Pour la première fois depuis sa création en 2018, l’incubateur Fashion Trust Arabia (FTA) n’a pas couronné de candidat libanais. Certains d’entre eux figuraient pourtant parmi les nominés, mais la chance ne leur a pas souri, alors que les éditions précédentes ont parfois vu un tsunami rouge-blanc-cèdre sur les podiums de l’organisation. Il serait intéressant de s’arrêter sur cette exception. Ces jeunes talents qui ont contribué à faire de Beyrouth une capitale informelle de la mode, à l’avant-garde des tendances, ont-ils baissé les bras ? La boucle maudite du Covid, de la double explosion du 4 août 2020, de l’effondrement économique et à présent de la guerre est-elle venue à bout de leurs ambitions ? Se sont-ils dispersés à travers le monde, privés de l’étincelle qui rendait leur ville si magnétique ? La question se pose et ne manque pas d’inquiéter, alors que l’on voudrait croire que leur élan est toujours présent et qu’ils préparent l’après.
Faire connaître les talents MENA en manque de visibilité
Organisation à but non lucratif, Fashion Trust Arabia, qui récompense chaque année une brochette de talents de la région MENA dans toutes les catégories de la mode (robes de soirée, prêt-à-porter, bijoux, accessoires), en plus d’un prix talent débutant en mémoire de l’ancienne rédactrice en chef de Vogue Italie Franca Sozzani et d’un prix attribué à un créateur d’un pays mis à l’honneur, auxquels s’ajoute en 2024 une récompense attribuée à la mode tech, est née du succès de Fashion Trust UK. Lancée en 2018 sous le patronage de la cheikha Moza bint Nasser, présidente d’honneur, avec pour coprésidentes la cheikha al-Mayassa bint Hamad al-Thani et Tania Fares, elle s’est donné pour mission la détection, le financement et le développement des talents de la mode et de l’accessoire du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord.
Fashion Trust Arabia a donc tenu sa sixième cérémonie à Marrakech, à l’emblématique palais el-Badi, dans le cadre de l’Année culturelle Qatar-Maroc 2024. Réitérant son engagement à soutenir la prochaine génération de talents de la mode de la région, la cheikha al-Mayassa bint Hamad bin Khalifa al-Thani, présidente des musées du Qatar et coprésidente de Fashion Trust Arabia, a accueilli les invités aux côtés de Tania Fares, cofondatrice du FTA. Une brillante soirée, animée par l’actrice Angela Bassett et l’acteur égyptien Ahmad Helmy, a vu défiler des invités de marque tels qu’Alton Mason, Aya Nakamura, Balqees Fathi, Carla Bruni Sarkozy, Da’vine Joy Randolph, Evan Ross, Farida Khelfa, Halima Haden, Hande Erçel, Helena Christensen, Imaan Ammam, Jameela Jamil, James Blake, Jodie Turner-Smith, Isabelle Huppert, Lucien Laviscount, Nadine Njeim, Natalia Vodianova, Nicky Hilton, Paloma Elssesser, Paris Jackson, Precious Lee, Richard E. Grant, Taraji P. Henson et Yasmine Sabri entre autres. Sophie Ellis-Bextor est montée sur scène pour interpréter ses plus grands succès.
Un jury prestigieux pour un prix généreux
Les lauréats ont été sélectionnés par un jury prestigieux composé d’experts de l’industrie, au cours de la journée de délibération qui a eu lieu au Beldi Country Club. Les 24 stylistes finalistes ont présenté leurs collections dans différentes catégories : prêt-à-porter, vêtements du soir, accessoires, bijoux, le prix Franca Sozzani Debut Talent, le Prix du pays invité (en partenariat avec l’Espagne) et le tout nouveau Prix Fashion Tech. Ils ont été passés au crible par la créatrice Amina Muaddi, Arnaud Vaillant & Sebastien, cofondateurs de Coperni, Ben Gorham, avocat et mannequin, Charles Rosier, cofondateur d’Augustinus Bader, Duran Lantink, créateur de Giambattista Valli, Gilda Ambrosio et Giorgia de l’Attico, Guram Gvasalia, directeur de la création de Vetements, Han Chong, fondateur de Self Portrait, IB Kamara, rédacteur en chef du magazine Dazed et directeur de la création d’Off-White, Laurie Stark, créatrice de Chrome Hearts, Olivier Rousteing, directeur de la création de Balmain, Rachid Rachid, président de Valentino et Balmain, Remo Ruffini, PDG de Moncler, Ruba Abu Nimah, créatrice de Moncler, Wayman & Micah, stylistes de célébrités, Yoon Ahn, cofondateur d’Ambush, ainsi que le couturier Zuhair Murad.
Non moins prestigieux, le conseil consultatif de l’année 2024 comprenait des personnalités de référence, telles que Beka Gvishiani, fondateur du compte Instagram d’infos mode Style Not Com, ou la créatrice de bijoux Gaia Repossi, ou encore Sofia Guellaty, fondatrice et directrice créative du site de tendances Mille World.
