Quels sont les moments forts de l’année écoulée ?
L’AUF a achevé une phase-clé de développement du projet de cliniques juridiques universitaires. Financées par le ministère français de l’Europe et des Affaires étrangères, une vingtaine de cliniques ont été créées ou revitalisées dans cinq pays de la région dont le Liban. Elles poursuivent un double objectif : faciliter l’accès aux droits fondamentaux pour les populations défavorisées et renforcer la professionnalisation des étudiants en droit. Au Liban, en collaboration avec les barreaux, le projet a bénéficié à 5 universités : l’Université libanaise (UL), l’Université La Sagesse (ULS), l’Université Saint-Esprit de Kaslik (USEK), l’Université arabe de Beyrouth (UAB) et l’Université Saint-Joseph (USJ). Ainsi, l’AUF a construit un réseau régional qui comprend 20 universités – en Palestine, en Jordanie, en Irak, en Égypte et au Liban – collaborant sur le même projet, tout en travaillant en étroite coopération avec des universités en France. Le 2e projet d’envergure, qui a pris fin cette année et qui est également financé par le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, est un projet d’appui technique et pédagogique à des universités du Liban, de Palestine et d’Irak, en vue de faciliter leur transition numérique. Il a été lancé durant la pandémie de Covid-19, afin de relever les défis de l’enseignement en ligne. Au Liban, l’AUF a formé 969 professeurs universitaires ainsi que des ingénieurs dans 3 universités : l’UL, l’ULS et l’Université islamique (UI). L’AUF a par ailleurs organisé au Qatar la Conférence régionale des recteurs, présidée par le recteur de l’USJ, le père Salim Daccache. À titre personnel, un autre moment fort a été la création du prix AUF Dolla Karam Sarkis. Nous avons eu la tristesse de perdre brutalement le Pr Sarkis qui a été la représentante du Moyen-Orient au conseil d’administration de l’AUF, avait collaboré activement avec l’agence depuis une vingtaine d’années et y avait occupé des postes-clés. Ce prix d’excellence a été créé par l’AUF pour lui rendre hommage et perpétuer sa mémoire.
Alors que la situation au Liban continue de se détériorer, comment l’AUF prévoit-elle de maintenir son soutien au système éducatif et scientifique ?
Un plan d’urgence de l’AUF s’applique actuellement à la Palestine. Toutefois au Liban, nous continuons de maintenir un flux important en ce qui concerne le soutien au système éducatif et scientifique, qui s’aligne sur les priorités stratégiques de l’agence pour la période 2021-2025. Ces actions s’inscrivent sur le long terme. L’AUF organise un grand nombre de formations sur le numérique, le français, la médiation et d’autres sujets liés à la vie universitaire. Nous soutenons aussi des projets de coopération scientifique, des thèses de doctorat, les mobilités académiques, l’élaboration de nouvelles filières francophones, les départements de français, les manifestations scientifiques, etc., en plus de l’action de coopération internationale et de la mise en réseau. L’AUF fournit un soutien de base dont l’ampleur produit à terme un effet structurel. Nous nous efforçons, en outre, de maintenir une certaine normalité, et de conserver Beyrouth en tant que plateforme naturelle de rassemblement pour le Moyen-Orient. L’AUF continue d’y organiser des manifestations qui regroupent des participants de la région. Si nécessaire, nous reportons les événements à la dernière minute. Nous ne sommes pas dans une perspective défaitiste, nous gardons une continuité dans nos actions. Nos deux Centres d’employabilité francophone, à Beyrouth et à Tripoli, organisent des formations gratuites destinées aux jeunes, sur des thématiques répondant aux besoins en numérique et en employabilité. En complément, lorsque les financements sont disponibles, l’AUF travaille sur des formations professionnalisantes, vers un public jeune, vulnérable, extra-universitaire. La vie continue, même si le sud du pays est en état de guerre. Et dès que l’AUF le pourra, nous apporterons un soutien spécifique à cette partie du Liban. Ainsi, tout est organisé en dépit des difficultés, notre action est comparable à une course de fond, son objectif est de maintenir les structures éducatives, de préserver le capital humain et de ralentir son érosion ainsi que sa dégradation qualitative, comme c’est probablement le cas.
Quels sont les projets prioritaires pour cette année, en recherche et en entrepreneuriat ?
