Rechercher
Rechercher

Culture - Musique

La jeune scène musicale de Beyrouth : un souffle nouveau après des années de lutte

Fortement impactée par la crise économique de 2019 et la pandémie de Covid, la scène musicale de Beyrouth s’est presque tue. Cinq ans plus tard, des signes de renouveau apparaissent avec l'émergence de nouveaux talents. Voici quelques groupes à suivre ainsi que leurs histoires.

La jeune scène musicale de Beyrouth : un souffle nouveau après des années de lutte

Ibrahim « Bob » al-Khansa, Julie Abou Kasm, Rebal Abou Fadel (de gauche à droite). Photo Bliss/Instagram

Un doux riff de guitare se faufile langoureusement entre les chênes et les auditeurs qui se balancent. Dans l’obscurité ambiante, une voix onirique s’élève lentement. Des percussions douces rythment la mélodie, mais le haut-parleur crépite et grésille alors que la chanson monte soudain en crescendo.

Bliss était le plus jeune groupe à se produire au festival Oakenfest 2024 et l’un des premiers groupes à émerger après que la crise économique du Liban – exacerbée par la pandémie de Covid-19 et l’explosion au port de Beyrouth – a fortement touché la scène musicale du pays.

De nouveaux artistes comme Bliss contribuent à la renaissance de la scène, travaillant avec des ressources limitées mais une passion infinie. Dans ce nouveau paysage qui reste a défricher, voici quelques artistes émergents au Liban que vous pourriez vouloir ajouter à vos playlists.

Bliss

Bliss, nommé d’après la rue Bliss où se trouve l’Université américaine de Beyrouth (AUB), est né des ruines du club de musique de l’AUB.

Au printemps 2022, à la recherche d’un guitariste, Julie Abou Kasm, 20 ans, a envoyé un message dans le groupe de discussion du club en question, le premier qui y tombe depuis des années. Rebal Abou Fadel, également en première année à l’AUB, a répondu, et avec le batteur Houssam Mehfara, ils se sont rencontrés pour jouer le lendemain. Ayant croisé par hasard le musicien Ibrahim « Bob » al-Khansa, un étudiant en deuxième année à l’université, ils deviennent ainsi les nouveaux et uniques membres du club de musique de l’AUB et intitulent leur formation Bliss.

Les quatre jeunes artistes se sont rapidement retrouvés sur la même longueur d’onde et n’ont pas tardé à se lancer dans des expérimentations musicales à la recherche d’une identité particulière. C’est après leur concert particulièrement applaudi dans le cadre de l’événement festif AUB Outdoors en 2023 – la première édition de la célèbre collecte de fonds annuelle organisée par les étudiants après la pandémie – que Julie Abou Kasm a réalisé leur plein potentiel. « Nous avions une très bonne alchimie, a-t-elle dit. Je me suis dit : “Nous aurions dû faire cela plus tôt.” »

C’est ce jour-là que Bliss a pris, pour la première fois, sa forme actuelle, avec Abou Kasm à la basse et au chant, AbouFadel à la guitare et Khansa à la batterie.

Aujourd’hui, le groupe attribue à son producteur, Fadi Tabbal, et à son Tunefork Studios le mérite de maintenir la scène musicale de Beyrouth en vie. Tabbal, qui est également ingénieur du son, musicien et manager, est surnommé «l’homme le plus travailleur de la scène musicale alternative du Liban».

Après les explosions au port de Beyrouth, Fadi Tabbal a lancé le Fonds des musiciens libanais, levant des fonds pour remplacer les équipements et les instruments détruits. Il a également initié un modèle de paiement à la carte chez Tunefork pour encourager les artistes à créer.

Pourtant, lorsque Bliss s’est formé, « il n’y avait pas de scène du tout », se souvient Julie Abou Kasm. « Aucun nouveau groupe local n’émergeait et les anciens groupes étaient en pause depuis le Covid. »

Dans ce vide postcrise, les défis sont en grande partie liés au manque significatif de ressources. Les salles, les sociétés de production et les studios ont fermé et les artistes ne sont pas payés aussi bien qu’avant.

