
Le procureur général par intérim auprès du parquet de cassation, Jamal Hajjjar. Photo fournie par le procureur général
Dans l’article de la loi adoptée jeudi par le Parlement sur la prorogation sine die des mandats des cinq membres du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), qui n’étaient plus en fonction depuis le 14 octobre, figure un second alinéa disposant qu’un procureur général près la Cour de cassation est, de droit, membre et vice-président d’office du CSM, « qu’il soit titulaire de son poste ou intérimaire ». Cette disposition s’applique spécifiquement au juge Jamal Hajjar, qui avait été nommé chef du parquet par le président du CSM et premier président de la Cour de cassation, Souheil Abboud.
En temps normal, c’est-à-dire en dehors des crises politiques comme celle que traverse le pays, un procureur général près la Cour de cassation est nommé par un décret approuvé à la majorité des deux tiers du Conseil des ministres, et cosigné par le président de la République. Or lorsque le prédécesseur du juge Hajjar, Ghassan Oueidate, était parti à la retraite en février 2023, ce moyen habituel de désignation ne pouvait être adopté, en raison de la vacance de la présidence et des pouvoirs limités du gouvernement sortant, qui se réduisent à l’expédition des affaires courantes.
Le juge Abboud avait alors utilisé ses prérogatives administratives pour nommer, à titre provisoire, Jamal Hajjar aux fonctions de procureur général. Mais à l’opposé de son prédécesseur qui était titulaire de ce poste, le chef du parquet intérimaire ne pouvait pas siéger au CSM. Par la nouvelle loi, il intègre l’organisme, dont il devient également le vice-président, selon le même statut que celui d’un procureur titulaire.
Le nouveau membre du CSM rejoint ainsi les cinq autres (Afif Hakim, Dany Chebli, Mireille Haddad, Habib Mezher et Élias Richa) dont les mandats avaient expiré le 14 octobre dernier et ont été « prorogés » jeudi par le Parlement, soit un mois et demi après leur échéance. En raison notamment de divergences politiques, ces magistrats ne se réunissaient plus depuis juin dernier. L’amendement a été critiqué par nombre de juristes qui ont défini cette prolongation comme « un renouvellement » ou « une nouvelle désignation ».
Avec son président Souheil Abboud, le CSM compte désormais sept magistrats, alors qu’il est composé légalement de dix. Trois postes restent à combler : ceux de deux magistrats de la Cour de cassation, partis à la retraite et non remplacés en raison d’une vacance au sein de cette instance suprême, ainsi que le poste de l’ancien chef de l’Inspection judiciaire, Bourkan Saad, qui, avant son départ à la retraite en 2023, faisait partie d’office du CSM, comme le chef du parquet. M. Saad a été remplacé par Samar Sawah, que la nouvelle loi n’a pas incluse.
Une mesure individuelle ?
Interrogé par L’Orient-Le Jour, un magistrat critique cette exclusion, la décrivant comme une politique du « deux poids, deux mesures ». « L’exclusion du CSM des remplaçants du procureur et du chef de l’Inspection judiciaire était auparavant justifiée par le fait que ces remplaçants n’ont pas prêté serment devant un président de la République. À présent que cette condition a été écartée pour le nouveau procureur, pourquoi ne l’a-t-elle pas été pour la remplaçante de Bourkan Saad ? » s’interroge le juge, sous couvert d’anonymat. Pour lui, « en édictant une mesure individuelle, la nouvelle loi ne revêt pas le caractère général qui doit lui être propre ».
Un autre magistrat interrogé estime que la récente modification législative a été adoptée dans le but de représenter la communauté sunnite au sein du CSM, le juge Hajjar étant issu de cette confession, alors que la représentation de la communauté druze à laquelle appartient Samar Sawah est déjà assurée par le juge Afif Hakim.
La nouvelle loi comporte par ailleurs, « la prolongation, pour six mois, des mandats des magistrats qui occupent des postes nécessitant un décret pris en Conseil des ministres, et qui atteindront l’âge de la retraite entre le 15/3/2025 et le 15/3/2026, et ». Tel est le cas du chef du parquet financier, Ali Ibrahim, qui devait partir la retraite en avril 2025.
Le député Kassem Hachem qui appartient au mouvement chiite Amal, à l’instar du député Ali Hassan Khalil, auteur de la loi adoptée, déclare à L’OLJ que rien n’empêchera de mettre fin aux prolongations, après l’élection d’un président de la République et la formation d’un nouveau gouvernement muni de pouvoirs de nominations judiciaires.
Curieux de lire que Ali Hassan Khalil, qui est poursuivi par la Justice dans l’affaire de l’explosion du port, a pondu une loi permettant la nomination « en dur » du procureur général près la Cour de cass. Appelez ça comme vous voulez: zèle législatif. Ou… retour d’ascenseur.
10 h 16, le 30 novembre 2024