Au lendemain de l'important incendie qui s'est déclaré dans la décharge de Bourj Hammoud, au nord de Beyrouth, deux experts en pollution atmosphérique, Charbel Afif, directeur du département de chimie à la faculté des sciences de l'Université Saint-Joseph (USJ) ainsi que la députée Najat Aoun Saliba, professeure à l’Université américaine de Beyrouth (AUB), ont répondu aux questions de L'Orient-Le Jour concernant la nature de ce sinistre et les risques sanitaires qui s'ensuivent.
Quels types de polluants ont été rejetés dans l'air à cause de cet incendie ?
Charbel Afif : Les polluants qui ont émané de cet incendie sont déjà connus, ils sont essentiellement de types gazeux et particulaire. Il y a tout d'abord les polluants « classiques » comme le monoxyde de carbone (CO) ou le dioxyde d'azote (NOx), mais il y a aussi des substances plus dangereuses dont les particules fines (PM2,5), les hydrocarbures de type « aromatiques polycycliques » ainsi que les dioxines et les
Quelles conséquences pour les habitants de Bourj Hammoud et des quartiers avoisinants ?
Najat Saliba : Vu la quantité de fumée noire qui a émané de la décharge et qui s'est dispersée dans la ville, les personnes vulnérables, à savoir les enfants, les personnes âgées, asthmatiques ou atteintes d'autres troubles respiratoires vont être grandement affectés par cet événement, en particulier au niveau du système respiratoire et cardio-vasculaire. Ce sont les conséquences immédiates, mais il y a également des effets indésirables à moyen ou long terme qui ne doivent pas être pris à la légère, comme l'augmentation des maladies cancéreuses ou cardiovasculaires. Ce qui s'est passé hier est un nouveau crime contre les habitants de Beyrouth, car de tels déchets ne devraient pas être stockés et brûlés à l'intérieur d'une ville.
Jusqu'où cette pollution s'est propagée ?
C.A. : En raison de la direction et de l'intensité du vent, le nuage de fumée s'est dispersé sur un rayon de plus de sept kilomètres. C'est pour cela que l'odeur s'est fait sentir dans quasiment toute la ville. Des quartiers comme Achrafieh, Hazmieh, Mansourieh voire des zones montagneuses encore plus éloignées ont probablement été atteintes dans des proportions importantes, d'autant parce que l'odeur persiste depuis plusieurs heures. Généralement, lorsque l'on sent l'odeur de la pollution, cela veut dire que sa concentration dans l'air est très élevée. Si l'odeur n'est pas perceptible, cela ne signifie pas forcément que l'on n'a pas été exposé à cette pollution, mais plutôt à un niveau moins important.
Jusqu'à quand cette pollution sera présente dans l'air de Beyrouth à des taux nocifs ?
N.S. : Ce genre de polluants et de particules se propage très rapidement et peut persister dans l'atmosphère de la ville pendant plusieurs jours. Tant que l'incendie ne sera pas complètement éteint dans la décharge, un apport de polluants va continuer de venir saturer l'air au-dessus de Beyrouth et en premier lieu aux alentours de Bourj Hammoud.
C.A. : Tout va dépendre de la durée de l'incendie dans la décharge (d'où de la fumée continue d'émaner depuis vendredi matin, NDLR). Mais même après l'extinction du feu, il faudra attendre entre 24 et 48 heures pour que les choses reviennent à la normale. C'est bien plus nocif qu'un pic de pollution. Un tel événement est exceptionnel en termes de toxicité.
Quels sont les bons réflexes à adopter pour limiter l'impact de ce nuage de pollution sur notre santé ?
N.S : La première chose à faire, surtout pour les personnes vivant près de la décharge à Bourj Hammoud, est de porter un masque lorsqu'on se rend en extérieur (idéalement de type N-95). Il faut aussi essayer d'arroser les murs extérieurs et les balcons de son logement pour nettoyer toute pollution éventuelle sur les habitations. Pour l'intérieur, l'idéal serait d'utiliser un purificateur d'air et de se laver dès que l'on rentre chez soi. Si des personnes atteintes de pathologies sentent qu'elles ont des difficultés respiratoires, elles ne doivent pas hésiter à se rendre à l'hôpital si elles n'ont pas accès à un fournisseur d'oxygène. Si cela est possible, les personnes à risque feraient mieux de rester dans des espaces clos le temps que la pollution diminue.
C.A. : Le premier réflexe est de fermer toutes les portes et les fenêtres qui donnent sur l'extérieur tant que le nuage de pollution ne s'est pas dissipé. Il vaut mieux mettre la climatisation quand la chaleur est trop importante plutôt que d'ouvrir les fenêtres pour éviter que d'autres polluants pénètrent à l'intérieur. Si l'odeur de la pollution s'est infiltrée à l'intérieur, il faut nettoyer tout ce que l'on peut dans son domicile, ainsi que les balcons et les terrasses. En ce qui concerne le nettoyage des façades des bâtiments, il faudra probablement attendre les premières pluies.
CO2 c'est le dioxyde de carbone. Le monoxyde de carbone c'est CO.
23 h 05, le 13 septembre 2024