Chaque créateur lauréat reçoit un prix en espèces allant de 100 000 à 200 000 dollars, ainsi qu’un programme de mentorat personnalisé d’un an fourni par les partenaires détaillants de FTA et un réseau mondial de professionnels de l’industrie. Ce soutien complet couvre des sujets essentiels dans le développement des entreprises de mode, y compris le développement durable grâce au mentorat de Maison De Mode. En outre, les lauréats des catégories « prêt-à-porter », « vêtements de soirée », « accessoires » et « bijoux » verront leurs collections distribuées chez Harrods au niveau international et chez Ounass dans la région MENA.
Des lauréats et des histoires
La sélection finale a couronné, dans la catégorie prêt-à-porter, l’Égyptienne Nadine Mosallam, et dans la catégorie tenues de soirée, l’Égyptienne Yasmin Mansour. Pour l’accessoire, c’est l’Égyptienne Reem Hamed qui a décroché la palme. Côté bijoux, se sont distinguées les Saoudiennes Noura Abdulaziz al-Saud, Sara Naif al-Saud et Mashael Khalid al-Saud. Le prix Franca Sozzani du talent débutant a été attribué à la Palestinienne Sylwia Nazzal. Quant au prix Fashion Tech, il a été remporté par la Jordanienne Batoul al-Rashdan. Enfin, le Prix du pays invité, cette année l’Espagne, a été remporté par le tandem Francisco Barroso et Javier Garcia, fondateurs du label Acromatyx.
Nadine Mosallam, fondatrice de Nadine Mos, sa marque de vêtements féminins lancée en août 2020, est basée entre Le Caire et Londres. Elle se concentre sur le soin apporté à une confection qui suit les courbes naturelles du corps. Sa discipline et son inspiration proviennent de son héritage égyptien, que la créatrice utilise pour créer une interprétation ludique et personnelle de la notion de « maison ».
Yasmin Mansour a fondé et basé sa marque en 2014 au Qatar. Depuis lors, elle ambitionne de redéfinir la mode et le luxe à travers une approche avant-gardiste où se mêlent matériaux de haute qualité, superpositions inventives et design conceptuel. Elle collabore fréquemment avec d’autres marques afin d’exprimer sa vision et sa passion à travers un objectif commun.
Reem Hamed est une créatrice égyptienne, née et élevée au Caire. Elle est la fondatrice et directrice créative de RAMLA, une marque de chaussures locale fondée en juin 2017, à l’âge de 25 ans, dans le but de faire revivre une culture perdue et d’autonomiser les femmes artisanes. C’est au cours de sa formation à Florence qu’elle a découvert son admiration pour l’industrie de la chaussure en cuir. L’une des promesses tenues depuis le début de l’entreprise est de faire revivre un artisanat en voie de disparition tout en introduisant un produit confortable et intemporel fabriqué en Égypte.
Derrière la marque APOA (A Piece Of Art), les Saoudiennes Nora, Sara et Mashael al-Saud fusionnent la culture, l’architecture, l’art et les voyages pour créer des bijoux à la fois précieux et organiques, porteurs d’émotions.
Talent débutant, Sylwia Nazzal a fondé Nazzal Studio, une marque pionnière à l’intersection de la mode, de l’éthique et de l’activisme, profondément enracinée dans l’héritage et la résistance palestiniens. La marque s’est fait connaître avec sa collection de fin d’études, « What Should Have Been Home », créée en 2022-2023. Nazzal Studio collabore avec des femmes réfugiées et prône l’autonomisation des communautés plutôt que la production de masse.
Lauréate du prix de la mode tech, la Jordanienne Batoul al-Rashdan explore l’adaptation des formes organiques au vêtement et à l’ornement à travers l’impression 3D. S’inspirant de phénomènes fascinants, tels que la cristallisation du sable sur la mer Morte, elle les réinterprète en textures innovantes.
Enfin, la marque Acromatyx, fondée il y a dix ans par les Espagnols Francisco Barroso et Javier Garcia et lauréate du Prix du pays invité, prône la recherche en matière de modélisme, l’affirmation de l’authenticité de la confection artisanale, l’étude de la distorsion des volumes, le développement éthique et durable des produits, la collaboration avec des marques et des artisans locaux et la création de pièces capables d’émouvoir les personnes qui s’identifient à une mode inclusive, sans étiquettes.
Tout ce beau monde a permis à Marrakech de vivre à l’heure de la mode et de la créativité régionales, objectif principal de cet événement inscrit sous « l’Année culturelle Qatar-Maroc 2024 », une initiative officielle du Qatar qui se place depuis quelques années dans la collaboration culturelle en vue de resserrer les liens d’amitié de l’émirat avec le monde.