L’annonce faite par l'Office des eaux de Beyrouth et du Mont-Liban dimanche concernant « un programme de rationnement sévère » de l'approvisionnement en eau courante dans les régions relevant de sa juridiction, notamment dans le Kesrouan, le Metn et la capitale, a de quoi alarmer, même dans un pays où les coupures d’eau sont fréquentes, y compris en temps normal.
Dans son communiqué, le fournisseur public a expliqué que ces restrictions sont dues « au peu de précipitations qui ont conduit à la baisse des niveaux d'eau dans les puits, et à la quasi-absence d'eau dans le barrage de Chabrouh (Kesrouan) et le lac de Bekleh (Metn) ».
Interrogé par L’Orient-Le Jour, le directeur de l’Office des eaux de Beyrouth et du Mont-Liban, Jean Gebran, précise que l’eau disponible à la source a diminué d’environ 70 % durant cette saison sèche. « L’enneigement n’était pas suffisant l’année dernière, et nous avons ressenti les conséquences sur les ressources en eau durant la saison sèche cette année », souligne-t-il.
Le Liban, dont la principale ressource en eau est souterraine, compte beaucoup sur la fonte des neiges pour renflouer ses nappes phréatiques. Selon M. Gebran, le débit en eau, en certains endroits, est passé de 800 mètres cubes par heure à environ 100. Comme précisé dans le communiqué, les barrages et les lacs n’ont plus d’eau stockée, et les puits sont asséchés. « Des puits qui pouvaient alimenter (le réseau) en eau sur douze heures d’affilée ne sont plus employés que sur six heures, en vue de préserver les ressources qui restent », dit-il, assurant que son institution « distribue les ressources disponibles aussi équitablement que possible ».
Pourquoi demander aux citoyens de rationaliser leur utilisation de l'eau ? « Nous sommes conscients que les citoyens font déjà leur part et qu’il est difficile de diminuer encore plus l’utilisation d’eau, mais il est de notre devoir de les prévenir des raisons de cette pénurie, qui ne devrait durer que jusqu’aux prochaines pluies abondantes », affirme M. Gebran.
Une saison beaucoup plus sèche
Du côté de la météo, les chiffres communiqués par Marc Wehaïbé, chef du service de météorologie du Liban, ne sont guère rassurants. « Il y a une nette baisse des précipitations cette saison par rapport à la moyenne annuelle du pays, tout comme par rapport à la saison passée », indique-t-il à L’OLJ.
Ainsi, à Tripoli (Liban-Nord) où la moyenne annuelle sur 30 ans à la mi-décembre (depuis septembre globalement) est de 251 millimètres, les précipitations cette année n’ont engendré que 134 millimètres d'eau, contre 400 l’année dernière. À Beyrouth, il n’est tombé que 125 millimètres cette saison pour une moyenne annuelle de 249, et contre 385 l’année dernière. Enfin, à Zahlé (Békaa), le total de cette saison s'élève à 52 millimètres contre 172 l’année dernière, pour une moyenne annuelle de 174. Soit en moyenne 120 millimètres de moins que la saison précédente.
De plus, la visibilité du service de météorologie ne permet pas de prédire des pluies importantes ces prochains jours, hormis quelques pluies éparses au Nord entre jeudi et vendredi. La météo devait être pluvieuse lundi et mardi à Beyrouth, mais il semble que ce n'est pas le cas. « Les deux scénarios pour compenser un mois de décembre sec ne sont pas de tout repos, car soit les précipitations restent insuffisantes en janvier, soit il y aura des pluies potentiellement torrentielles durant les deux prochains mois, ce qui peut causer des inondations », explique Marc Wehaïbé.
Cette tendance à une sécheresse accrue est, selon les experts, l'une des conséquences du changement climatique qui affecte particulièrement la région méditerranéenne. Un nouveau rapport du Medecc (Experts méditerranéens sur les changements climatiques et environnementaux), lancé durant le dernier sommet des Nations unies sur le climat en novembre à Bakou, confirmait que cette région du monde devrait souffrir tout particulièrement du changement climatique.
« Les projections montrent une augmentation des températures de l’air en surface, de la fréquence et de l’intensité des extrêmes de chaleur, une élévation du niveau de la mer, de l’évapotranspiration et une diminution des précipitations, en fonction du niveau des futures émissions de gaz à effet de serre », avait expliqué à L’OLJ Salpie Djoundourian, l’une des coordinatrices du projet. Le rapport cite également la mauvaise gestion endémique dans plusieurs pays de la région, dont le Liban.
Quant aux moyens de faire face à cette situation, Jean Gebran indique qu’il est crucial de développer l’infrastructure hydraulique, notamment les barrages, pour avoir plus d’eau superficielle à disposition. Les barrages restent un sujet très controversé au Liban, étant donné la nature karstique et perméable du terrain, et l’échec de certains projets dans le passé.