L’idée de départ était « d’amener l’art à l’hôpital et de le faire entrer dans le quartier de cette maison de l’enfance et l’adolescence », précise le Dr Noémie Cuissart de Grelle, médecin responsable d'unité au service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent aux Hôpitaux universitaires de Genève. Pour sa production intitulée Les rêves qui dévorent la rivière et à laquelle a participé la fondation Convergences, le romancier et dramaturge Souhaib Ayoub a une fois de plus laissé libre cours à ses fantasmes les plus loufoques, dans une confusion temporelle et spatiale où les contours du réel, du moi et de la vie se délitent, pour suggérer un espace d’entre-deux déroutant. « C’est d’abord une voix. Puis l’autre. Une troisième enfin, invisible, venue d’ailleurs (…) Reste l’antique clameur, le banquet fou des illuminés, des gens assis et des pleureuses (…) ; le monde des vivants et des morts, des gens atteints et des gens bien portants, des chimères et des réalités apparentes forment une seule et même blessure que certains soirs sous la lune, entre chien et loup, il convient de ne plus distinguer », analyse l’écrivain Philippe Roisse dans un texte introductif à la pièce qui sera proposée le 20 septembre à la Maison de l’enfance et de l’adolescence de l’hôpital genevois.
Ayoub a écrit cette pièce en arabe et en français, au cours d’une résidence artistique au sein de l’hôpital psychiatrique réservé aux enfants et adolescents. « Je pouvais échanger avec les jeunes, avec leurs parents, avec le personnel soignant, et j’ai retravaillé ces histoires en y ajoutant celles de ce quartier particulier. À cet endroit, se trouvait un centre réservé aux lépreux, et au Moyen Âge, un espace où l’on brûlait les sorcières. Cette richesse narrative a nourri ma pièce », explique joyeusement l'homme de théâtre. En arrière-plan, il a souhaité rendre les frontières entre l’espace fermé de l’hôpital psychiatrique et le quartier moins étanches. « À 20 heures, au lieu de fermer les portes du lieu, nous les ouvrirons pour recevoir gratuitement le public afin qu’il découvre la pièce. Le texte est littéraire et poétique, et deux espaces se rencontrent, ceux de la mort et de la rêverie. Je me suis inspiré des histoires que j’ai pu entendre auprès des patients, comme celle d’une mère qui a tué ses enfants. Il y a aussi un effet d’écho entre le personnage et moi, nous avons tous deux une grand-mère originaire de Lattaquié », ajoute l’artiste tripolitain.
« J’aime faire parler les morts »
Sur scène, deux femmes, interprétées par Joséphine de Weck et Ninar Esber, soutenues par une voix-off et une bande son réalisée par Maxime Daviaud. Sa création musicale, très contemporaine, mêle le flamenco, l’electro, les cris…
« Tout se passe dans la chambre d’une morte, à l’hôpital, dans ce moment entre la mort et l’après-mort. Sur scène, les deux femmes sont à peu près la même personne, elles incarnent la mort et la double-mort, et montrent que nous sommes des mélanges d’histoires. Comme dans mes livres, j’aime faire parler les morts. Ninar incarne celle qui va regarder la mort autrement, elle semble dense mais finit par apparaître plus légère, plus tendre. Elle invite l’autre femme à accepter la mort, en la mettant dans son linceul », ajoute l’auteur de Rajol Min Satin (L’Homme de satin, Hachette Antoine, 2018), qui apprécie le travail du tissu dans l’écriture. Sur scène, un monologue dédoublé qui exprime ce que l’on a tendance à mettre de côté, à travers le rêve et la mort, dans une chorégraphie orchestrée par Maria Ribot (dite La Ribot).
Ninar Esber et Souhaib Ayoub se sont rencontrés à la Villa Empain de Bruxelles, lors d’un hommage à Etel Adnan en mai 2022. « Nous sommes devenus amis, et j’apprécie beaucoup son travail, notamment ses romans. Jouer dans sa pièce à Genève me permet de renouer avec mon passé car j’ai joué dans deux films, l’un avec un réalisateur tunisien, l’autre avec Maroun Bagdadi. Dans les années 90, j’ai eu le second rôle dans la pièce Julia Domna, de Chérif Khaznadar et Françoise Gründ, avec Mireille Maalouf. C’est l’histoire d’une princesse syrienne qui a épousé Septime Sévère », précise l’artiste qui s’est spécialisée dans la performance artistique à partir des années 2000.
Dans Les rêves qui dévorent la rivière, la binarité de l’interprétation féminine ne repose pas sur un effet de contraste. « On incarne chacune un aspect et son contraire, on parle de l’intime dans un jeu de ping-pong où se font entendre la solitude et la difficulté à affronter l’existence. Au fond, cette femme est prisonnière d’elle-même, et insaisissable, ce qui laisse beaucoup de liberté aux comédiennes et au spectateur », poursuit Nina Esber.
Elle admet reconnaître parfois Souhaib Ayoub dans ses mots. « Dans certains passages je le vois, je l’entends, avec son expérience, l’exil, son amour de la poésie, et c’est très émouvant pour moi. Le projet est porté par une équipe très compétente, et par la passion et le désir de tous les participants. Ce que l’on aimerait, c’est pouvoir jouer cette pièce au Liban », conclut la comédienne.
Que les adeptes de l’univers déjanté de Souhaib Ayoub se rassurent, Les rêves qui dévorent la rivière est la première d’une trilogie. Le second volet sera présenté dans un monastère catalan, en 2025. Le dramaturge travaille déjà avec la comédienne qui incarnera son personnage, une ancienne bouchère catalane.
Chèr l’OLJ, beaucoup de vos articles sont incomplets, on n’arrive pas a lire la fin sur l’appli. Merci ??
17 h 56, le 16 septembre 2024