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Culture - Patrimoine

De la Békaa au Liban-Sud, les temples et forteresses sous protection renforcée, sinon gare aux poursuites

Trente-quatre sites historiques menacés par les bombardements israéliens sont désormais assurés, par l’Unesco, d’un haut niveau d’immunité contre les attaques et les utilisations à des fins militaires. Retour sur l'histoire de quelques-uns.

Dans le mohafazat de Baalbeck-Hermel, les ruines de Qsarnaba. Photo Wikicommons

Les frappes aériennes israéliennes au Liban mettent quotidiennement en péril les sites historiques disséminés à travers le pays, menaçant ainsi la richesse et la diversité de son patrimoine archéologique. C’est dans ce contexte que le comité spécial de l’Unesco, chargé de la protection des biens culturels en cas de conflit armé, s’est réuni le 18 novembre en session extraordinaire pour assurer « un haut niveau d’immunité contre les attaques et les utilisations à des fins militaires » de 34 sites parmi lesquels ceux inscrits au patrimoine mondial – Anjar, Baalbeck, Byblos, Wadi Kadisha et Tyr. Mais aussi d’autres sites non classés d’une grande importance historique et archéologique pour le patrimoine libanais comme Saïda, Anjar, le palais de Beiteddine, Byblos, les Cèdres, la Foire internationale Rachid Karamé, ainsi que le musée Sursock et le musée national.

Le non-respect de cette protection renforcée « constituerait une violation de la Convention de La Haye de 1954 et ouvrirait la possibilité de poursuites », selon le communiqué de l’Organisation de l’ONU dédiée à la science, la culture et l’éducation.

Cette décision est intervenue après un appel du ministère de la Culture et de 100 députés libanais, début novembre, à protéger les sites historiques du pays.

« Un dossier technique, selon des critères bien définis, avait été présenté, en définissant le(s) danger(s) imminent(s) pour chaque site », précise Sarkis el-Khoury, le directeur général des antiquités.

Lire aussi, la tribune de Nayla de Freige

L’Unesco a entendu notre cri pour la protection du patrimoine

Parmi les biens listés se trouvent notamment les sites archéologiques de Baalbeck et Tyr, inscrits au patrimoine mondial, et « près desquels des frappes ont été constatées récemment », selon l'Unesco.

Baalbeck apparaît comme l’un des témoignages les plus spectaculaires de l’architecture romaine à l’époque impériale. À son sujet, les visiteurs abondent les superlatifs : « Baalbeck, valeur artistique exceptionnelle », « les plus hautes colonnes », « la décoration sacrée la plus somptueuse», « les plus énormes blocs de pierre qui aient jamais été taillés dans le monde ». De même, pour Tyr, qui abrite des vestiges impressionnants comme l’hippodrome et l’arc de triomphe, ses mosaïques et ses bains romains. Ces deux sites, qui méritent une place hors cadre, sont aujourd’hui en danger. L'Unesco a donc pris des mesures qui touchent également des forteresses et des temples de moindre envergure, constitutifs de l’identité et de la mémoire des Libanais. En voici quelques-uns.

Quatre forteresses sur une liste indicative depuis 2019

Une liste indicative de sites à protéger avait été soumise par la DGA, en juillet 2019, au Comité du patrimoine mondial par la délégation permanente du Liban à l’Unesco. Elle n'avait pas été prise en considération. Elle comprenait quatre forteresses du Liban-Sud : Qalaat al-Chkif (forteresse de Beaufort), Qalaat Tibnin (château de Toron), Qalaat Chakra (château Dubieh) et Qalaat Deir Kifa (forteresse Maron ou Maroun) , ainsi que Bourj al-Naqoura (la tour de Naqoura) qui viennent de rejoindre la liste de l'Unesco. Selon les critères de la DGA, ces cinq monuments ont une valeur historique et culturelle. « Ils ont été construits au XIIe siècle et illustrent l’échange d’influences et documentent l’évolution de l’architecture au Proche-Orient à l’époque des croisades (XI-XIIIe siècles). Ayant été utilisés jusqu’à la fin du XIXe siècle, ces sites offrent un témoignage unique sur le développement de l’architecture sur près de neuf siècles », précise l'instance libanaise.

