Il n’a pas la gueule d’un mec qui fait rire, ce beau gosse à l’allure de séducteur. Et pourtant c’est ce qu’il aime par-dessus tout. « Amuser les gens, les déstresser, leur offrir un moment de bonheur, sentir qu’ils sont en train de se délester de leurs soucis quotidiens, établir un vrai échange avec le public. » Son préféré, justement, est le public libanais, qui l’avait si bien accueilli, en 2019, lors de son passage sur la scène du théâtre Monnot avec Jamais le deuxième soir, une pièce de boulevard dans laquelle il faisait ses premières armes de comédien.
Cette fois, c’est toujours dans le même registre du vaudeville contemporain qu’il revient à Beyrouth, au Monnot, avec Fabienne Tendille et Camille Casanova ses partenaires dans Les femmes pardonnent mais n’oublient jamais*. Une histoire de couple, de tromperie, de jalousie et de mensonges forcément...
« Je reviens avec l’énorme motivation d’essayer de recréer cette alchimie que j’avais eue avec mes compatriotes il y a cinq ans », déclare ce Franco-Libanais qui insiste sur « l’incomparable énergie, la chaleur, la bienveillance » qu’il avait éprouvées au Monnot. « J’ai hâte de ressentir à nouveau ce contact et ce partage », dit-il avec des accents de sincérité. D’autant qu’il n’a pas peur d’affirmer que « les Parisiens sont extrêmement blasés, ils ramènent avec eux dans la salle leurs soucis du quotidien. Et ça, on le ressent. Alors que les Libanais sont là juste pour être bien, pour le sourire, pour être heureux, passer un bon moment et laisser les problèmes quels qu’ils soient, politiques, de guerre ou familiaux derrière la porte du théâtre ».
Son père, son héros, le Liban
Né en France en 1979, où sa famille s’était installée durant la guerre, Polo Anid assure que sa relation au Liban est aussi « intense » que la relation qu’il avait avec son père, décédé en 2014. « C’était mon héros. Nous avions une grande proximité, voire une dépendance et j’ai toujours éprouvé une grande admiration envers lui. Il m’a transmis ses valeurs qui sont celles de la famille, du travail, de la générosité et du partage. Profiter de la vie, être là les uns pour les autres, ne jamais abandonner, tomber 9 fois se relever 10… Tous ces piliers qu’il m’a inculqués étaient aussi ceux du Liban. D’où l’affect que j’ai envers ce pays. »
Un pays où le quadragénaire n’a jamais véritablement vécu, mais où il a passé énormément de temps en vacances. En voyages d’affaires aussi. Car dans une première vie, Polo Anid – en bon Libanais qui se respecte – a fait carrière dans la finance. Chez Merrill Lynch plus précisément, où il a débuté par un stage dans les bureaux de Beyrouth, signale-t-il, avant de passer par ceux de New York et d’y terminer son parcours en tant que vice-président de la boîte à Genève.
À la suite du décès de son père, il décide de changer de vie. « J’avais travaillé 11 ans dans la finance, survécu à la crise des subprimes et à beaucoup d’autres crises sans me poser de questions… Ce n’est que lorsque Merrill Lynch s’est fait racheter par Bank of America, et qu’on m’a demandé si je souhaitais rester dans la nouvelle structure en m’y proposant un nouveau poste, que j’ai réalisé que j’étais resté dans ce domaine uniquement par confort, parce que c’était facile et que j’étais à l’abri du besoin. J’ai refusé de continuer dans cette voie qui ne me convenait pas, et que j’avais empruntée juste pour suivre les traces de mon père, qui était lui-même banquier. Je voulais le rendre fier de moi. C’était fait. À son départ, j’ai réécouté l’enfant qui sommeillait en moi, cet enfant qui a toujours aimé amuser la galerie en faisant le pitre et en écrivant des sketches dans sa chambre, et je me suis autorisé à faire ce que j’avais toujours eu envie de faire. »
« J’aurais voulu être humoriste »
À 35 ans, après une formation au cours René Simon, Polo Anid laisse donc tomber le confort et le pragmatisme d’une vie de financier pour se lancer dans l’incertitude et les aléas d’une carrière artistique. « On m’a dit que j’étais courageux, que j’ai pris de gros risques, mais je ne le vois pas ainsi. Je me suis juste libéré de ce qui entravait mon épanouissement et qui me faisait ressentir une boule au ventre au quotidien. D’autant qu’à l’époque je n’avais ni femme ni enfants à charge », dit avec sincérité ce comédien qui, au départ, voulait être humoriste.
