l’histoire du Liban.

Soubhi el-Saleh, né à Tripoli en 1926, à l’âge de douze ans et au cours de ses études secondaires, a été remarqué par son attachement à se vêtir de son costume religieux. Son assiduité au cours de ses études lui a permis d’être du appelé à prêcher lors des prières du vendredi dans les mosquées de Tripoli. Les fidèles venaient de tous les quartiers pour écouter ses prêches marqués par une ouverture d’esprit et une éloquence ayant une force de persuader et de convaincre.

Après son obtention du diplôme religieux de fin d’études secondaires, Soubhi el-Saleh a poursuivi sa formation religieuse à l’université al-Azhar, au Caire. En 1947, il a obtenu la licence en théologie et puis en 1949 un autre diplôme supérieur d’habilitation appelé al-Alamiyé. En 1950, il a ajouté à ses prestigieux diplômes théologiques une licence de littérature de l’université du Caire.

Fraîchement diplômé, il s’est rendu en France pour poursuivre ses études supérieures à la Sorbonne. C’est en 1954 qu’il a soutenu et obtenu sa thèse de doctorat de littérature pour le thème « La vie future selon le Coran ».

Sitôt retourné au Liban en 1955, il fut appelé à l’étranger pour enseigner dans plusieurs universités : à Bagdad, Damas, en Jordanie, Arabie saoudite, Tunisie et à l’Université libanaise dans laquelle il présidait le département de la langue et des lettres arabes. Il était aussi directeur de recherches pour les doctorants à l’université de Lyon III et de Paris II. Il était aussi membre de l’Académie de la langue arabe au Caire, à l’Académie du royaume du Maroc et à l’Académie scientifique en Irak.

À Beyrouth, il a été nommé par le grand mufti cheikh Hassan Khaled vice-président du Conseil

chérié islamique suprême, qui est en quelque sorte un petit parlement de la communauté musulmane sunnite ayant pour mission de légiférer dans les affaires religieuses et waqf des musulmans. Depuis cette nomination, la vice-présidence dudit Conseil est toujours attribuée à un Tripolitain.

Ses œuvres et ses idées

On compte dix-sept ouvrages magistraux écrits par Soubhi el-Saleh, dont une partie est focalisée sur la pensée théologique de l’islam et son régime politique. D’autres ouvrages traitent de la pensée religieuse entre l’islam et le christianisme. Deux ouvrages avaient une portée générale sur la pensée islamique : Réponse de l’islam envers les défis contemporains (en français) et L’islam et la communauté contemporaine. Il a écrit aussi des ouvrages relatifs aux méthodes de rhétorique. Il a participé avec Denise Masson à la traduction du Coran en français, et avec Suhayl Idriss à la publication du dictionnaire arabe et du dictionnaire français. Il a publié plusieurs recherches scientifiques et académiques en arabe et en français dans de nombreuses revues et encyclopédies.

On soulignait la proximité de ses idées avec la pensée du père Youakim Moubarak. Dans ce rapprochement intellectuel, cheikh Soubhi el-Saleh souligne son accord avec le père Moubarak sur une rencontre humaniste qui se réfère à la tradition abrahamique. Un autre rapprochement a été remarqué dans la pensée du père Youakim Moubarak et cheikh Soubhi el-Saleh lorsqu’il s’agit de la création d’un Conseil islamo-chrétien ayant une haute autorité morale. Soubhi el-Saleh souligne parmi les objectifs de ce conseil son souhait de réduire l’influence du leadership sectaire ou confessionnel que certains clercs, y compris des cheikhs et des prêtres, partagent avec des leaders politiques. Néanmoins, il s’écarte de l’avis du père Moubarak qui était favorable à un deuxième objectif qui assure le respect de la distinction légitime entre le spirituel et le temporel. En suivant la pensée de Soubhi el-Saleh, il nous apparaît qu’il repousse la proposition d’une « distinction » nette et rigide au profit d’une « coordination » des « affaires du temps » et celle de « l’esprit ».

Sa pensée à travers ses écrits et ses discours

– Malgré sa double culture, Soubhi el-Saleh, tout en défendant son attachement à l’islam traditionnel, concilie authenticité et modernité en mettant en valeur la pureté et la vitalité de l’islam, sa capacité à suivre le rythme de son temps et le progrès des sciences futures. La société islamique d’aujourd’hui n’est encore qu’un projet qui n’a pas encore atteint le modèle de la société islamique dont les premières lignes ont été tracées à l’époque du Prophète (que la paix soit sur lui).

– Le califat n’est pas la seule forme de gouvernement sous l’islam : « Nous devons cesser de croire que ce système historique, qui n’était basé que sur le principe du consensus, est la seule forme de gouvernement sous l’islam. »

– L’unité : dans l’introduction du Nahj al-Balagha de l’imam Ali, Soubhi el-Saleh appelle tous les musulmans à s’unir sous la bannière du monothéisme et invite les historiens à faire la lumière sur les faits, non pas comme une victoire d’un camp sur l’autre, mais comme un appel bienveillant à oublier les tragédies sanglantes.