Les ruines du château de Beaufort ou Qalaat al-Chkif, au Liban-Sud. Photo Wikicommons

Implanté sur un éperon rocheux à 700 mètres d’altitude, Qalaat al-Chkif (forteresse de Beaufort) est l’un des châteaux médiévaux les mieux préservés du Proche-Orient. La forteresse a été érigée par le roi de Jérusalem vers 1137 après J.-C. Aux constructions des croisés se sont ajoutées des structures ayyoubides, mameloukes et celles des gouverneurs féodaux locaux al-Saabi. La qalaat a une situation géostratégique puisqu’elle permet de voir la Terre sainte, la ville israélienne de Kiryat Shmona, la région libanaise de Marjeyoun ainsi qu'une partie de la Békaa. À l’intérieur de l’enceinte du château se trouvent une salle gothique et des installations résidentielles et artisanales d’époque médiévale puis ottomane. Le château a subi des destructions pendant l'occupation israélienne du Liban-Sud (1978-2000). Mais depuis la libération du château en 2000, un important projet de conservation a été mené. « Le projet a pris en considération l'authenticité et l'intégrité du château », avait souligné la Direction générale des antiquités (DGA) dans sa lettre à l’Unesco. Ajoutant que la qalaat est inscrite avec ses environs sur la liste du patrimoine national.

Quant à Qalaat Deir Kifa (ou château Maron, du nom du chef croisé français qui a rénové sa construction), elle n'a connu aucun projet de conservation ni d'étude archéologique approfondie. En 1875, Victor Guérin, archéologue et géographe français, notait : « Je monte les pentes cultivées par des terrasses d'une haute colline isolée, couronnée par les ruines d'un château, appelé Qalaat Maroun. Il reste des débris considérables de murs d'enceinte, des tours semi-circulaires, des bâtiments et plusieurs grandes citernes. » En 1881, le Survey of Western Palestine (SWP)  décrit le monument comme « un château sarrasin en ruine, construit par Daher el-'Amr, de forme rectangulaire, avec des tours rondes à chaque angle. Une partie considérable des murs est encore debout (…) On se perd dans le château en raison de son immensité, de ses nombreux couloirs et salles souterraines ». Un plan de conservation de ce monument historique est en cours de préparation sous la supervision de la DGA.

Qalaat Tibnine ou château de Toron, dans le caza de Bint Jbeil. Photo archives L'OLJ

Toujours au Liban-Sud, dans le caza de Bint Jbeil, se dresse le château de Toron, également connu sous le nom de Qalaat Tibnin ou Tebnine, dont un mur entier a été récemment endommagé par des frappes israéliennes. Et selon une source au sein de la Direction générale des antiquités (DGA), « la forteresse risque d’être entièrement détruite ». Celle-ci a été érigée en 1105 par Hugues de Saint-Omer pour contrôler la route Tyr-Damas. C’est sa localisation en haut du promontoire rocheux qui lui valut le nom de Toron, qui signifie colline isolée en ancien français. De la présence franque, il ne reste aujourd’hui qu’un ensemble de fondations et des assises de blocs massifs taillés en bossage réparties sur tout le pourtour du château. Sa forme arrondie, ses saillants carrés et ses tours de forme barlongue donnent une idée de ce que pouvait être cette puissante citadelle. Si, à première vue, le site archéologique se présente comme un simple champ de ruines figées, il s'agit en réalité d'une mine d'informations non épuisée. « Des fouilles et des études archéologiques ont été entreprises dans ce château qui apportent des preuves définitives d’activités remontant aux âges du bronze et du fer », signale la DGA, ajoutant qu’un vaste projet de conservation et de fouilles archéologiques est en cours de préparation. Il en est de même pour le château de Dubieh (dit Qalaat Chakra), entouré d’un paysage historique le mieux préservé. Des traces de terrasses agricoles datant des croisés ou de périodes antérieures sont encore claires autour de la crête du château. Celui-ci a été l’objet de plusieurs campagnes archéologiques et est bien documenté.

Comme pour les autres tours du littoral libanais et syrien, l’histoire du site de la tour de Naqoura n’est pas connue. Toutefois le site web « Forteresse d’Orient » et Wanderleb (journal en ligne documentant des monuments sous-estimés ou inconnus) révèlent qu'à la suite de la victoire des Mamelouks sur les croisés et à leur conquête du Levant, une série de postes d’observation furent construits de Naqoura à Nahr el-Kebir sur la côte, au XIIIe siècle. Ils avaient pour fonction de défendre d’éventuels débarquements croisés. Celui de Naqoura s’élevait sur 10 mètres et trois niveaux, et avait une forme rectangulaire (12×11 mètres) ; le parement de la pierre est lisse, à l’exception de quelques moellons qui portent un léger relief.

Accessible par une seule porte, le premier niveau est voûté en berceau. Un escalier droit amène au deuxième étage qui comporte une grande salle couverte de deux voûtes d'arêtes. Le dernier niveau donne une portant loin sur la mer.

La DGA signale que ces quatre sites sont protégés par la loi libanaise sur les antiquités n° 166 LR de 1933 et par des décisions ministérielles.

Adloun et Sidon, désormais listés

Parmi les biens nouvellement listés par l'Unesco, figurent deux lieux qui méritent qu'on s'y attarde : Dakerman-Sidon et Adloun.

