Onze députés ont déposé lundi, devant le Conseil constitutionnel, un recours en invalidation d’une loi adoptée le 28 novembre, relative à la « prorogation » des mandats de cinq membres du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), alors que ces mandats avaient expiré un mois et demi plus tôt. Outre ce 1er alinéa, les requérants ont contesté un autre désignant le procureur général près la Cour de cassation par intérim, Jamal Hajjar, à des fonctions de membre et vice-président du CSM, alors que selon leurs arguments, ces postes ne peuvent être attribués qu'à un procureur titulaire. Le recours cible aussi un 3e alinéa, relatif au report de la retraite, pour une période de six mois, des juges qui atteindront 68 ans (âge légal ) entre le 15 mars 2025 et le 15 mai 2026, à l’exclusion de ceux qui auront atteint cet âge avant ou après cette période.
C’est notamment sur base d’études de l'Agenda légal et du Club des juges que les onze députés, Halimé Kaakour, Élias Jaradé, Michel Doueihy, Cynthia Zarazir, Mark Daou (tous membres du mouvement de contestation), Adib Abdel Massih, Bilal Hechaïmé, Nabil Badre, Charbel Massaad (indépendants), Fouad Makhzoumi (bloc du Renouveau), et Imad el-Hout (Jamaa islamiya) ont déposé leur recours en invalidation.
« En catimini »
Devant le siège du Conseil constitutionnel (Hadath), Halimé Kaakour a qualifié le texte de loi de « sur-mesure », en référence au fait qu’il profite à certains magistrats au détriment d’autres. De son côté, Élias Jaradé a affirmé que la nouvelle loi « sape l’État et la justice », tandis que Mark Daou a déploré son approbation « en catimini, malgré de vives contestations » lors de l’assemblée plénière.
Au lendemain du vote, le Club des juges avait demandé, sans succès, au gouvernement sortant, de refuser la promulgation de la loi. « Nous avions communiqué les motifs d’invalidité au Conseil des ministres, qui, en raison de la vacance présidentielle, pouvait exercer la prérogative du président de la République de renvoyer la loi au Parlement pour un nouvel examen », indique à L'Orient-Le Jour, la présidente du Club des juges, Najat Abou Chacra. « Le gouvernement a toutefois décidé de la publier au Journal officiel, lors de sa réunion du 4 décembre. » Le président du CSM, Souheil Abboud, avait, pour sa part, publié le 2 décembre, un communiqué dans lequel il critiquait avec virulence la loi adoptée.
Selon Me Nizar Saghiyeh, directeur exécutif de l'Agenda légal, interrogé par L’OLJ, la proposition d’extension des mandats des membres du CSM avait été présentée par Ali Hassan Khalil, député du mouvement Amal, avant le 14 octobre, date d’expiration de ces mandats, mais elle n’a été soumise au Parlement que lors de sa réunion du 28 novembre. « Il ne s’agit donc pas d’une prorogation, mais d’une nouvelle désignation », note-t-il.
Najat Abou Chacra décrit cette « désignation », comme une atteinte au principe de séparation des pouvoirs. « Quatre (Dany Chebli, Mireille Haddad, Habib Mezher et Élias Richa) des cinq magistrats concernés avaient été nommés par le pouvoir exécutif pour une période de trois ans, sur base d’une proposition du ministre de la Justice », explique-t-elle , décrivant comme « contraire à la Constitution » un renouvellement des mandats par le pouvoir législatif. « Quant au cinquième membre du CSM, Afif Hakim, il avait été élu par ses pairs. « En lui renouvelant son mandat, le Parlement a enfreint également le principe de la séparation avec le pouvoir judiciaire », note la cheffe du Club des juges.
« Non, même à la demande de 50 (députés) »
En ce qui concerne l’intégration au CSM de Jamal Hajjar, Mme Abou Chacra indique que, selon la loi, « un magistrat nommé au poste de procureur en vertu d’une mesure provisoire du président du CSM, ne peut faire partie de cette instance, ni, a fortiori, en occuper le poste de vice-président ». En février dernier, en l’absence de nominations judiciaires, le juge Hajjar avait été nommé procureur de cassation par Souheil Abboud, pour remédier à la vacance due au départ à la retraite de Ghassan Oueidate. Selon Mme Abou Chacra, « seul un procureur de cassation titulaire, nommé à la majorité des deux tiers du gouvernement, peut siéger au CSM ».
Quant au 3e point de la loi, en l’occurrence la prolongation de l’âge de la retraite pour les magistrats atteignant 68 ans entre le 15 mars 2025 et le 15 mai 2026, Nizar Saghiyeh révèle qu’« une première version prévoyait que la période s’achèverait le 15 mars 2026 », afin, selon lui, de « permettre au procureur général financier Ali Ibrahim, dont le départ à la retraite était prévu en avril 2025, de bénéficier de cette prolongation ». « Or s’étant avéré plus tard que la retraite de Jamal Hajjar est prévue en avril 2026, le texte a par la suite été modifié en ce sens », indique-t-il. L’avocat note que la cheffe du Contentieux de l’État, Hélène Iskandar, qui aura 68 ans en janvier prochain, est exclue de la prorogation, s’interrogeant sur « les raisons de la fixation de la date au 15 mars 2024, plutôt qu’à la date d’entrée en vigueur de la loi (4 décembre 2024) ». « La loi est à la taille de magistrats spécifiques qui comptent pour la classe politique », estime-t-il. Selon une source judiciaire ayant requis l’anonymat, la juge Iskandar est confrontée à des obstacles politico-judiciaires qui l’empêchent de s’intégrer davantage dans les dossiers de l’ex-gouverneur de la Banque du Liban (BDL) Riad Salamé, au Liban, alors qu’elle cherche à défendre les intérêts de l’État. La magistrate se mobilise également « dans les procédures engagées en France » contre ce dernier, note, pour sa part, Me Saghiyeh.
Concernant encore le 3e alinéa, le directeur de Legal agenda affirme qu’il « n’avait pas été lu devant l’assemblée plénière ni débattu ». L'avocat relève plus généralement des vices de forme entachant l’ensemble de la loi. Celle-ci « n’avait pas été envoyée au CSM pour qu’il émette son avis », indique-t-il, précisant, par ailleurs, qu’elle n’a pas été votée à travers « un appel nominatif des députés présents ». Dans ce contexte, plus de cinq députés ont demandé au chef du Parlement, Nabih Berry, de procéder à un nouveau vote, mais ce dernier a refusé, selon le recours dont L'OLJ a consulté une copie. Toujours selon le texte du recours, lorsque Paula Yacoubian, députée de la contestation, lui a fait remarquer le nombre des protestataires, il lui aurait répondu : « Même si 50 (députés) me le demandent, je ne recommencerais pas le vote. »
Pauvre justice au Liban, toujours controlee (et malmenee) par les mafieux du pouvpir. Tfeeeeeehhhhh. Kellon ya3ne kellon.
12 h 00, le 10 décembre 2024