Fan absolu des grands amuseurs publics qu’étaient Coluche, Thierry Le Luron et surtout de l’inégalable Louis de Funès, autant que paradoxalement inconditionnel des registres plus pointus d’Ariane Mouchkine et de Wajdi Mouawad - « mon compatriote au travail sublime », signale-t-il-, Polo Anid ambitionnait de se lancer dans le show d’humour. « Mais je me suis vite rendu compte qu’être seul sur une scène ne m’allait pas. J’avais besoin du partage avec d’autres comédiens, de m’ancrer dans leurs yeux, d’échanger, de rire ensemble. Après, j’avoue que je suis très marqué par les mimiques et la manière de jouer de Louis de Funès, mon idole, un génie total, ce qui fait que sur scène, j’en fais parfois beaucoup… Mais ça correspond à ce que je suis aussi au naturel. »
Un atelier de jeu destiné aux femmes libanaises
Un naturel décontracté, simple, chaleureux et une positivité qu’il communique aussi bien à ses partenaires sur scène qu’aux personnes qu’il rencontre. Ce qui a amené la dynamique directrice du théâtre Monnot, Josyane Boulos, a le solliciter pour animer durant son séjour à Beyrouth (ce jeudi 18 septembre de 11h à 14h) un atelier de jeu, intitulé « Théâtre et (de la) résilience », adressé uniquement (et gracieusement) aux femmes. Pourquoi seulement les femmes y ont-elles droit ? « Il faut le demander à Josyane. Mais, étant un féministe convaincu, ça me va bien. D’autant que je pense qu’il y a quelque chose à creuser sur le rôle de la femme en Orient et la difficulté qu’elle a parfois à s’exprimer. C’est donc là que je vais intervenir pour aider les participantes à surmonter leurs doutes et à prendre la parole en public », explique cet artiste qui professe le « théâtre-thérapie ».
Dix ans après ses premiers pas de comédien, Polo Anid a aujourd’hui à son actif plusieurs pièces de théâtre, dont Jason et Médée (2016), Jamais le 2e soir (en 2017, une pièce qu’il a interprétée plus de 1 500 fois sur les planches parisiennes et en tournées) ou encore Nobody is perfect (2019), ainsi que des apparitions sur le petit écran français dans des séries à succès (Scènes de ménage, Petits secrets en famille ou encore Un si grand soleil) et quelques rôles au cinéma, notamment dans le film Iris de Jalil Lespert (en 2016) ou encore Boîte noire (en 2019) auprès de Pierre Niney.
Bien qu’ayant décroché en 2018, le prix du meilleur comédien au Festival Les Clayes du cinéma**, et rêvant de travailler un jour sous la direction de Tim Burton ou encore de Wes Anderson, dont il « aime particulièrement les univers esthétiques », Polo Anid reste un comédien de théâtre dans l’âme.
« Le théâtre est là où je prends le plus de plaisir immédiat. J’aime sentir le public, l’entendre rire, ressentir le pouls de la salle au fur et à mesure que les spectateurs entrent dans l’intrigue, dans notre univers au point d'en oublier tout le reste… J’aime cet échange que je n’ai pas sur un plateau de cinéma. Je vis vraiment ma passion », conclut cet homme visiblement heureux sur scène... Comme dans la vie, auprès de sa femme, la chroniqueuse et animatrice de télévision française Caroline Ithurbide. Une dernière info qui risque de bouleverser ses nombreux admirateurs et admiratrices !
*« Les femmes pardonnent mais n’oublient jamais », de Pierre Léandri, Frank Duarte et Enver Recepovic, du 18 au 22 septembre au théâtre Monnot, à 20h30. Billets en vente chez Antoine Ticketing.
**Un prix qu’il a décroché pour son rôle dans le film « Expérience », réalisé par Kevin Bodin.