Bliss espère être un catalyseur pour raviver la scène musicale en jouant dans de nouveaux lieux et en encourageant les artistes émergents à enregistrer de la musique originale. Cette année, Bliss espère introduire de nouveaux musiciens sur la scène à travers le Club de musique de l’AUB.

Lire aussi

Le trio musical Ashkara s’affirme avec la sortie de l’album « Shardet Leghzaleh »

Cependant, tracer une nouvelle voie n’est pas sans pression.

« Les gens voient un groupe jeune et prometteur et nous ne voulons pas gâcher quoi que ce soit, avoue la guitariste et chanteuse. Je me sens toujours comme une enfant devant les grands musiciens qui sont plus âgés que moi. »

« Être si jeune a sans doute ses avantages, mais nous sommes tous encore en apprentissage », poursuit-elle.

Le groupe Bliss prend les choses lentement en découvrant leur son et leur place dans la scène indie de Beyrouth. Le désir d’être « un signe d’espoir et de nostalgie pour tous ceux qui écoutent nos chansons » les ancre, note Julie Abou Kasm, se déclarant heureuse d’être témoin de ce nouveau revival musical.

Leur opus Feel Better en est le parfait exemple.


Rebal Abou Fadel, Majd Souaiby, Lea Khaïrallah, Lama Tawk, Andrew Abou Jaoudé (de gauche à droite). Photo Majd Souaiby


Laymoon

Lorsqu’on leur demande pourquoi ils ont choisi le nom de Laymoon, les membres du groupe répondent en chœur : «Parce que c’est drôle, non ?» pour aussitôt reconnaître avoir voulu un patronyme qui représente leurs origines, et les côtes du Liban sont connues pour leurs nombreux citronniers.

Majd Souaiby, chanteur de 20 ans, a d’abord pensé former un groupe avec la batteuse Lea Khairallah, 22 ans, quelques mois avant la série de crises au Liban. Ce rêve est resté en suspens pendant des années jusqu’à ce que le groupe de soft rock se forme en 2023.

Les deux musiciens ont été rejoints par les guitaristes Andrew Abou Jaoudé, 20 ans, et Ribal Abou Fadel (de Bliss), ainsi que par la bassiste Lama Tawk, 23 ans, après que les membres originaux de Laymoon ont quitté le pays à cause de la crise.

« À un moment donné, j’étais même censé partir en France, mais quelque chose m’a poussé à rester ici », révèle le chanteur.

Lorsqu’on lui demande s’il avait déjà perdu espoir dans la concrétisation de Laymoon, le jeune artiste avoue qu’il croyait tellement en ce groupe que l’idée que cela ne fonctionne pas ne lui a jamais traversé l’esprit. Il ne regrette pas d’être resté malgré le fait que toute sa famille proche soit installée à l’étranger, et il affirme que Laymoon continuera à créer malgré les défis auxquels sont confrontés les artistes au Liban.

« Nous savons que la guerre est en cours, mais nous avons toujours la volonté de créer. Si tu ne peux pas combattre physiquement, tu peux te battre à travers la musique », affirme-t-il, en faisant référence aux légendes musicales du Liban comme Feyrouz, qui ont soutenu le pays pendant la guerre civile.

Pour Majd Souaiby, la musique est le moyen à travers lequel la jeunesse libanaise montre sa résilience. « La jeunesse n’est pas seule, estime le chanteur. Les artistes de l’ancienne génération sont toujours là à nous donner des conseils, reflétant un amour et une passion pour la musique qui sont admirables. »

« La musique déchire les couches de tristesse, de crise et de guerre, ajoute encore l’artiste. Elle est là depuis longtemps et elle restera encore longtemps. »

Laymoon est en train d’enregistrer son premier EP, extended play.

« Nous produisons de la musique pour dire que rien, ni la guerre ni la situation générale, n’a empêché la création artistique », martèle Majd Souaiby.

Vous voulez écouter Laymoon ? Nous vous recommandons leur chanson, Aerial Bound.