L’AUF a mis en place des dispositifs de soutien à la recherche. Le Liban est le seul pays qui bénéficie d’un projet intitulé R3, mis en place conjointement avec le CNRS-Liban, qui permet, sur une période de trois ans, de financer des projets de recherche et des thèses de doctorat. Toujours en partenariat avec le CNRS-Liban, nous avons également lancé un programme de mobilité de chercheurs libanais, entièrement financé par le gouvernement du Québec, qui enclenche de nouvelles coopérations scientifiques. Nous établissons également, en collaboration avec la Conférence des recteurs de la région, un annuaire régional des chercheurs francophones qui permettra de valoriser l’expertise scientifique francophone dans la région et au Liban.Concernant l’entrepreneuriat, la démarche s’adapte bien à la situation du Liban – où le marché de l’emploi reste fortement déprimé – et répond également aux évolutions du marché du travail à l’échelle mondiale, marqué par une fragmentation croissante. Bien entendu, cela ne constitue pas une réponse structurelle aux problèmes économiques du pays. Les actions dans le domaine de l’entrepreneuriat sont pertinentes pour les universités, en complément de leurs priorités stratégiques, et permettent de conférer des compétences spécifiques aux étudiants. En collaboration avec le ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur, l’AUF a créé le statut national d’étudiant entrepreneur au Liban. L’AUF a soutenu la mise en place d’incubateurs universitaires grâce à des crédits européens et a installé ses deux pré-incubateurs, à Beyrouth et Tripoli. Aujourd’hui, tous les éléments de base sont en place. Sélectionnés par les incubateurs universitaires, des projets d’étudiants sont accueillis par les pré-incubateurs de l’AUF, et certains sont dirigés vers des incubateurs professionnels, avec de bonnes chances de création de start-up viables, sous la protection d’un statut juridique qui encourage les étudiants.
Qu’en est-il des projets avec les universités libanaises ?
Nous sommes un acteur-clé dans la gestion de grands projets d’enseignement supérieur financés par des bailleurs de fonds. Des dispositifs de l’AUF sont aussi proposés aux universités.L’AUF travaille sur deux grands projets qui seront, nous l’espérons, mis en place en 2025. Le premier, financé par le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, vise à soutenir l’intégration de l’intelligence artificielle dans l’enseignement supérieur au Liban et dans la région. Il comporte deux volets : l’utilisation d’outils pédagogiques éthiques et adaptés, et l’aide aux universités pour réviser les curricula afin de les adapter à l’évolution rapide des métiers dans les années à venir.Le deuxième projet, financé par l’Union européenne, vise à créer des centres universitaires de services aux étudiants et aux communautés dans des zones périphériques et défavorisées. Il s’agit d’un soutien à la professionnalisation en numérique et à l’employabilité des étudiants et du grand public, qui pourrait se déployer notamment dans le sud du Liban ou la Békaa.
Quelles actions l’AUF mène-t-elle cette année en collaboration avec le ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur ?
L’AUF a adopté une doctrine visant à l’alignement de ses actions avec les priorités nationales, et peut même aider à les élaborer si nécessaire. Nous travaillons de concert avec le ministère. Pour aider le Liban sur le long terme, il est essentiel de soutenir et de renforcer le service public, malgré le fait que certains s’en détournent. C’est pourquoi nous collaborons avec le ministère, le CNRS-Liban et l’Université libanaise. Parmi les projets majeurs en cours, le programme Apprendre, financé par l’Agence française de développement, fournit une expertise directe au ministère dans divers domaines techniques liés à la pédagogie. L’AUF intervient sur la mise en place de projets transdisciplinaires, l’encadrement pédagogique, l’évaluation, l’orientation professionnelle et la création d’un think tank (groupe de réflexion) au Centre de recherche et de développement pédagogiques. Nous avons également mis en place un programme de formation des maîtres des écoles publiques, financé par l’AUF et l’Organisation internationale de la francophonie.
Un dernier mot à ajouter ?
La direction régionale est fortement investie dans la mise en œuvre d’un Plan AUF de solidarité spécial Palestine, pour soutenir une initiative palestinienne et internationale d’enseignement à distance depuis la Cisjordanie pour les étudiants de Gaza et tenter de maintenir une forme de continuité éducative, dans les conditions très dégradées ou épouvantables que vous imaginez, et en grande partie sans connectivité. Au Liban, sans vouloir être pessimiste, la situation, y compris le système éducatif, se dégrade, bien que lentement. Cette dégradation n’est pas irréversible. L’éducation et la recherche doivent être considérées comme des priorités nationales essentielles et vitales. Cela doit donc rester au centre des préoccupations de tous les responsables libanais et de tous les amis du Liban. À long terme, c’est le profil socioculturel unique de ce pays qui est en jeu. Pour être réaliste, l’inertie perdure dans le domaine éducatif, comme dans d’autres domaines. L’AUF et une partie de la communauté internationale amie du Liban font de leur mieux pour soutenir le pays, mais nous ne pouvons que l’accompagner. Le sursaut ne peut venir que du Liban lui-même. Nous l’avons attendu en 2024 et nous continuerons à l’attendre en 2025.