« Ne donnez pas votre sang libanais à l’occupation iranienne » : un avocat visé par la justice pour un message polémique

« Ne donnez pas votre sang libanais à l’occupation iranienne. Ne donnez pas votre sang libanais aux terroristes du 7-Mai. Ne donnez pas votre sang libanais à ceux qui stoppent l’enquête sur le port. Ne donnez pas votre sang libanais aux assassins de Rafic et ses compagnons. Ne donnez pas votre sang libanais à ceux qui ont sapé le Liban. Ne donnez pas votre sang libanais à ceux qui menacent les Libanais. »

Voilà le message publié mercredi matin sur X par un avocat, Antoine Saad, qui se revendique comme indépendant mais qui est connu pour ses positions hostiles au Hezbollah et proches de celles des Forces libanaises, et qui lui vaut d’être dans le viseur de la justice.

Cette publication a été partagée alors que le Liban était encore sous le choc des explosions en série de bipeurs du Hezbollah à travers le pays. Une attaque largement attribuée à Israël et qui a fait ce jour-là au moins 12 morts et 2 323 blessés selon le bilan officiel du ministère de la Santé. Le lendemain, une seconde vague d’explosions quasi simultanées de talkies-walkies du parti chiite avait fait de nombreuses victimes elle aussi. Bilan total de ces 48 heures cauchemardesques : 39 tués et près de 3 000 blessés, selon nos chiffres. Parmi eux, des civils, notamment des enfants.

Me Saad a mélangé toutes les références dans son post : 7 mai 2008, lorsque le Hezbollah avait envahi les quartiers ouest de Beyrouth et la Montagne, assassinat de Rafic Hariri en 2005, explosions meurtrières du 4 août 2020 au port de Beyrouth... Son message avait été publié alors que les appels à des dons de sang se multipliaient pour les milliers de blessés.

La publication de l’avocat a été effacée par l’intéressé, mais les réactions ont fusé sur les réseaux sociaux.

Jeudi, l’Agence nationale d’information (ANI, officielle) a rapporté que l’avocat général près du parquet d’appel de Beyrouth Zaher Hamadé a engagé des poursuites contre Me Saad, pour « affaiblissement du sentiment national, provocation de divisions confessionnelles et sectaires au Liban en temps de guerre et atteinte à l’unité nationale ».

L’engagement de poursuites contre un avocat doit faire l’objet d’une demande devant l’ordre afin que celui-ci lève l’immunité du membre concerné. Contacté par L’Orient-Le Jour, le juge Zaher Hamadé n’a pas répondu à nos sollicitations pour commenter sa décision.

« Je ne vais pas cajoler l’occupant »

Quant à l’avocat, il s’indigne de la décision du magistrat. « Je considère que la justice est tombée dans ce pays. De toute façon, j’ai déjà dit que le sang de Bachir Gemayel coulait dans mes veines, et ils (le camp du Hezbollah) pensent que Bachir était sioniste. Donc pour eux, je suis sioniste et ils détestent mon sang ! » lance-t-il, en invoquant le souvenir de l’ex-président élu libanais assassiné il y a 42 ans.

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« J’ai peur que l’ordre des avocats n’autorise les poursuites à mon encontre. Il devrait plutôt se mobiliser pour la liberté d’expression », ajoute Antoine Saad. Il persiste et signe : « Je ne vais pas cajoler l’occupant, j’assume mes positions. Est-ce qu’ils ont donné leur sang lors du 4-Août ? Je ne crois pas. Il faut appeler un chat un chat », maintient Me Saad. Mais alors, pourquoi avoir supprimé le message ? « Mes proches ont eu peur pour moi, ils m’ont dit que le risque était trop grand », explique-t-il. « Depuis cette publication, on me menace et m’insulte tous les jours. Une publication appelant à me tuer a reçu plus de 40 messages de soutien, avant d’être effacée », poursuit-il.

Soutien, dégoût ou rire

Sur les réseaux sociaux, plusieurs internautes ont conservé une capture d’écran du message effacé d’Antoine Saad et commenté ses propos, pour ou contre. « Mais c’est qui, ce s*laud d’Antoine Saad ? » lance une femme. « Le sang des cochons ne convient pas aux honnêtes gens. Même si tu avais donné ton sang, on l’aurait jeté à la poubelle », vocifère un autre.

Côté défense, plusieurs internautes ont volé au secours de l’avocat : « Soutien total à l’avocat Antoine Saad face à tous ceux qui veulent réprimer la liberté d’expression au Liban », affirme une utilisatrice sur X en postant une photo de l’intéressé. « Sérieusement, qu’est-ce qu’il y a dans ce tweet qui attise la division ? Je pense que l’ordre des avocats va rire lorsqu’ils examineront le dossier de demande d’ouverture d’enquête sur Antoine Saad », ironise une autre.

L’avocat Antoine Saad n’en est pas à son coup d’essai quant aux propos virulents dirigés contre le Hezbollah. « On a essuyé le sol avec la moustache et la barbe de Hassan Nasrallah (...) On les a mis à genoux à Zahlé, à Aïn el-Remmané, partout ! » avait-il hurlé dans une vidéo prise quelques jours après l’assassinat en avril dernier de Pascal Sleiman, responsable du caza de Jbeil au sein des Forces libanaises (FL), qui avait suscité l’émoi. Dans une autre intervention à la télévision, Antoine Saad lançait à son interlocuteur : « Si le Hezbollah reçoit un ordre de l’Iran pour occuper le Liban, je ne sais pas qui pourrait lui faire face à part les Forces libanaises ! »

Le juge Zaher Hamadé, réputé proche du chef du mouvement Amal Nabih Berry, allié du Hezbollah, n’en est pas non plus à sa première polémique. Il avait par exemple réclamé l’arrestation de William Noun, frère d’un pompier tué lors du 4-Août, pour « atteinte à la sécurité de l’État » lorsque celui-ci avait fait irruption au Palais de justice de Beyrouth lors d’une manifestation, début 2023.