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Fakra, Mansouri, même combat

Au Liban, beaucoup d’encre indignée a été versée en réaction à un reportage de Georges Malbrunot, paru fin août, sur Fakra. Publiée dans le Figaro, l’enquête s’attardait avec complaisance sur une société plus ou moins fermée au sein de laquelle la compétition de dépenses et d’ostentation est quant à elle ouverte. Le cliché du riche Libanais qui se dore la pilule dans un luxueux cocon, immunisé contre les conflits qui tout autour font rage, est forcément vendeur. Il a même la vie dure, aussi vrai que l’extravagance ne manque jamais de public.

Ce qui peut sembler scandaleux dans toute autre civilisation est, au Liban, coutumier. Il y a bien des activistes qui veillent en ce moment même sur l’éclosion et l’accès à la mer en toute sécurité des bébés tortues du sanctuaire de Mansouri, non loin de Tyr. La région est pourtant bombardée de manière intempestive depuis plusieurs semaines.

Un non-Libanais ne peut pas imaginer que la vie puisse continuer en temps de guerre, ou que l’on s’évertue à préserver des créatures vulnérables au risque de sa propre vie. Un non-Libanais ne peut pas concevoir que l’argent dépensé avec largesse, parfois pour un instant de partage et de plaisir, puisse – aussi – provenir de sources honnêtes et même d’un dur labeur. Ni qu’une voiture, une montre ou un bijou de prix, au-delà d’une frime contestable, représentent des récompenses que l’on se fait à soi-même pour marquer un succès.

Au Liban, l’argent n’est pas diabolisé comme ailleurs. Certes, dans une économie effondrée et monétisée à l’extrême, sans vrai contrôle, sans apport significatif de la part d’un État quasi inexistant, en contrepartie d’impôts pourtant dûment payés par des centaines de milliers d’employés et d’entreprises, on devrait veiller au grain. À peine trouve-t-on un équilibre que tout peut à nouveau basculer. On devrait aussi se méfier de ces fafiots qui passent de main en main avec leur sale petite odeur de soufre. Ils sont sûrement souillés de contrebande, de grands trafics et d’invisibles malversations. Il n’empêche, Carpe Diem est ici la maxime générale, de haut en bas de la pyramide qui symbolise une théorie bien libanaise du déversement : les riches dépensent, les pauvres vivent des dépenses des riches. Loin d’être équitable, cet aspect exotique de notre économie fait l’affaire (et les affaires), en attendant des réformes qui s’appellent Godot.

Le regard bien français – c’est-à-dire mi-amusé, mi-scandalisé – du journaliste du Figaro sur les villas, les pelouses, les piscines, les Lamborghini et les sunsets de Fakra (clichés qui abondent en tant d’autres lieux privilégiés de la terre) n’est pas partagé par les Libanais. Pourvu que l’argent entre, on ne lui demande pas de visa. Le confetti géographique que nous appelons notre pays est lui-même divisé en mille confettis, mille régions à deux faces. En dehors du phénomène Fakra, complexe bourgeois niché dans la montagne avant le débarquement sporadique, parmi ses habitués, de quelques énergumènes en mal de visibilité et de reconnaissance, il existe aussi de modestes villages d’agriculteurs, de vastes régions enferrées dans leurs traditions où l’on se contente du peu qu’offrent les provisions artisanales et saisonnières. Si le journaliste a voulu montrer le contraste entre une partie du petit pays qui poursuit tranquillement une vie privilégiée quand une autre est soumise à des bombardements quotidiens, il s’est trompé de cause. Constamment soumis à des basculements brutaux de leur quotidien, les Libanais, tous moyens confondus, ont appris à vivre comme s’il n’y avait pas de lendemain et à profiter intensément de moments qui ne reviendront pas. Riche ou fauché, on aime mieux gaspiller son argent plutôt que sa vie. Ici, malgré de violentes inégalités, les couchers de soleil sont parmi les plus beaux du monde et la chaleur humaine la source de bonheur la mieux partagée.

