La mort violente de Hassan Nasrallah pourra-t-elle rendre possible au Liban ce qui, de son vivant, tenait de la chimère ? Depuis la confirmation par le Hezbollah du décès de son charismatique patron, samedi en milieu de journée, les appels à l’union sacrée fusent de tous les coins du pays du Cèdre. Responsables officiels, chefs de partis politiques, dignitaires religieux, politiciens de première ou de deuxième zone, opportunistes de tous poils : tout ce beau monde se gargarise de mots aussi ronflants que creux pour tenter de nous faire croire au mirage.
Mettons de côté l’irrémédiable médiocrité de notre classe dirigeante pour nous efforcer d’examiner la question plus en profondeur. En tout premier lieu, il y a une importante distinction à faire entre ce qui tient de la compassion humaine et ce qui relève de l’union nationale. Les images de détresse émanant des zones pilonnées par la machine de guerre israélienne, les visages hagards des gens jetés sur les routes, le désespoir des partisans rendus orphelins par la mort de leur chef et jusqu’aux mutilations diverses subies par des miliciens lors du terrible épisode des bipeurs, tout cela ne peut pas ne pas avoir d’impact sur les cœurs de ceux qui assistent, contraints, à cet effroyable spectacle. Il y a, heureusement, chez les hommes, quelque chose qui est parfois plus fort que la politique, mais qui, hélas, ne remplace pas la politique. Voilà pourquoi l’élan de compassion et de générosité sincères observé dans la foulée des événements de ces deux dernières semaines ne doit pas nous leurrer au point de croire qu’il s’agit là d’un signe ou d’une manifestation de l’unité de la nation.
Pour les siens, Hassan Nasrallah incarnait une espèce de demi-dieu. Pour d’autres Libanais, il était le chef d’une organisation clandestine liée à une puissance étrangère, spoliant l’État de ses prérogatives régaliennes et ayant à se reprocher une très longue série d’attentats, d’assassinats politiques et d’autres méfaits en tous genres. Pour d’autres encore (mais sans exclusivité), il représentait une force réactionnaire et obscurantiste opposée à toute réforme en profondeur de la société et de l’État. Sa mort dans les circonstances actuelles change-t-elle ces donnes ? À l’évidence, non. Ce qui serait susceptible de les changer ? Que le Hezbollah, avec ou sans Hassan Nasrallah, cesse d’être à ce point clivant. Comment ? Soit en mettant lui-même fin à son statut de parti-État et en devenant une formation politique « normale », soit en obtenant que tous les autres Libanais, ou une majorité écrasante d’entre eux, se convertissent à ses vues politiques, diplomatiques, culturelles et sociétales… Pour le moment, on ne voit aucun signe d’une évolution dans un sens comme dans l’autre.
Mais il y a autre chose de plus pertinent encore : le Hezbollah est lui-même un obstacle majeur à l’union nationale, le plus important ces dernières décennies. Comment pourrait-il en être autrement dès lors qu’il déclenche des guerres destructrices sans demander leur avis aux autres Libanais, alors même qu’il n’a aucune légitimité à le faire. Certes, de brillants esprits, comme il y en a beaucoup dans cette caricature de république, vous diront que les « déclarations ministérielles » (ou de « politique générale ») des gouvernements libanais successifs lui accordent cette légitimité en reconnaissant le fameux triptyque qui lui est si cher : « Armée, peuple, résistance ». Quel juriste digne de ce nom ose-t-il prétendre, dans un État qui se respecte un tant soit peu, qu’une déclaration ministérielle a une quelconque force de loi ? Dès lors, ce qui se passe au Liban, c’est que loin de légitimer la décision du Hezbollah, le gouvernement en devient honteusement le complice, contre les autres Libanais…
Au final, l’union nationale est d’abord un partenariat, une espèce de contrat. Lorsque le Hezbollah décide d’ouvrir au Liban-Sud un front de soutien au Hamas palestinien à Gaza sans même faire semblant de passer par les canaux institutionnels et sans accorder le moindre intérêt aux objections d’une grande partie de ses compatriotes, il rompt lui-même ce contrat. Dès lors, il peut faire ce qu’il veut, me faire subir les conséquences dévastatrices de ses guerres, mais, comme aimait à le répéter à d’autres occasions un certain général, qui de surcroît fut un temps l’ami du Hezb, il n’obtiendra pas mon adhésion…
"Tant que les libanais se reconnaissent par leur religion avant leur nationalité,...". Merci Mme Zayyat.
01 h 02, le 05 octobre 2024