Outre la découverte des restes des plus anciennes installations villageoises du pays sur le site de Dakerman –Sidon, ce dernier a éclairé d’un jour nouveau l’histoire de la Phénicie méridionale aux XIVe et XIIIe siècles avant notre ère. Il faisait partie d’une vaste nécropole antique (accompagnée d’un nombreux mobilier funéraire, en bonne partie importé du monde égéen) qui, deux millénaires durant, s’est développée à l’est et au sud de l’agglomération.

À 20 km au sud de Saïda, Adloun abrite quatre grottes qui sont « d'une importance majeure pour la connaissance de la préhistoire libanaise », affirme à L’Orient-Le Jour l’archéologue Patricia Antaki-Masson. Pour Nicolas Carayon, de l’Université de Strasbourg, « Adloun fait partie des quinze sites occupés à l’âge du fer par une population phénicienne ». Des haches trapézoïdales massives, des ciseaux, des pointes, des grattoirs grossiers, des lames, des noyaux et des marteaux découverts témoignent que la grotte d'Adloun était un site de fabrication d’outils. L’ensemble de ces matériaux sont aujourd'hui conservés dans les collections du musée de préhistoire libanaise de l'Université Saint-Joseph de Beyrouth et du musée d'archéologie et d'anthropologie de l'Université de Cambridge. Non loin de là se trouvent également les tombeaux creusés à flanc de colline face à la mer, datant de l'âge du fer à la période romano-byzantine. En 2016, le ministère des Travaux publics et des Transports, tenu par le ministre Ghazi Zeaïter, avait entamé, avec l’accord de la municipalité de Adloun, des travaux pour la construction du « port maritime Nabih Berry pour la pêche et la plaisance ». Les défenseurs du patrimoine, principalement Green Southern, se sont mobilisés pour la sauvegarde du site qui a été finalement exproprié par la Direction générale des antiquités (DGA).

Sous le ciel de la Békaa

Le temple de Niha. Photo Wikicommons

Parmi les monuments de la Békaa inscrits sur la nouvelle liste de l'Unesco, le grand temple de Niha, situé sur le flanc oriental du Mont-Liban, à 30 km au sud-ouest de Baalbeck. Daté de la seconde moitié du IIe siècle après J.-C., « il peut facilement être comparé, pour son dispositif architectural, au temple de Bacchus de Baalbeck », écrit Klaus S. Freyberger, archéologue allemand spécialiste de l’architecture et de l’art gréco-romains en Syrie et au Liban, sur le site Persée (portail de publications scientifiques). Au nombre des points communs, il cite le double escalier de l’entrée menant dans la cella ; la crypte autour de l’adyton à baldaquin occupant un tiers de la cella (l’adyton et la cella désignent les espaces réservés aux fonctions religieuses, NDLR) ainsi que l’aménagement dans les murs intérieurs de niches articulées à la structure architectonique par des colonnes engagées. Ouvert à l’est, le grand temple offre un plan tétrastyle prostyle (dont la façade présente quatre colonnes de front) et surplombe un autel monumental de plan carré dont les fondations ont été mises au jour. L’escalier qui donne accès à la cella présente trois volées et trois paliers profonds. Certains blocs du sanctuaire pèsent plus de trente tonnes.

Le temple de Aïn Harcha. Photo Wikicommons

Toutefois, l’un des sanctuaires romains les mieux préservés se trouve à proximité du mont Hermon, dans la Békaa-Sud, dans le village de Aïn Herché (Aïn Harcha ou Hircha), dont le nom dérive de l'araméen et signifie « maison de l'esprit » ou « lieu de culte ». Une inscription grecque sur l'une des pierres du temple le date aux années 114-115 après J.-C. Construit en pierre calcaire, il s’ouvre à l’est vers Qasr Antar, un des plus hauts temples du monde antique (2 800 mètres d’altitude). Le fronton et le mur ouest sont particulièrement en bon état et des blocs sculptés présentent les bustes de Séléné, la déesse de la lune et d'Hélios, le dieu du soleil. Des vestiges d'habitations et de tombes antiques se trouvent autour du site.

