
Toni Sawma, professeur adjoint en psychologie à la LAU.Photo DR
Au début du mois d’octobre, alors que le Liban s’enfonçait dans la guerre, la LAU, comme d’autres établissements d’enseignement supérieur, s’est tournée vers l’enseignement en ligne. Avec leur routine perturbée, apprendre est vite devenu un défi pour les étudiants, qui subissent les diverses conséquences du conflit. Entre stress émotionnel et psychologique, anxiété, peur, hypervigilance pour rester en sécurité et difficultés d’accès aux ressources éducatives – dues aux déplacements, aux coupures de courant ou à une connexion au réseau instable –,
leur capacité à se concentrer et à mémoriser a diminué et leur motivation a baissé. C’est dans ce cadre que l’atelier « Apprendre en période d’incertitude » a eu lieu. S’inscrivant dans une série d’ateliers autour des besoins des étudiants offerts par le département de psychologie et d’éducation de la LAU à tous les étudiants et au personnel de l’université depuis le début de la crise, cet atelier, animé par le professeur adjoint en psychologie Toni Sawma, a abordé, d’une part, les stratégies liées au bien-être, et d’autre part, les techniques éducatives utiles dans les circonstances actuelles. « L’objectif de l’atelier a été d’aider les étudiants à apprendre de nouvelles techniques pratiques et des stratégies pour s’adapter à ces circonstances, pour qu’ils puissent gérer leur quotidien, persévérer, se concentrer et étudier », explique le psychologue clinicien. « Un tel atelier m’a semblé essentiel en raison du stress et de l’anxiété que nous ressentons, qui rendent nos tâches quotidiennes difficiles à gérer et à accomplir, surtout lorsqu’il s’agit d’étudier », observe Joud Abdul Baki, étudiant en deuxième année de biologie prémédecine à la LAU qui a participé à l’atelier. Le jeune homme, originaire de l’ouest de la Békaa, affirme avoir voulu apprendre à s’organiser et maintenir sa productivité. « Je voulais également en savoir plus sur le renforcement de la résilience mentale et émotionnelle face à ces crises critiques, et surtout apprendre à mieux équilibrer mes responsabilités personnelles et académiques, tout en maîtrisant la peur quant à ma sécurité, mon avenir, mon bien-être et celui de mes proches », ajoute-t-il, avant de confier : « En cours, j’ai du mal à me concentrer pendant de longues périodes, mon attention étant perturbée par des pensées liées à notre sécurité et à l’incertitude quant à l’avenir. » Ainsi, pour les jeunes participants à l’atelier, il s’agissait de trouver une voie leur permettant de s’accrocher à leurs études. « Conscient que je devais préserver ma santé mentale et bien cerner mes limites pour traverser cette épreuve, j’ai décidé d’en faire une priorité et de saisir toutes les occasions susceptibles de m’aider à m’adapter à cette nouvelle réalité », confie Hadi al-Roubaie, 23 ans, étudiant en psychologie à la LAU.
Joud Abdul Baki. Photo DR
« Leur vie ne se résume pas
à ce moment précis marqué
par la guerre »
Dans la première partie de l’atelier, Toni Sawma a proposé aux étudiants des techniques pratiques biocorporelles et des stratégies qui leur permettent de préserver leur bien-être et de maintenir leur routine, pour être capables d’étudier. Parmi elles figure le maintien d’un régime alimentaire sain, d’une activité physique régulière et d’un horaire stable. Joud Abdul Baki évoque ainsi certaines techniques qu’il a retenues. « Le Dr Sawma nous a encouragés à pratiquer des techniques d’ancrage, basées sur les cinq sens, et à utiliser la respiration profonde et la pleine conscience pour gérer le stress aigu. » L’assistant professeur a également souligné l’importance de pouvoir s’exprimer en toute confiance, en trouvant un support social et en gardant le contact avec ses proches et ses amis. Joud Abdul Baki avoue, par ailleurs, que l’un des conseils les plus marquants qu’il a reçus de Toni Sawma, lors de l’atelier, concerne « la nécessité de reconnaître et de comprendre la complexité de nos émotions ». « Son message selon lequel » il est normal de ne pas se sentir bien « était rassurant et stimulant. Il nous a encouragés à accepter nos réponses émotionnelles sans culpabilité ni jugement », explique l’étudiant. S’accepter et reconnaître les difficultés du moment ne doivent pas empêcher, toutefois, selon Toni Sawma, de visualiser son cheminement. « Malgré la situation actuelle et le fait que nous vivons le présent, il faut garder à l’esprit l’avant et l’après, se rappeler qui l’on était avant la crise, de même que ses objectifs et ses aspirations », relève le professeur adjoint. Ce dernier aime rappeler aux étudiants que « leur vie ne se résume pas à ce moment précis marqué par la guerre, que leur existence évolue dans une continuité et qu’il s’agit de tracer sa propre histoire en trouvant un sens à sa vie ». Dès lors, il n’est plus question de « renoncer à ses responsabilités. Et ce que les étudiants sont censés faire, c’est étudier, ne pas se résigner mais croire au lendemain », poursuit-il.
Hadi al-Roubaie. Photo DR
Pour Hadi al-Roubaie, l’atelier l’a aidé à prendre conscience de ses priorités. « Le conseil le plus utile qui m’a été prodigué a été de porter mon attention sur ce que je suis capable de gérer et de contrôler. Cela m’aidera à me changer les idées, à comprendre qu’il est normal de ressentir tout ce que je ressens parce que je suis humain », assure-t-il. La seconde partie de l’atelier s’est concentrée sur les techniques éducatives, dont certaines ont été mises en place en collaboration avec l’unité de crise de l’université. Ainsi, pour l’enseignement en ligne, selon Toni Sawma, il est crucial de pouvoir consulter des documents hors ligne, en téléchargeant les séances enregistrées et les documents envoyés, pour y avoir recours à tout moment. De même, il encourage la prise de notes, pour une écoute active. « L’une des techniques les plus efficaces qu’il m’a fournies et que j’essaie d’appliquer est la création d’une routine flexible en maintenant un horaire cohérent autant que possible, en plus d’appliquer des techniques de microapprentissage en divisant l’apprentissage et les tâches en petites sessions gérables. Il nous a également conseillé d’utiliser des flashcards (fiches de révision, NDLR), des résumés ou de courts questionnaires pour revoir les concepts de base et simplifier le travail », énumère Joud Abdul Baki. En parallèle, Toni Sawma conseille aux étudiants de « créer des groupes, WhatsApp ou autre, pour étudier ensemble, ou qu’ils prennent l’initiative de poser des questions à leurs enseignants ». « L’idée également, c’est de préserver le contact avec leurs camarades et leurs professeurs », insiste-t-il. Après cet atelier, Hadi al-Roubaie avoue avoir commencé à prendre en charge sa vie et à prioriser ses études. « Je prends des décisions rationnelles dans des situations où je ne le faisais pas avant d’avoir suivi cet atelier. Cela m’a aidé à me remettre sur la bonne voie. J’ai décidé de me concentrer davantage sur ce que je peux faire maintenant, plutôt que de rester dans un état d’incrédulité et de déconnexion. Je suis devenu plus vivant et actif depuis », assure-t-il.