Alors que ses employés sont en grève pour protester contre le refus du ministère des Finances de leur accorder des bonus de performance prévus dans le décret n° 13.020 du 28/2/2024, Électricité du Liban (EDL) est quasiment à court de carburant et risque une nouvelle fois le black-out complet dans les prochains jours, le ministère de l'Énergie misant toutefois sur une solution d'ici une dizaine de jours.
C’est ce qu’EDL a annoncé dans un communiqué mercredi, confirmant des informations que L’Orient-Le Jour avait pu obtenir auprès de deux sources bien informées. Plus tard dans la journée de mercredi, le syndicat des employés d'EDL a annoncé dans un communiqué avoir décidé de poursuivre sa grève jusqu'à lundi prochain, « afin de laisser du temps aux négociations promises par le ministre des Finances », qui devait rencontrer le syndicat aujourd'hui mais ne l'a pas fait « pour des raisons inconnues », selon le texte. Dans son communiqué, le fournisseur public indique qu’« aucune cargaison n'a été livrée dans le cadre de l'accord de swap conclu entre l'Irak et le Liban (…) ni au cours du mois de juillet, ni au cours du mois d'août à ce jour ».
Rappelant avoir annoncé le 27 juillet avoir mis à l’arrêt une des unités de production de la centrale de Zahrani (Liban-Sud) « par précaution », en raison d’un retard dans la livraison d’un chargement de carburant, le fournisseur a ajouté avoir été contraint de mettre le site de Deir Ammar (Liban-Nord) à l’arrêt mercredi matin. Ces deux centrales thermiques sont les plus importantes du pays et surtout les seules pour lesquelles EDL reçoit régulièrement du carburant, tandis que celles de Jiyé (Chouf) et Zouk (Kesrouan) sont à l’arrêt depuis un certain temps.
Stabilité du réseau en danger
EDL précise qu'elle peut être en mesure de continuer à opérer les unités de production encore en marche de la centrale de Zahrani afin de continuer à alimenter les infrastructures du pays, mais qu’elle ne pourra pas tenir au-delà du 17 août. Le fournisseur craint également de ne pas pouvoir garantir la stabilité du réseau, compte tenu de la faiblesse de la production disponible par rapport à la demande. « EDL ne pourra plus tenir au-delà », a assuré la première source informée qui travaille pour le fournisseur. Dans une déclaration aux médias dont nous avons confirmé la teneur, le ministre sortant de l’Énergie, Walid Fayad, a indiqué que le contrat d'échange de carburant entre l'Irak et le Liban était toujours en vigueur et que le ministère attendait «une notification officielle d'une date de chargement du carburant» brut livré par l'Irak - que le Liban échange ensuite contre du fuel raffiné avec lequel il peut alimenter ses centrales.
« Cela pourrait se produire dans dix jours à deux semaines, et d'ici là, ce que la centrale de Zahrani peut fournir, c'est 200 MW, ce qui est suffisant pour les services publics vitaux et un plafond d'une ou deux heures de courant par jour pour les citoyens si possible », est-il précisé. « Après la livraison du prochain chargement, les choses reviendront à ce qu'elles étaient » et EDL sera en mesure de mobiliser « 600 MW et fournir entre cinq à six heures de courant par jour ».
La raison du blocage
La seconde source que nous avons interrogée explique que le blocage des livraisons prévues dans le cadre de l’accord de swap mis en place depuis l’été 2021 est dû à dysfonctionnements du mécanisme de paiement différé des cargaisons livrées par SOMO, l’agence publique irakienne étatique chargée de la commercialiser les hydrocarbures du pays. « EDL collecte assez de fonds pour payer son carburant depuis que la collecte des factures a été améliorée et que les tarifs ont été ajustés. Mais c’est au niveau de la conversion en dollars de ces fonds en livres libanaises que les choses coincent », explique cette deuxième source, évoquant des blocages « politiques et confessionnels » au niveau du ministère des Finances et de la Banque du Liban (BDL).
Dans ses déclarations, le ministre Fayad a attribué le retard « au fait que la Banque du Liban ne transfère pas les montants dus à l'Irak » en attendant que le Parlement soit convoqué pour voter une loi qui couvre l'exécution du contrat de swap pendant sa deuxième et sa troisième année d'exécution. Sans cette loi, le chargement mensuel doit faire l'objet de « médiations » avec les responsables irakiens en vue d'obtenir des « autorisations exceptionnelles » qui retardent le processus de livraison.
Une troisième source que nous avons contactée à la BDL s’étonne de la situation en cours, indiquant que l’institution a donné son feu vert « il y a une semaine » pour qu’EDL puisse disposer de ses fonds afin de financer ses achats de carburant et se demande « si la communication se passe bien entre le fournisseur d'électricité et le ministère de l’Énergie.
Le ministre sortant des Finances, Youssef Khalil, n’a pas répondu à nos appels visant à avoir le fin mot de l'histoire.
EDL, qui affichait déjà un déficit chronique de production d’électricité avant la crise qui a éclaté en 2019, a vu sa situation empirer en raison de difficultés financières croissantes et d’infrastructures de plus en plus fatiguées, en partie en raison du surplus de demande des camps de réfugiés palestiniens et syriens. Depuis l’été 2021, les cargaisons de fuel irakien qu’elle échange contre du gasoil fourni par des sociétés tiers selon un mécanisme consacré constitue son unique source de carburant.
La situation d'EDL s’était partiellement améliorée depuis quelques mois, malgré certains épisodes similaires à celui qu’elle connaît actuellement. En dépit de la situation sécuritaire qui s’est tendue depuis une dizaine de jours du fait de la guerre de Gaza et de ses débordements au Liban-Sud, les importateurs continuent de réceptionner du carburant. Le dossier du fuel irakien avait été au centre d'une visite officielle du Premier ministre sortant Nagib Mikati à Bagdad en juillet dernier.
Le Liban, un des rares pays du monde où pour retourner à la maison, il faut la Led du téléphone ou celle d'un cul de briquet parcequ'il n'y a plus d'électricité publique.
21 h 38, le 07 août 2024