Vendredi 6 septembre, en début d’après-midi. Aysenur Eygi, une Turco-Américaine de 26 ans, est tuée d’une balle dans la tête à Beita, une localité près de Naplouse, en Cisjordanie occupée. Accusées d’être à l’origine du tir mortel, les forces israéliennes ont déclaré « très probable » qu’il s’agissait d’un tir « involontaire », affirmant que leurs troupes visaient « l’instigateur principal » lors d’une « émeute violente ».
L’incident s’est déroulé alors que des affrontements opposaient Palestiniens et soldats israéliens après la prière musulmane du vendredi, sur la colline faisant face à la colonie d’Evyatar, légalisée par le gouvernement israélien en juin dernier. Des bras de fer récurrents se produisent depuis plusieurs mois, attirant des activistes, notamment étrangers, qui espérent que leur présence protégera les habitants du village en Cisjordanie occupée. C’était la première fois que la jeune femme se rendait dans les territoires palestiniens, et la première fois aussi à une telle manifestation, bien qu’elle craignît un dérapage.
Reprenant le rapport d’enquête israélien, le président américain Joe Biden a estimé qu’il était probable que l’activiste ait été accidentellement tuée par une balle perdue, plutôt que par un tir intentionnel des militaires israéliens. Les États-Unis n’ont pas demandé l’ouverture d’une enquête indépendante. De son côté, la famille d’Aysenur Eygi a publié un communiqué le lendemain de sa mort, accusant l’armée israélienne d’avoir « illégalement et violemment » pris la vie de leur fille et appelant Washington à ordonner une investigation indépendante, une enquête israélienne étant jugée « insuffisante ».
Commentant les résultats présentés par l’État hébreu, la famille a réitéré sa frustration à l’encontre de la Maison-Blanche, qui a passé au moins quatre jours sans appeler les proches de la victime américaine.
Les circonstances de la mort d’Aysenur Eygi, selon le « Washington Post »
Remettant en question la version israélienne, le quotidien Washington Post a publié, le mercredi 11 septembre, les résultats de ses propres analyses à l’aide de nouvelles preuves vidéo et de témoignages.
L’enquête du quotidien américain a révélé qu’Aysenur Eygi a été mortellement touchée à la tête « plus d’une demi-heure après le pic des affrontements » entre les manifestants palestiniens et les soldats israéliens. Selon le journal, elle se trouvait à plus de 200 mètres des militaires, ayant pris position sur un toit du village, lorsqu’elle a été tuée.
Avec d’autres personnes, la jeune femme s’était rendue en taxi à Beita, à environ 30 minutes de Ramallah, pour assister à la prière hebdomadaire des habitants du village en signe de protestation contre la présence d’une colonie israélienne à proximité. D’après les témoins interrogés par le Post, des soldats israéliens lourdement armés et de jeunes Palestiniens jetant des pierres et brûlant des pneus ont commencé à s’affronter, les premiers tirant rapidement du gaz lacrymogène et des balles réelles.
Face à l’escalade de la violence, Aysenur Eygi, ainsi que d’autres militants et résidents, se sont repliés sur la route. En se mettant à l’abri, une activiste australienne d’une soixantaine d’années qui accompagnait la jeune femme comme « binôme », identifiée par son prénom, Helen, par crainte de représailles israéliennes, est tombée et s’est foulé la cheville. Arrivée en bas de la colline, les deux femmes se sont réfugiées dans un bosquet d’oliviers, derrière un arbre. La Turco-Américaine est alors restée aux côtés d’Helen.
Selon des personnes présentes, quelques minutes de calme ont suivi, sans tirs ou gaz lacrymogène. Militant israélien aguerri, Jonathan Pollak a dit avoir repéré un soldat israélien posté sur le toit d’un bâtiment voisin « pointer son arme » en direction des activistes. Il aurait ensuite vu un flash et entendu deux coups de feu. D’autres témoins ont fait état de trois détonations. À ce moment-là, Aysenur Eygi s’est effondrée face contre terre, juste à côté d’Helen, du sang coulant du flanc gauche de sa tête. Elle a été déclarée morte à 14h35 après plusieurs tentatives de réanimation à l’hôpital le plus proche.
Violence croissante en Cisjordanie
La mort violente d’Aysenur Eygi a suscité une condamnation internationale et remis la lumière sur les agissements des forces israéliennes dans les territoires occupés. Depuis le 7 octobre 2023, au moins 634 Palestiniens ont été tués, selon des chiffres de l’ONU qui ne font pas la différence entre combattants et civils. Certains l’ont été par des soldats israéliens, d’autres à cause d’attaques de colons. L’épisode a néanmoins conduit le président Biden à qualifier l’événement d’« absolument inacceptable » et plusieurs responsables comme le secrétaire d’État Antony Blinken à exprimer des inquiétudes quant aux règles d’engagement de l’État hébreu en Cisjordanie. Si le chef de la diplomatie américaine a promis qu’il y aurait des conséquences, aucune enquête indépendante n’a été exigée.
Alors que la dépouille mortelle d’Aysenur Eygi est attendue le vendredi 13 septembre en Turquie pour être enterrée, le ministre turc de la Justice, Yilmaz Tunc, a annoncé que le bureau du procureur général d’Ankara enquêtait sur « les personnes responsables du martyre et du meurtre » de la citoyenne turque. Le ministère des Affaires étrangères a déclaré, pour sa part, qu’il « fera tout son possible pour que ce crime ne reste pas impuni », le président Recep Tayyip Erdogan ayant laissé entendre que la Turquie porterait l’affaire devant la justice internationale.
Dans des circonstances similaires, la correspondante de la chaîne qatarie al-Jazeera, Shirine Abou Akleh, également citoyenne américaine, avait été tuée par un sniper israélien dans le camp de réfugiés de Jénine, également en Cisjordanie, en 2022. Après une condamnation internationale, l’armée israélienne avait d’abord nié toute responsabilité, avant d’admettre, un an plus tard, qu’il y avait une « forte probabilité » qu’elle ait été « accidentellement » tuée par des tirs israéliens, bien qu’aucun soldat n’ait été inculpé.
Rachel Corrie était une “WASP” morte dans des circonstances similaires, et le gouvernement américain s’en fichait. Ses mère et père ont parlé aux journaux de la similarité des décès / meurtres des deux jeunes femmes.
23 h 43, le 13 septembre 2024