L'artiste solo Paolo Kasbani, connu sous le nom de Paō. Photo publiée avec l'aimable autorisation de lºartiste.

Paō

L’artiste solo Paolo Kasbani, connu sous le nom de Paō, a découvert la scène musicale de Beyrouth en 2019 en tant que membre du groupe de son lycée. Cette année-là, le groupe a conclu un accord pour enregistrer gratuitement une chanson avec le studio Lebanese Underground. Cependant, au fil des crises qui ont secoué le Liban, l’opérateur du studio a déménagé et l’accord conclu avec le groupe est tombé à l’eau.

Les lycéens prévoyaient de produire leur chanson chez eux, mais Paō s’est retiré. « J’ai été très touché par ce qui se passait dans le monde », dit-il. Le groupe a donc organisé un concert d’adieu, équipé de ses instruments et de ses masques, et s’est séparé.

Paō a sorti son premier single deux ans plus tard, l’année même où il s’est installé à Paris.

« L’expérience de l’incertitude, d’être entre le Liban et l’Europe, a suscité quelques émotions en moi », dit-il, décrivant comment le déménagement a inspiré sa musique, notamment le single Glass Doors. « J’étais l’expatrié libanais typique qui ne sait pas où il va finir ».

Lire aussi

Mayssa Jallad fait ressurgir en musique les fantômes de la guerre des hôtels...

Paō décortique les différences entre les scènes musicales beyrouthine et parisienne. Il décrit Beyrouth comme une ville très unie, ce qui favorise d’une part la collaboration et la reconnaissance, mais d’autre part la concurrence et les egos malsains. À Paris, c’est l’inverse : le manque de visibilité et de proximité conduit à l’isolement et à la difficulté de pénétrer la scène.

Aujourd’hui, à 24 ans, Paō fait partie des deux formations musicales et retourne plusieurs fois par an au Liban pour y donner des concerts. « Mais ici, c’est difficile, reconnaît-il. Il n’y a pas assez de ressources locales pour soutenir les artistes et pas assez de connexions avec le monde extérieur. » Aujourd’hui, plus que jamais, les artistes de Beyrouth ne peuvent pas vivre uniquement de la musique.

« Mais c’est aussi un lieu  qui accueille beaucoup de gens qui ne se sentent à leur place nulle part ailleurs », ajoute-t-il. « Lorsque j’avais 16 ans, j’aurais aimé que la scène soit comme ça. Cela aurait inspiré mon art et m’aurait donné l’impression qu’il y a des gens comme moi. »

Exploitant les deux espaces musicaux dans lesquels il vit, Paō travaille sur un EP qui comprendra des collaborations avec des artistes locaux.

« Je peux certainement dire que c’est l’une de mes périodes les plus excitantes », conclut-il.

Si vous souhaitez écouter Paō, sa chanson Rêverie est à recommander.


Un doux riff de guitare se faufile langoureusement entre les chênes et les auditeurs qui se balancent. Dans l’obscurité ambiante, une voix onirique s’élève lentement. Des percussions douces rythment la mélodie, mais le haut-parleur crépite et grésille alors que la chanson monte soudain en crescendo.Bliss était le plus jeune groupe à se produire au festival Oakenfest 2024 et l’un...
commentaires (1)

Merci à l'OLJ, beaucoup sont comme moi intéressés par ce que produit la nouvelle génération d'artistes. Merci pour ces recommandations et n'hésitez pas à partager si vous en avez d'autres à l'avenir. Avez-vous aussi des recommandations sur la scène rap Libanaise ?

K1000

17 h 56, le 10 août 2024

Tous les commentaires

Commentaires (1)

  • Merci à l'OLJ, beaucoup sont comme moi intéressés par ce que produit la nouvelle génération d'artistes. Merci pour ces recommandations et n'hésitez pas à partager si vous en avez d'autres à l'avenir. Avez-vous aussi des recommandations sur la scène rap Libanaise ?

    K1000

    17 h 56, le 10 août 2024

Retour en haut