« Il faut agir vite. La situation est devenue intenable ! ». Ce cri, le journaliste Chadi Hiléné du site Akhbar Al Yawm l'a lancé mardi dans une lettre ouverte au ministre sortant de l'Intérieur dans laquelle il l'appelle à faire de la sécurité routière « une priorité absolue », en alertant contre des accidents de la route fatals et récurrents.
Car rien que durant les 13 premiers jours de septembre, au moins 28 personnes, parfois à peine âgées d'une vingtaine d'années, ont perdu la vie dans des accidents de la route, selon les chiffres du Centre de gestion du trafic au Liban (TMC). À titre de comparaison, durant tout le mois de septembre 2023, 40 décès ont été enregistrés par le TMC, et 26 pour l'année d'avant.
Rita, Joseph, Jocelyne...
« Un jeune homme en soins intensifs après un accident de la route », titrait le site Lebanon 24 mardi. La veille, le TMC signalait deux morts et 14 blessés suite à 13 accidents de la circulation en 24h. « De lourds bilans cette année », annonçait pour sa part le site tayyar.org, le jour-même.
Des victimes qui ont un nom et un visage. Comme celui de Rita Nacouzi, 28 ans, tuée le 10 septembre sur son siège passager alors qu'elle se trouvait en compagnie de son fiancé. Ou encore Joseph, son épouse Jocelyne, leurs enfants de quatre et deux ans, Michel et Elias, et leur neveu de 15 ans Majed, tués après la chute de leur véhicule dans un ravin de la vallée de la Kadicha à Bécharré, le mois dernier.
Si chaque accident tragique fait les gros titres des médias et ne laisse pas indifférent sur les réseaux sociaux, peut-on en déduire que les routes au Liban sont désormais plus mortelles que par le passé ?
Cette année, le nombre total de victimes d'accidents de la route s'élève à 270 morts à ce jour, selon l'association Yasa pour la sécurité routière, alors qu'il reste trois mois avant la fin de 2024. Selon les chiffres du TMC pour l'année en cours, 210 personnes ont perdu la vie depuis janvier 2024 à ce jour, sans compter le mois d'août dont les chiffres n'ont pas pu être fournis par le centre au moment de la publication de l'article. Pour la même période en 2023, 247 victimes ont été signalées.
Des chiffres sous-estimés ?
Mais ces chiffres ne reflètent que les décès survenus immédiatement après l'accident et n'incluent pas les victimes qui succombent à leurs blessures des jours ou même des mois plus tard, ce qui signifie que le nombre réel de décès est probablement plus élevé que ce qui est rapporté, prévient la Yasa.
« Tout cela est dû à la négligence et au chaos qui s'accumulent », affirme Ziad Akl, fondateur de l'association, à L'Orient Today. Depuis 2019, le Liban est aux prises avec une grave crise économique qui frappe de plein fouet les institutions publiques, notamment le ministère des Travaux, limitant leur capacité à entretenir les routes.
Joe Daccache, vice-président de la Yasa, explique pour sa part le bilan assez lourd de cette année par une combinaison de facteurs, notamment les conséquences de l'effondrement économique, le manque d'entretien des routes et une loi rarement appliquée. Les forces de sécurité, par exemple, souffrent d'un manque de ressources qui limite leur capacité à faire respecter les lois. « Cela fait des années que nous mettons en garde contre ce scénario. Chaque année est pire que la précédente, et personne n'agit », se désole-t-il. Il note que le nombre d'accidents a tendance à augmenter durant l'été, car de nombreux expatriés retournent au Liban pour les vacances. « Le code de la route n'est pas appliqué. Lorsque (le ministre sortant de l'Intérieur Bassam) Maoulaoui a essayé de mettre en œuvre un plan de sécurité, il n'y a pas eu d'accident », rappelle Joe Daccache, faisant référence au plan lancé en mars dernier et à l'issue duquel de nombreux véhicules, notamment des deux roues, ont été confisqués.
Si elle reconnaît la responsabilité des Forces de sécurité intérieure dans la prévention des accidents, une source au sein de l'institution affirme que d'autres entités devraient aussi assumer la leur. « C'est une responsabilité partagée entre nous, le centre d'immatriculation des véhicules et le ministère des Travaux publics, qui entretient les routes », explique la source. « Lorsque nous avons tenté de faire appliquer la loi dans le cadre de notre plan de sécurité, nous nous sommes heurtés à une opposition généralisée », ajoute-t-elle, sans plus de détails.
Entretien des véhicules
Pour ne rien arranger, l'entretien des véhicules a lui aussi été affecté par la crise économique. « Même si les inspections des véhicules étaient en place, les gens n'ont tout simplement pas l'argent nécessaire pour réparer leurs voitures, ce qui contribue à l'augmentation du nombre d'accidents », explique Joe Daccache. « Le ministère des Travaux publics doit entretenir les routes, alors que notre rôle en tant qu'ONG est de sensibiliser la population. Si cela est fait correctement, il est possible de réduire le taux de mortalité sur les routes de 50 % », assure l'expert.
Le ministère a lancé une série des projets de réhabilitation de routes cette année, en particulier au cours des dernières semaines, couvrant des régions allant du sud jusqu'au nord, en passant par la Békaa. Toutefois, M. Daccache prévient que le revêtement des routes ne suffit pas. « Lorsque vous asphaltez une route, les gens roulent plus vite sur des axes qui manquent d'éclairage. Si le gouvernement n'a pas les moyens d'éclairer les autoroutes, on pourrait plutôt se concentrer sur des routes plus petites et bien entretenues, notamment avec de la peinture réfléchissante, moins chère et plus efficace pour l'éclairage », plaide-t-il. Il évoque en outre le problème de la distraction au volant, principalement due à l'utilisation du téléphone portable. « Les conducteurs ne se contentent plus d'envoyer des textos au volant, Ils enregistrent maintenant des vidéos en conduisant, ou passent des appels en visio ou se prennent en selfie », regrette-t-il.
Le ministère de l'Intérieur et le ministère des Travaux publics n'ont pas pu être joints dans l'immédiat pour un commentaire.
J’ai arrêté de conduire mon scooter depuis peu a cause des psychopathes sur les routes. Je n’exagère pas quand je dis que 80% des conducteurs sont sur leur téléphone, et ils s’offusquent si vous avez l’outrecuidance de klaxonner pour leur indiquer votre présence ou leur demander de poser leur téléphone puisqu’ils conduisent sur la voie de gauche a 40 a l’heure…
15 h 18, le 14 septembre 2024