Moins d’un mois après que l’agence de notation Fitch a annoncé qu’elle ne pouvait plus mesurer le niveau de solvabilité du Liban, une autre de ses principales consœurs américaines, Standard & Poor’s (S&P), a publié lundi soir son dernier rapport semestriel, dans lequel elle rappelle et précise son diagnostic précédent du Liban, qu’elle considère en défaut sélectif depuis quatre ans (le pays avait fait défaut sur ses euro-obligations en mars 2020).
Depuis cet épisode, le pays s’est vu attribuer la note de « SD » (selective default) sur sa dette en devises à long et court termes, et de « CC » et « C » avec perspective négative pour ses bons du Trésor en livres libanaises à long et court termes, que l’État continue d’honorer, mais qui ne valent presque plus rien compte tenu de l’effondrement de la livre en cinq ans. Les notes de S&P sont alignées sur celles de Moody’s et de Fitch, jusqu’à l’annonce faite par cette dernière en juillet dernier. La situation du Liban est encore plus incertaine depuis le début de la guerre de Gaza, qui a éclaté le 7 octobre et déborde au Sud, ce que l’agence rappelle dans son rapport.
Risques pour le service de la dette en LL
« La perspective négative de la note “CC” pour la monnaie nationale à long terme reflète notre opinion selon laquelle le gouvernement pourrait restructurer sa dette en livres dans le cadre d’un programme plus large. La perspective reflète également le fait que les lacunes dans la capacité administrative du secteur public pourraient, à notre avis, présenter des risques pour le service de la dette en temps voulu », explique l’agence. S&P ajoute que « le gouvernement libanais a repris le paiement des coupons à la Banque du Liban sur sa dette libellée en livres libanaises (les bons du Trésor), dont il avait cessé le service en 2021 », ce que nous avons confirmé avec une source à la banque centrale. « Des montants ont été alloués à ce poste dans le budget de 2024 et ils couvrent aussi les montants dus au titre de 2023 », précise l’agence sous couvert d’anonymat, car n’étant pas autorisée à parler à la presse.
« Nous pourrions abaisser la note de la monnaie libanaise à “SD” si un programme de restructuration de la dette prévoit des décotes ou des reports d’échéance sur la dette en livres. Nous pourrions également abaisser la note à “SD” si le gouvernement omettait de payer le principal ou les intérêts en livres libanaises à un créancier commercial, par exemple en raison de contraintes administratives. Bien qu’il ne s’agisse pas de notre scénario de base, nous pensons que cette éventualité reste possible compte tenu de l’instabilité politique intérieure persistante au Liban », rappelle encore S&P dans ce condensé de ses précédents diagnostics. Une baisse de ces risques et un renforcement de la « politique économique nationale » pourraient convaincre l’agence de revoir sa notation sur les bons du Trésor. Pour les dettes en dollars, il est difficile d’imaginer un quelconque changement de cap avant une restructuration dans les règles des plus de 30 milliards d’eurobonds que l’État doit rembourser.
Pas de croissance avant 2027
Au niveau des projections, S&P estime que le PIB libanais affichera un taux d’évolution réel (en déduisant l’impact de l’inflation) de 1,2 % en 2024, après une recul de 0,2 % en 2023. L’agence évalue le PIB nominal à 20 milliards de dollars. Au regard des conditions actuelles, l’agence ne s’attend pas à ce que l’économie libanaise renoue avec la croissance avant 2027, compte tenu de la faiblesse de la marge de manœuvre des autorités et du fait que ces dernières ont retardé la mise en œuvre des réformes demandées depuis 2022 par le Fonds monétaire international. « Le Liban a un stock de dette publique très élevé, une balance des paiements faible et aucune flexibilité de la politique monétaire », résume S&P dans un des sous-titres de son rapport.
L’agence de notation reconnaît enfin que les données sur lesquelles elle base son analyse sont lacunaires, en raison principalement du manque de ressources humaines au ministère des Finances et de la multiplicité des taux de change qui a dominé pendant la majeure partie des cinq ans de crise. C’est ce facteur qui avait justifié la décision prise par Fitch d’arrêter de noter le Liban jusqu’à nouvel ordre. S&P considère ainsi que les données sont « soumises à une incertitude exceptionnellement élevée, qui devrait persister dans un avenir proche », mais souligne que le gouvernement travaille avec le FMI pour corriger le tir.
Dans un communiqué publié en marge de la diffusion du rapport, le ministre sortant des Finances a affirmé que son ministère avait fait tout ce qui était possible, compte tenu des circonstances, pour permettre à S&P « d’évaluer la situation et de fournir une notation qui reflète fidèlement l’état des finances publiques, de la monnaie et de l’économie du pays ». Il reconnaît en outre que cet effort n’avait pas été fait avec Fitch et précise que ses équipes se sont réunies plusieurs fois avec les experts de l’agence en amont de la publication du rapport.
Le ministre a enfin rappelé qu’il avait communiqué la semaine dernière au Conseil des ministres la grille des différents taux de change employés par son ministère pour élaborer les comptes publics depuis 2020. L’Administration centrale des statistiques a pour sa part publié au début de l’été les comptes nationaux et le détail du PIB libanais pour l’exercice 2021, et espère publier ceux de 2022 au cours de cette année.
Le Liban est coincé dans le creux de la vague? Je dirai plutôt qu’il est dans les abysses grâce à ses gouvernants insatiables qui ne cramponnent à leurs postes pour ne lui laisser aucune chance d’être remonté ou sauvé
09 h 13, le 22 août 2024