– Pour Soubhi el-Saleh, dire que l’ijtihad a été fermé à la fin du troisième siècle hijri est une illusion qui est restée dans les esprits. Les tentatives d’ijtihad n’ont pas cessé même pendant ces dix siècles qui s’étendent du quatrième siècle hijri jusqu’à nos jours. Il ajoute que nous ne devrions plus nous préoccuper des quelques personnes qui, dans notre société moderne, s’opposent encore à l’ijtihad par ignorance, mécréance ou entêtement, limitant la grâce de Dieu aux anciens et refusant tout avantage aux plus tardifs. Nous devons plutôt cesser de glorifier le passé et d’en pleurer pour planifier l’avenir.

– Le recours à la vengeance trouve aussi ses limites chez Soubhi el-Saleh. L’agresseur ne peut de se faire justice à lui-même.‏ L’exécution de la sanction est laissée aux soins du gouverneur ou son‏ représentant.

– Les idées progressistes de Soubhi el-Saleh vis-à-vis de la femme s’écartent de la vision traditionaliste partagée par un bon nombre de savants musulmans. Il souligne à plusieurs reprises qu’une lourde tradition négative concernant la femme pèse encore sur les mœurs et coutumes d’aujourd’hui. Il appelle la femme à secouer les oripeaux du passé et s’engager dans l’avenir, libre et nantie de ses propres valeurs, la main dans la main de l’homme.

Quelques réflexions autour des idées au sujet de la femme :

• À l’instar des autres sociétés humaines, la société islamique a été dominée par l’homme, elle a été construite à son image, et de ce fait en reléguant la femme à un rôle subalterne ne fait que hâter sa propre déchéance.

• La femme lors de sa création, Dieu ne l’a pas tirée d’une côte de l’homme.

• Un père ne peut imposer sa volonté dans le choix du mariage de sa fille, elle peut choisir librement son futur époux. La femme peut assortir toutes sortes de conditions à son mari lors de la conclusion du contrat du mariage.

• La monogamie en islam est la règle et la polygamie n’est qu’une exception. Et si la polygamie est un attribut de l’homme, la femme est entièrement libre de l’admettre ou pas.

• La femme n’est ni un objet sexuel ni une machine à reproduire l’espèce. La femme est d’abord la compagne de l’homme comme l’homme est son compagnon.

• La justice doit être impitoyable avec les crimes dits d’honneur dont sont victimes les femmes adultères.

Soubhi el-Saleh, le martyr

Dans ses sermons lors des prières du vendredi, cheikh Soubhi el-Saleh rejetait l’existence de milices armées qui violent le caractère sacré du Liban et sapent sa souveraineté. Il a appelé l’armée libanaise et les autres forces de sécurité officielles à jouer leur rôle dans la protection de la paix civile et la défense du Liban, car seule l’armée officielle est le bouclier protecteur de la sécurité du Liban et la barrière impénétrable qui préserve son unité et prévient les conflits.

En raison de ses positions nationales, il a reçu de nombreuses menaces. Le matin du 7 octobre 1986, deux hommes cagoulés à moto l’ont assassiné de trois balles dans la tête alors qu’il s’apprêtait à descendre d’un taxi qui le conduisait à l’orphelinat qu’il supervisait. Arrivé à l’hôpital, il a succombé à ses blessures.

Soubhi el-Saleh était un pionnier de l’ouverture aux civilisations et aux cultures, internationaliste, il avait des idées de renaissance. Son nom était en conjonction avec elles, comme son appel à la relance de l’ijtihad et à faire du quinzième siècle de l’hégire le siècle de l’ijtihad en préparation du jour où les musulmans parviendront à établir une « communauté ijtihadique collective ».

Il a mis en garde la nouvelle génération des savants religieux de ne pas être enorgueuillis par leurs titres et leurs rangs, mais plutôt par leurs qualités, leurs pensées et leur spécialisation. Ils ne doivent pas être des obstacles qui ajoutent des conditions obstructives et supplémentaires imposées au mujtahid indépendant.

Il exigeait de cette nouvelle génération des ulémas de maîtriser une langue vivante en plus de la leur. Grâce à cette langue étrangère ils peuvent regarder les autres cultures et être plus attentifs à chaque question émergente dans le monde.

Lors de ma dernière rencontre, avec Soubhi el-Saleh, juste après la fin de mes études à l’université al-Azhar et avant mon départ en France pour poursuivre mes études supérieures, il m’a fait part de son expérience pendant son séjour en France afin d’en tirer des leçons. Il a terminé sa conversation avec moi en me disant : « Sois compréhensif et ouvert avec respect aux coutumes en vigueur en France, n’hésite pas à t’intégrer à la population et à la vie dans ce pays. Sache que la profondeur d’un engagement religieux conscient fondé sur la science n’entre jamais en conflit avec une modernité engagée, soucieuse du bien-être des individus. »

Cheikh Dr Mohammad NOKKARI

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Une des personnalités qui ont marqué l’histoire religieuse et du Liban est sans doute notre éminent cheikh Soubhi el-Saleh. Avec le grand mufti de la république libanaise de son époque, cheikh Hassan Khaled, ils ont été les véritables précurseurs de l’institutionnalisation et la structuration de Dar al-Fatwa. Grâce à ces deux personnalités religieuses, Dar al-Fatwa, qui est...
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Il avait un visage très beau et sincère

Eleni Caridopoulou

18 h 41, le 08 janvier 2025

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Commentaires (1)

  • Il avait un visage très beau et sincère

    Eleni Caridopoulou

    18 h 41, le 08 janvier 2025

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