Mardi, le Conseil des ministres a prévu de consacrer au moins une première séance à l’examen de l’avant-projet de budget pour 2025, préparé par le ministère des Finances et transmis dans les délais.
Le texte prévoit une hausse de 39 % des dépenses publiques par rapport à 2024 (4,77 milliards de dollars) et un déficit de 4,11 % que l’État pourrait décider de financer en émettant de nouveaux bons du Trésor (des obligations d’État en livres libanaises). Il met également de côté l’équivalent en livres libanaises de plus de 600 millions de dollars en réserves budgétaires, un montant largement supérieur à la norme.
Ces chiffres ne sont pas encore gravés dans le marbre, et il n’est pas impossible qu’un projet de budget complètement différent ressorte du Grand Sérail d’ici à octobre, à condition que l’exécutif respecte cette année encore les délais prévus par la Constitution et la loi libanaises.
Ce qui est en revanche certain, c’est que le texte n’a pas convaincu grand monde, tant du côté du secteur privé que des syndicats.
Secteur privé et syndicats
Les organismes économiques, principale organisation patronale du pays, ont déjà soumis au gouvernement et au ministère des Finances « un certain nombre de remarques et de suggestions », selon leur secrétaire général Nicolas Chammas, qui est aussi président de l’Association des commerçants de Beyrouth. Contacté, il affirme que l’organisation « attend que le gouvernement complète la mouture définitive du projet pour voir si les remarques du secteur privé ont été prises en compte » avant de prendre position, ajoutant qu’« il y a nombre de mesures soumises dans le projet de budget initial qui ne vont pas », sans plus de détails.
De son côté, la Confédération générale des travailleurs du Liban (CGTL) affirme, par la voix de son président Béchara el-Asmar, être en train de finaliser « un rapport » dans lequel elle compte lister tous les problèmes de l’avant-projet de budget. Selon M. Asmar, ce rapport devrait être publié dans les deux jours. « Nous aborderons alors ce sujet de manière précise à ce moment-là », ajoute-t-il, tout en laissant entendre que le texte préparé par le ministère des Finances repose sur les mêmes bases que les précédents : sans vision ni investissements pour l’avenir.
À noter que, malgré la hausse des dépenses qu’il prévoit, l’avant-projet n’a pas introduit de mesure ajustant les salaires de la fonction publique pour compenser totalement la perte de valeur liée à l’effondrement de la livre depuis le début de la crise.
L’avocat fiscaliste Karim Daher, membre de l’Aldic (Association libanaise pour les droits et les intérêts des contribuables) et qui a suivi de près les processus d’élaboration de toutes les lois de finances adoptées ces dernières années, considère que l’avant-projet est globalement défaillant, malgré quelques bonnes initiatives.
« Charges exagérées ou inefficaces »
« Au niveau de la démarche, on reste dans la lignée des budgets précédents, avec des recettes et des dépenses qui semblent déterminées sans étude préalable et une logique réduite à son plus simple appareil : les recettes budgétaires et notamment fiscales servent à couvrir les charges publiques », développe l’avocat, sans aucun égard à la fonction régalienne de l’État providence au niveau social et économique.
Karim Daher déplore également que la plupart des charges inscrites dans l’avant-projet « sont exagérées ou inefficaces ». « Comme il n’y a toujours pas de réforme de la fonction publique, l’État doit continuer de payer les salaires et les retraites de 300 000 fonctionnaires, y compris ceux des forces armées. Le problème, sous réserve des forces armées et de sécurité qui remplissent pleinement leur mission ou des retraités qui ploient sous le poids de l’inflation et des charges excessives de la vie avec la perte de valeur de leur pouvoir d’achat, c’est que seulement environ 8 000 de ces agents remplissent effectivement des fonctions utiles au sein des différentes directions et institutions du pays, selon les résultats d’études effectuées », estime-t-il. « Il y a beaucoup de postes inutiles et beaucoup d’autres qui coûtent cher en avantages divers et en clientélisme. Non seulement cela alourdit le budget, mais cela bloque en plus toute possibilité d’accorder des salaires corrects aux fonctionnaires qui le méritent. De plus, l’argent englouti dans ces charges pourrait être investi pour acquérir du matériel notamment numérique afin d’améliorer certains services publics et de lutter contre la bureaucratie et la corruption », poursuit-il.
Ce défaut majeur du budget est symptomatique d’un mal encore plus grand, considère l’avocat. « Il n’y a absolument aucune trace chiffrée dans l’avant-projet qui a été transmis des réformes que le gouvernement est supposé lancer pour restructurer le secteur bancaire et assainir le passif du pays, ce qui démontre que la classe dirigeante n’est pas vraiment sérieuse dans ses intentions de réformer le pays », analyse-t-il.
Recettes incertaines
Du côté des recettes, le constat n’est pas plus brillant. « Il est difficile de croire que les projections du ministère, qui espère couvrir plus de 95 % de dépenses en hausse de 40 % par rapport à l’année dernière avec des recettes fiscales et non fiscales, soient fiables », estime encore Karim Daher. Il souligne que le pays est toujours en crise, qu’il est récemment entré dans un 12ᵉ mois marqué par les répercussions, au Liban-Sud, de la guerre de Gaza, que la saison touristique, qui avait commencé mieux que prévu, a été avortée par la montée des tensions au Liban-Sud fin juillet, et que même les importations devraient baisser avec le risque d’intégrer la liste grise du GAFI (Groupe d’action financière) et ses répercutions. « Comment, dans ces circonstances, s’attendre à ce que les recettes fiscales augmentent ? » s’interroge Karim Daher, regrettant que le préambule du budget, dans lequel le ministre sortant des Finances Youssef Khalil doit en principe expliquer sur quelles bases il a construit son avant-projet, ne soit pas accessible.
Bien qu’il considère que la liste des défauts est encore longue, l’avocat fiscaliste relève tout de même quelques rares points positifs. Il note, par exemple, que cet avant-projet ne propose aucune hausse d’impôts ni de nouveaux prélèvements obligatoires et se contente d’ajuster certains abattements et frais à la réalité actuelle du taux de change. « C’est notamment le cas des articles 24 et 25, qui ajustent les abattements applicables dans le calcul des droits de succession et de donation, qui n’avaient pas été modifiés auparavant dans le budget 2024, par oubli sans doute, concomitamment à l’ajustement des tranches imposables. »
Il souligne enfin que l’un des principaux cavaliers budgétaires (disposition qui n’a rien à voir avec le budget mais qui est introduite dans le projet de loi de finances avec l’espoir qu’elle soit adoptée plus facilement ou discrètement) de cet avant-projet introduit, pour le coup, une mesure bénéfique. Il s’agit de l’article 18, qui apporte plus de précision à la définition du bénéficiaire effectif (Ultimate Beneficiary Owner) d’une société ou entité en ciblant notamment ceux qui se cachent derrière des prête-noms et impose des pénalités aux contribuables qui ne dévoilent pas, ou dévoilent de manière erronée ou trompeuse, le bénéficiaire effectif. Une mesure qui va dans le sens des recommandations du GAFI, mais qui pourrait être censurée par le Conseil constitutionnel pour raison de cavalier budgétaire.
Pour dresser un budget il faut déjà se baser sur les pertes et profits des années précédentes où tout est détaillé sans maquillage ni censure. Or ces corrompus qui sont toujours au pouvoir, ont été incapables de donner les chiffres exacts à la demande de la banque mondiale, quant aux milliards dépensés. Alors bon courage pour la suite. Ils nous prennent pour des abrutis que nous sommes peut être puisqu’on les laisse faire sans broncher.
14 h 42, le 10 septembre 2024