Au Liban, beaucoup d’encre indignée a été versée en réaction à un reportage de Georges Malbrunot, paru fin août, sur Fakra. Publiée dans le Figaro, l’enquête s’attardait avec complaisance sur une société plus ou moins fermée au sein de laquelle la compétition de dépenses et d’ostentation est quant à elle ouverte. Le cliché du riche Libanais qui se dore la pilule dans un...
commentaires (18)

Le hic c'est que l’argent ne provient pas toujours "de sources honnêtes et même d’un dur labeur" dans le cas de certaines personnes citées par Malbrunot. Cela dit, le journaliste du Figaro ne porte aucun jugement mais même en cherchant bien, on peine à trouver dans la presse française des papiers sur d'autres "lieux privilégiés de la terre" , comme par exemple Courchevel ou la Côte d'Azur où l'argent russe "bien mal acquis" a coulé à flots pendant des années sans susciter beaucoup d'émotion ni fait couler d'encre. Notre excuse, s'il en faut une, c'est Carpe Diem comme vous l'écrivez si bien.

Marionet

15 h 26, le 05 septembre 2024

Tous les commentaires

Commentaires (18)

  • Le hic c'est que l’argent ne provient pas toujours "de sources honnêtes et même d’un dur labeur" dans le cas de certaines personnes citées par Malbrunot. Cela dit, le journaliste du Figaro ne porte aucun jugement mais même en cherchant bien, on peine à trouver dans la presse française des papiers sur d'autres "lieux privilégiés de la terre" , comme par exemple Courchevel ou la Côte d'Azur où l'argent russe "bien mal acquis" a coulé à flots pendant des années sans susciter beaucoup d'émotion ni fait couler d'encre. Notre excuse, s'il en faut une, c'est Carpe Diem comme vous l'écrivez si bien.

    Marionet

    15 h 26, le 05 septembre 2024

  • Pardonnez mon intrusion, mais je dis NON à ce lifestyle que je trouve ignoble de la part des riches Libanais, qu'ils aient gagné leur argent honnêtement ou à la façon mafiosi ( et il y en beaucoup). Le seuil de pauvreté a atteint des niveaux inacceptables. On ne peut pas voyager sur Quatar Airways quand un Libanais/Libanaise doit se taper 2 taxis services pour se rendre à son travail pour un salaire dérisoire. Les gens de Fakra vivent sur une autre planète. J'en sais quelque chose..J'ai honte de Tragique..

    Raed Habib

    14 h 07, le 05 septembre 2024

  • Merci Madame Abou Dib pour vos "Impressions" quasi hebdomadaires, sur le ton de la confidence qui me plaît énormément. Les "Impressions" font du bien à maints lecteurs dont moi. En vous lisant, je me console en me disant que la terre (que voulez-vous, elle est ronde !) serait un bien meilleur endroit pour vivre. Beaucoup de respect, Madame.

    NABIL

    11 h 31, le 05 septembre 2024

  • Sans complexe, je préfère mille fois entendre la voix de Céline Dion ou Joyce Elkhoury venir donner de leur voix à Baalbeck que d’entendre le bourdon des explosifs téléguidés par des drones ou le bruit effrayant d’un mur de son. Oh ! Artistes de la terre entière, venez chez nous à Baalbeck, en temps de guerre ou en temps de paix, et je serai ravi d’assister à vos représentations. Mais la guerre, on en a assez, quoi. Nous voulons, non pas survivre, mais vivre chez nous au Liban.

    NABIL

    11 h 26, le 05 septembre 2024

  • Et les festivals d’été parlons-en. Le déplacement du festival de Baalbeck (immense scène culturelle au monde) fut déplacé dans une banlieue de Beyrouth par respect de la volonté des belligérants, qui avaient l’intention de transformer le pays en terre brulée. Le programme minimum pour n’avoir rien à se reprocher. Et ça n’est pas assez pour la presse parisienne et leur professeur et consultant aux affaires moyen-orientales.

    NABIL

    11 h 22, le 05 septembre 2024

  • Et les libanais a Monté Carlo que dites vous ?

    Eleni Caridopoulou

    10 h 40, le 05 septembre 2024

  • Malbrunot....Le journaliste enlevé en Syrie ?Où a-t-il logé à Faqra et chez qui ????