Dans le mohafazat de Baalbeck-Hermel, Qsarnaba (1 190 m d’altitude) occupe une colline dominant la Békaa. Ses vastes terrains vallonnés sont dédiés aux vignobles et aux roses de Damas dont les pétales sont distillés afin d’en extraire le liquide parfumé utilisé dans de nombreux desserts. Les ruines du temple romain de Qsarnaba (Qasr Naba) construit sur une plateforme assez haute, de sorte que le visiteur doit monter un long escalier pour atteindre la salle de culte, où se trouvent les vestiges d’un autel à 12 patins, la base d’un tabernacle et l’impressionnant fronton en calcaire, qui fait face au soleil levant. Dans sa monographie La vie religieuse au Liban sous l’Empire romain (publiée en 2009 par l’Institut français du Proche-Orient (IFPO), Julien Aliquot, auteur des Inscriptions grecques et latines de la Syrie consacrées au mont Hermon (2008), décrit un temple érigé sur un massif de fondation rectangulaire de plus de 35 m de long et d’environ 15 m de large. Il repose sur un podium à trois assises, avec une base et une corniche, dominant un autel monumental à colonnettes partiellement taillé dans le rocher. Le bâtiment d’ordre corinthien est de plan hexastyle prostyle (la façade a un portique d’une seule rangée de six colonnes), comprenant un pronaos et une cella au fond de laquelle la plateforme d’un adyton (espace réservé aux fonctions religieuses) surmonte une crypte. « Deux volées d’escaliers séparées par un palier dallé et taillées dans des blocs mégalithiques sont intégrées dans le podium. Les murs du bâtiment sont dressés avec des blocs de grand appareil sommairement épannelés. Le parement extérieur des murs est orné de pilastres (…). » À la suite des violentes frappes israéliennes, des pierres des bâtiments environnants ont été projetées dans la direction du temple romain de Qsarnaba, mais celui-ci n’a pas subi de dégâts.

Ces monuments et tant d’autres qui parsèment les collines, les plaines et les montagnes de notre pays, représentent la mémoire d’un Liban gravée dans la pierre.


Biens culturels sous protection renforcée Liban

Site archéologique d’Adlun

Site archéologique d’Afqa

Temple et site archéologique d’Aïn Herché

Site archéologique d’Anjar

Sites archéologiques de Baalbek

Palais de Beiteddine

Byblos

Citadelle de Chama.

Site archéologique de Dakerman

Château de Doubiyé-Chaqra

Temple de Hebbariyé

Temple de Hosn Niha

Pont romain de Jeb Jannine

Site archéologique de Porphyreon-Jiyé

Fort de Kaifoun

Sites archéologiques de Kharayeb

Temple de Majdel Anjar

Temple de Nahlé

Site archéologique de Nahr el-Kalb

Site archéologique d’Oum el‘Amed

Qalaat Al-Chakif – Château de Beaufort

Qalaat Deir Kifa (Château de Maron)

Qalaat Tibnin (Château de Toron)

Temple de Qasarnaba

Foire internationale Rachid Karameh-Tripoli

Bassins et patrimoine bâti de Ras Al Aïn

Site archéologique de Sarepta

Sites archéologiques de Sidon

Site archéologique de la source d'Aïn el Jobb (Temnine el Faouqa)

Site archéologique de Tell el-Burak

Sanctuaire d’Echmoun

Sites archéologiques de Tyr

Musée national de Beyrouth

Musée Nicolas Ibrahim Sursock



Les frappes aériennes israéliennes au Liban mettent quotidiennement en péril les sites historiques disséminés à travers le pays, menaçant ainsi la richesse et la diversité de son patrimoine archéologique. C’est dans ce contexte que le comité spécial de l’Unesco, chargé de la protection des biens culturels en cas de conflit armé, s’est réuni le 18 novembre en session...
commentaires (2)

Jad, la liste distribuée inclut les sites inscrits au patrimoine mondial ainsi que ceux nominés sur la liste indicative du patrimoine mondial et les sites proposés en 2019, L. ENSEMBLE fait partie de la liste des 34 sites proposée par la DGA. Notre erreur est d.avoir omis de publier cette liste .

May Makarem

10 h 22, le 20 novembre 2024

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Commentaires (2)

  • Jad, la liste distribuée inclut les sites inscrits au patrimoine mondial ainsi que ceux nominés sur la liste indicative du patrimoine mondial et les sites proposés en 2019, L. ENSEMBLE fait partie de la liste des 34 sites proposée par la DGA. Notre erreur est d.avoir omis de publier cette liste .

    May Makarem

    10 h 22, le 20 novembre 2024

  • Il y a dans cet article une confusion totale entre 3 types de sites: d’une part les sites libanais inscrits sur la liste du patrimoine mondial de l’unesco (6 sites : Baalbeck, Byblos, Anjar, Tyr, la vallée de la qadisha et la foire de Tripoli), d’autre part les sites nominés sur la liste indicative du patrimoine mondial (dont le Liban peut demander l’inscription sur la liste du patrimoine mondial lorsque l’état de conservation le permettra) et enfin les 34 sites qui ont été inscrits sur une toute autre liste, celle de la convention de la Haye. Il ne faut pas tout mélanger chère may.

    Tabet Jad

    08 h 50, le 20 novembre 2024

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