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Nos Lecteurs ont la Parole

Pour le pire, comme pour le meilleur

Il se raconte que croiser la route d’un(e) Libanais(e), et s’y lier d’amitié, c’est une chance.

C’est vrai.

Si par hasard ta route venait à croiser la sienne. Et si par hasard vous vous liiez d’amitié, tu t’attacherais à l’impensable. Car par-delà les syllabes qui boitillent et des phrases qui s’étirent, ce sont les clés de son pays qui te seront tendues. Sans rien attendre en retour.

Un(e) ami(e) libanais(e) t’invitera sous son toit.

Non. Pas le toit bâti dans l’épreuve de l’exil, mais celui de sa maison, la vraie. Celle qui se trouve « là-bas ». Celle de ses parents, de son enfance. Celle où il fait soleil, où flotte un curieux parfum d’ancien, de spirales à moustiques et de photos de famille se chevauchant sur les tables basses du salon. Celle où le passé se dilate et refuse obstinément son regard au présent, en attendant des jours meilleurs. Car ses parents et ses grands-parents avaient peut-être raison, au final : le Liban, c’était mieux avant.

Tu ne déclineras pas l’invitation, car elle sera sincère. Elle viendra du cœur. Et lorsque tu y seras, c’est en sœur ou en frère que tu seras choyé, sans demi-mesure. Et, là encore, sans rien devoir en retour.

Et si le voyage ne peut se faire, car c’est de nouveau le chaos au Liban, n’aie crainte. Il y aura pour se consoler, sous son toit « d’ici », une fenêtre sur son village. Un avant-goût de ce qui t’attendra « là-bas », lorsque les choses iront mieux. Car elles finissent toujours par aller mieux. Un jour. Et que loin de ses proches, pour adoucir l’amertume de l’hiver, les murs de son exil vibrent aux sons et aux couleurs de son pays.

Et si la cuisine est trop étroite, il y aura toujours à quelques pas, au coin de la rue, le restaurant d’une connaissance ou d’un cousin éloigné. Un endroit où tu te sentiras comme à la maison. Un lieu gardé secret où les sens retrouvent vie et qui ne se dévoile qu’aux gens qui comptent. Les gens qui comprennent. Tu y seras introduit, car toi seul pourras comprendre. Et que tu compteras. Si bien qu’un jour, la patronne finira par te sermonner comme elle le ferait avec ses propres enfants.

Certains jours, tu l’entendras répéter dans une résilience désarmante que la vie est joie, que demain est un autre jour. Et de te le prouver. Quitte à jurer sur la tombe de qui tu voudras que même sous les bombes, son peuple sait chanter et danser. Mieux que personne.

Ne lui en tiens pas rigueur. Derrière le mensonge, l’espoir naïf de te préserver.

Car croiser la route d’un(e) Libanais(e) et s’y lier d’amitié, c’est un fardeau. Aussi. Et aussi gracieuse soit-elle, cette amitié ne vient pas sans prix. Elle traîne dans son sillage son lot de blessures. Et pour les percevoir, il te faudra apprendre à lire entre les lignes des humeurs. Derrière des yeux qui s’égarent quelquefois. Sous des poches que les nuits blanches creusent. Dans des prunelles qui s’éteignent par moments. Cet(te) ami(e) usera de mille artifices pour ne rien laisser paraître. C’est ainsi qu’on lui a appris à faire : mettre son poing dans la poche et danser. En attendant des jours meilleurs.

Ne te fie pas à son insoutenable légèreté. Elle cachera parfois un cerveau déphasé par les drames qui se succèdent, « là-bas ». Ne te fie pas à son sourire. Il pourra être aussi radieux au-dehors que l’écorchure sera profonde au-dedans. Ses larmes sont invisibles. Elles ne font pas de bruit. Car mieux que personne, cet(te) ami(e) en connaît le poids. Et depuis son enfance, on lui a appris à les porter en silence. Mieux que personne.

Alors si par hasard ta route a croisé celle d’un(e) Libanais(e). Et si par hasard vous vous êtes liés d’amitié. Aujourd’hui, plus que jamais, accueille le fardeau de la responsabilité avec le même entrain que tu as mis, hier, à embrasser l’extase de la légèreté. Reste présent pour le pire, comme tu l’as été pour le meilleur.

Et même si ses éclats de rire raclent le fond du pot de l’insouciance, dis-toi qu’il pourra s’agir d’un leurre. Un leurre pour t’épargner le poids de ses tourments.

Et même si tout autour, la ville est fête, arrête-toi un bref instant. Prends cet(te) ami(e) dans tes bras. Enveloppe d’amour ses mains, ses épaules pour les délester de la peine qui les accable en secret. Serre fort. Tendrement. Affectueusement. Mets-y tout ton cœur, comme si cette étreinte était la dernière. Car il se peut qu’à cet instant précis, cet(te) ami(e) rêve d’enlacer avec la même force ses proches restés sous les bombes. « Là-bas ».

Manal SALAMÉ

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « Courrier » n’engagent que leurs auteurs. Dans cet espace, « L’Orient-Le Jour » offre à ses lecteurs l’opportunité d’exprimer leurs idées, leurs commentaires et leurs réflexions sur divers sujets, à condition que les propos ne soient ni diffamatoires, ni injurieux, ni racistes.

Il se raconte que croiser la route d’un(e) Libanais(e), et s’y lier d’amitié, c’est une chance.C’est vrai.Si par hasard ta route venait à croiser la sienne. Et si par hasard vous vous liiez d’amitié, tu t’attacherais à l’impensable. Car par-delà les syllabes qui boitillent et des phrases qui s’étirent, ce sont les clés de son pays qui te seront tendues. Sans rien attendre en retour.Un(e) ami(e) libanais(e) t’invitera sous son toit.Non. Pas le toit bâti dans l’épreuve de l’exil, mais celui de sa maison, la vraie. Celle qui se trouve « là-bas ». Celle de ses parents, de son enfance. Celle où il fait soleil, où flotte un curieux parfum d’ancien, de spirales à moustiques et de photos de famille se chevauchant sur les tables basses du salon. Celle où le passé se dilate et refuse...
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