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Campus - FRAPPES ISRAÉLIENNES

« Sur le moment, nous mettons les émotions de côté, mais elles reviennent avec le calme »

Quatre jeunes internes des hôpitaux de Beyrouth racontent leur expérience vécue après l’attaque des bipeurs et des talkies-walkies.

« Sur le moment, nous mettons les émotions de côté, mais elles reviennent avec le calme »

Chakib Khoury. Photo Romy el-Khoury

« Je ne peux pas affirmer que je vais bien, mais je pense que je vais mieux que les autres », lâche Chakib Khoury, interne en deuxième année de rotation à l’hôpital du Mont-Liban. Le jeune interne de 24 ans compare cette soirée à celle du 4 août 2020. « C’était presque le même chaos », dit-il. Le nombre de victimes dépassait les ressources humaines disponibles en soins de santé. « Les membres des équipes médicales faisaient de leur mieux pour absorber et gérer l’ampleur de la crise », confie l’étudiant à l’Université de Balamand. La majorité des blessés étaient accompagnés de leur famille angoissée, « ce qui rendait un examen et une prise en charge appropriés presque impossibles ». Et de confier : « Le nombre d’agents de sécurité présents n’était pas suffisant pour empêcher un membre de la famille d’un blessé de menacer le personnel avec une arme à feu afin de donner priorité à son proche. » Le jeune interne déplore la situation et estime que sa formation universitaire n’était pas suffisante pour faire face à un tel drame. Malgré cela, « les médecins assistants et les médecins en chef ont réussi à gérer la crise avec beaucoup de courage et d’humanité », estime-t-il, avant d’affirmer avec certitude : « Je crois que j’ai donné mon maximum ce jour-là ! »

Du jamais-vu

Le pire pour les internes interrogés était de voir des jeunes amputés des deux membres supérieurs ou éborgnés des deux yeux. « C’est du jamais-vu, une chose qu’on ne rencontre pas dans la pratique régulière, confie-t-il. Tout allait vite et était imprévu. » La frénésie envahissait l’hôpital. « J’ai ressenti une montée d’adrénaline. Mon corps bougeait tout seul. Je n’ai pas eu le temps de ressentir », poursuit-il, estimant que bien gérer ses émotions demeure la clé. Le jeune médecin s’acquitte de sa mission et de ses devoirs. « Nous sommes poussés à soutenir cet établissement débordé. » Chakib Khoury lance un appel à toutes les écoles de médecine et à la Croix-Rouge libanaise pour prioriser la mise en œuvre de simulations de gestion des situations de catastrophe afin de réduire les dommages dans des situations incontrôlables. Il appelle également à mettre en place « des simulations de MCI (pour mass casualty incident, ou incident avec de nombreuses victimes) pour le personnel médical et les bénévoles ».

Georgio Abou Tass. Photo DR

Ce ne sera pas la dernière fois

Ghyd el-Khoury, 22 ans, est interne en première année de rotation au centre médical universitaire de l’hôpital Saint-Georges. La jeune étudiante en médecine compare les événements vécus à un film. « Bien que le système soit préparé pour ce genre de crise, c’était le chaos, un moment imprévu », dit-elle. Elle regrette la situation en rappelant que « nous vivons au Liban ». « Je suis sûre que ce ne sera pas la dernière fois que nous assisterons à un tel scénario », estime-t-elle encore. La jeune étudiante à l’Université Saint-Georges de Beyrouth confie : « Je ne sais pas si je vais bien, je n’ai pas eu le temps d’y penser. Sérieusement, je ne sais pas. » Tous les cas se ressemblaient à l’hôpital, avec des blessures graves aux yeux, aux mains et aux hanches. « Ce que j’ai vu faisait peur et restera gravé en moi », ajoute-t-elle. Ghyd el-Khoury perçoit les choses d’une manière pragmatique. « Il ne faut pas oublier que j’ai choisi ce domaine et que je dois accepter les conséquences de ce choix. » Elle ajoute : « En tant que médecins, nous n’avons pas eu assez de temps pour être touchés émotionnellement. » Pour elle, la tête pense et le cœur sait ; il n’y a pas de place pour les émotions. « L’adrénaline nous poussait à travailler », poursuit-elle en se disant reconnaissante envers son université. « Elle croit en nous et nous laisse explorer notre potentiel. Notre formation ne se concentre pas sur la gestion des catastrophes, mais elle nous forme l’esprit et nous guide. La vie réelle et les expériences sur le terrain nous aideront à gérer de telles situations. »

Rien ne nous prépare pour une telle tragédie

« De nombreux fragments métalliques ou plastiques parsemaient les corps des victimes ; cependant, malgré leur douleur, les blessés n’arrêtaient pas de nous remercier », affirme Georgio Abou Tass, 24 ans. Le jeune interne en deuxième année de rotation à l’hôpital Saint-Charles résume la scène en trois mots : « sanglante », « chaotique » et « inimaginable ». Malgré ce sombre tableau, l’étudiant à l’Université libanaise affirme : « Je m’en sors bien. » Il poursuit : « La formation de plan blanc (dispositif de gestion de crise mis en place dans les hôpitaux) et les simulations de gestion des désastres nous donnent une idée de ces situations, mais en réalité, rien ne nous prépare suffisamment à un tel événement. » « Dans un métier pareil, il n’y a ni la place ni le temps pour les émotions », lance-t-il. Selon lui, des cours pratiques sous stress, en complément des cours théoriques, permettraient aux étudiants et aux médecins de faire face à tous les scénarios possibles.

Ghyd el-Khoury. Photo Rony el-Khoury

Certains recherchaient leurs proches, d’autres un lit

Katherine Stéphan, 24 ans, ne travaillait pas dans la salle d’urgence ce soir-là. Elle accompagnait les patients et les blessés dans les salles de traitement, classés en fonction de la gravité de leur cas. Elle confie : « Nous allons bien tant que nous pouvons l’être, je suppose. Nous nous sommes habitués aux tragédies dans ce pays. » Pour l’interne à l’hôpital Mont-Liban également, la soirée, le jour de l’attaque, ressemblait à une scène d’un film. « Des personnes recherchaient leurs proches, d’autres un lit pour leurs blessés », se rappelle-t-elle. « Nous étions vraiment perdus, c’était accablant et bondé de gens. Nous nous sommes formés pendant des années pour suivre un protocole et établir un diagnostic », poursuit-elle. Puis de se demander : « Dans un tel cas, quel bilan médical peut-on faire ? Comment examiner des membres manquants ou amputés ? Nous avons essayé au mieux d’évaluer la stabilité vitale et l’étendue des blessures des patients. » La jeune étudiante fut particulièrement marquée par un jeune homme de 27 ans qui lui demanda d’examiner les autres patients plus gravement blessés que lui. « En attendant, il commença à prier. Bien que sa main fût amputée, elle ne saignait pas », raconte-t-elle, avant de conclure : « Honnêtement, sur le moment, nous mettons les émotions de côté et nous travaillons, mais quand tout se calme, tout nous revient. »


« Je ne peux pas affirmer que je vais bien, mais je pense que je vais mieux que les autres », lâche Chakib Khoury, interne en deuxième année de rotation à l’hôpital du Mont-Liban. Le jeune interne de 24 ans compare cette soirée à celle du 4 août 2020. « C’était presque le même chaos », dit-il. Le nombre de victimes dépassait les ressources humaines...
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