« Je vais vous dire la vérité : si on avait vu un ministre, on l'aurait sans doute chahuté, menacé... Ou pire. On n'arrive plus à tenir. » D'une voix tremblante mais décidée, l'ancien général libanais Georges Nader prévient : tant que les revendications des manifestants ne seront pas entendues, le gouvernement ne se réunira pas. Âgé de 67 ans, ce retraité de l'armée s'est levé à l'aube pour empêcher, dans la rue, la tenue du Conseil des ministres mardi, avec des dizaines de ses pairs venus de tout le Liban.
« Quand on est arrivés devant le Sérail, on a vu trois ministres fuir vers l'intérieur. Ils ne nous ont pas parlé », raconte le général en colère, fier d'avoir causé un « ajournement forcé » de la séance du Conseil des ministres prévue ce matin. Avant de lancer cette promesse : « Toute future séance où nous ne sommes pas en tête de l'ordre de jour sera bloquée, les ministres n'entreront pas (au Sérail). Ce n'est pas eux qui choisissent, ils doivent faire leur devoir ! »
Le Conseil des ministres d'aujourd'hui a donc été reporté sine die, comme l'a annoncé un communiqué du bureau du Premier ministre sortant Nagib Mikati en début d'après-midi. Outre lui, seuls quatre autres ministres ont pu se rendre au Sérail ce matin. Le reste n'a pas pu y entrer, plusieurs dizaines de militaires à la retraite et manifestants en ayant bloqué l'accès avec des pneus brûlés.
« On les a à l'œil »
« Je ne touche que 6 millions 300 000 livres libanaises de retraite par mois, ça fait 70 dollars. Je vis comment avec ça ? » hurle Georges Nader au téléphone. « Mes enfants qui vivent à l'étranger m'aident, ils m'envoient de l'argent. C'est une honte et une humiliation qui nous est infligée par les ministres », poursuit-il au milieu des clameurs et du chahut devant le siège de la présidence du Conseil. « Et ça fait sept ans qu'on est dans la rue ! »
Outre le fait de voir leur dossier figurer en premier à l'ordre du jour, les anciens militaires réclament « la publication d'un plan de réajustement des salaires 48h avant la tenue de toute prochaine séance » du Conseil des ministres. Dans un communiqué, ils exigent une amélioration de leurs indemnités de retraite et une revalorisation des salaires de tout le secteur public.
L'ex-général Sami Rammah, proche de l'ancien général des commandos de l'armée Chamel Roukoz, abonde : « M. Mikati ose s'étonner et se demander pourquoi on est là ? Quelle honte ! Il avait promis en début d'année que la grille des salaires serait réétudiée, et toujours rien ! » s'indigne ce retraité qui vit avec 400 dollars mensuels. « Nous avons réussi à bloquer la séance, et nous le referons. On n'hésitera pas à y aller plus fort, on les à l'œil ! » s'indigne-t-il.
L'Association des retraités mise en cause
Dans un communiqué du Sérail publié en journée, le ministre sortant de l'Industrie Georges Bouchikian se dit « désolé » des manifestations et affirme que « ce sujet fait partie de nos préoccupations et est inscrit dans les articles du budget » 2025. Il assure que Nicolas Mezher, un ex-officier représentant l'Association des retraités de l'armée, a été contacté et que « les manifestants l'ont empêché d'entrer » au Sérail.
« Ils refusent de laisser entrer le général Mezher pour que nous puissions négocier avec lui, sachant que nous avons des propositions. Avec qui allons-nous parler ? Si personne ne veut discuter avec nous, à quoi cela mènera ? » demande le ministre, sans détailler les « propositions » en question. Il a également défendu le fait que le Liban « ne peut plus s'endetter » et critiqué le blocage des séances du Conseil, comme l'a fait le conseiller de M. Mikati Farès Gemayel au micro de la chaîne al-Jadeed. « On a annulé le Conseil, est-ce que cela profite au pays ? Au contraire, cela est nuisible », a lancé M. Bouchikian.
Réagissant à ces propos, Sami Rammah hausse le ton : « L'Association dont fait partie le général Mezher ne représente pas les militaires retraités et conspire contre leurs droits. On ne peut pas du tout lui faire confiance, elle coopère avec le pouvoir corrompu. » Lui qui affirme avoir servi l'État pendant 40 ans dénonce un gouvernement qui « n'a pris aucune mesure » pour aider ses pairs. « Déjà qu'on est vieux, retraités, malades pour certains... En plus, on est pauvres ! »
« Ce budget revient à nous enterrer vivants »
Mais les ex-militaires n'étaient pas les seuls à battre le pavé mardi. L'ancien professeur de lycée Mohammad Qassem, membre de longue date de l'Association des enseignants, a exhorté la population à la mobilisation. « Le gouvernement transgresse les lois et doit en porter la responsabilité », explique-t-il. « Il faut qu'il y ait un article précis dans le budget 2025 nous concernant, sinon on va encore trinquer. Il y a un déficit de 33 % dans ce projet et ils vont nous faire payer, j'en suis sûr. »
Pour cet ex-professeur de 66 ans, la mobilisation continuera aussi, sans relâche. « Qu'ils réétudient le budget 2025, ou alors ils feront face au peuple libanais. Ce budget ne passe pas, il revient à nous enterrer vivants ! » peste-t-il. Quant aux promesses de Mikati ? « On n'en croit pas un seul mot, tout ça disparaît 30 minutes après avoir été dit. Il est comme Pinocchio, son nez s'allonge à chaque fois qu'il parle. » Pour lui, le dialogue est bel et bien rompu avec les responsables, et les choses pourraient empirer. « Ils seront tenus responsables de l'escalade qui arrivera. » Une escalade prônée par tous les vétérans contactés, même s'ils se refusent à en préciser les actions... Pour l'instant.
Voila 5 ans que la mafia corrompue et criminelle du pouvoir politique et fiinancier a recours a la procrastination tout azimuths. Le temps des negociations est termine. Vient le temps de la redition des comptes. Gibiers de potence.
10 h 30, le 11 septembre 2024