    Tamimtamim

    09 h 50, le 05 septembre 2024

  • Je n’ai pas eu l’impression que G. Malbrunot ait été mal intentionné. L’ article rejoint un autre article dans le même esprit paru dans le WSJ. Néanmoins c’est vrai que les Français ont un complexe vis-à-vis de l’argent : Trois raisons à cela à mon avis : Un sentiment de révolution inachevée, un déni que des personnes puissent se débrouiller mieux ou travailler plus que soit et s'enrichir, et enfin un échec de l'elite au pouvoir en France durant 30 ans qui n’a pas su donner confiance à la population et l’a faite vivre sous perfusion.

    Moi

    09 h 32, le 05 septembre 2024

  • Pas que les couchers de soleil.....Il y a ton joyau d'article chaque jeudi matin.

    Fazah Leila

    07 h 55, le 05 septembre 2024

  • Belle plume qui décrit si bien nos états d’âmes et notre Life style. Les libanais ont atteint un commun degré de maturité face aux déconvenues absolument inégalable. Nous avons des leçons a donner…

    Roll

    06 h 33, le 05 septembre 2024

  • Superbe article et bonne réponse d'un vrai Libanais qui connait bien son pays et ses habitants!!Merci beaucoup!!

    Hélène SOMMA

    03 h 59, le 05 septembre 2024

  • Superbe article , mais il y a aussi des drames inadmissibles que tout le monde partage , comme les décès quotidiens par accidents de voiture ! Un vrai malheur !

    Chucri Abboud

    02 h 49, le 05 septembre 2024

  • bof

    Abdallah Barakat

    02 h 45, le 05 septembre 2024

  • L’indifférence aux malheurs de ce monde ? Il faut être Libanais pour le savoir. Vous écrivez : "Un non-Libanais ne peut pas imaginer que la vie puisse continuer en temps de guerre", alors qu’à Paris occupée, on allait au cinéma, au théâtre, en passant devant la Kommandantur ! Chez nous, un jeune écrivain ayant obtenu récemment un Goncourt décrivait une scène où sa maman en quittant Beyrouth par avion,et au moment du décollage, elle regardait par le hublot un massacre. Tellement invraisemblable que dans de telles occurrences, on ferme l’aéroport. Face à la tragédie, elle prenait de la hauteur.

    NABIL

    02 h 25, le 05 septembre 2024

  • Tout prendre au pied de la lettre ? J’ai déjà écrit que c’est un vieux débat. Une célèbre photo (de composition ?) d’un grand photographe libanais a fait polémique lors de sa publication. La photo est belle, provocante, (ça fait plaisir), montrant en avant plan une libanaise (les Libanaises sont belles entre toutes, comme chacun le sait) en bikini au bord d’une piscine, fumant le meilleur narguilé de Beyrouth. Un petit nuage de fumée, et en arrière-plan une banderole sur un balcon du mythique Saint Georges. La farniente quoi ! J’adore ça, et quel pied de nez à l’histoire en marche…

    NABIL

    02 h 01, le 05 septembre 2024

  • Faqra, ce lieu de villégiature chic (pas autant ostentatoire que d’autres endroits dans d’autres pays en guerre) oui Faqra, est un formidable pied de nez aux événements en cours. Pas d’accord le résumé cynique (sic) que de déclarer je cite : "Une microsociété y vit dans l’opulence, imperméable à la réalité environnante, alors que la guerre rôde et que certains villages bombardés par Israël à 150 km de là commencent à rassembler à Gaza". Libanais de la diaspora, je préfère regarder à la tv les Jeux Olympiques à Paris. Et alors ! Après 50 ans de guerre, d'indfférence à mon sort, je veux vivre.

    NABIL

    01 h 38, le 05 septembre 2024

  • Ne vous emportez pas ! Excellente Fifi Abou Dib ! L'article du Figaro du samedi 31 août laisse entendre que l'argent n'a pas d'odeur sauf au Liban, je cite : ""des privilégiés aux fortunes d’origines diverses""… Mais c'est aussi un vieux débat. Longtemps la société libanaise, du temps des années Arafat et même après, était stigmatisée par l’indifférence à la violence de l’évènement du moment, des reportages montrant la dolce vita sur les plages de Jounieh, alors qu’un peu plus loin, en arrière-plan, la guerre fait rage.

    NABIL

    01 h 20, le 05 septembre 2024

  • Le Figaro qui a perdu son âme,, est loin d’être le mieux placé pour donner des leçons au Liban et aux libanais…

    KLAM Antoine

    01 h 20, le 05 septembre 2024

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