« Nous sommes ici quatre ans plus tard parce qu’un certain Hassan Nasrallah se montre tendre pour le Sud... et dur pour Beyrouth. » Ces propos tenus par William Noun, dimanche lors de la quatrième commémoration de la double explosion du 4 août 2020 au port de Beyrouth (dans laquelle son frère, Joe, avait péri, aux côtés de plus de 235 autres personnes) marquent le début d’une nouvelle phase de la lutte menée par les parents des victimes en quête de justice. Une lutte qui les met en confrontation avec le tandem Amal-Hezbollah, qu’ils accusent d’entraver l’enquête dans un pays où l'impunité règne.
Il est vrai que depuis le début de l’enquête, les proches des victimes n’ont jamais épargné les deux partis chiites de leurs attaques verbales et accusations. D’autant que des ministres et des députés proches du tandem ont refusé de comparaître devant la justice, mettant des bâtons dans les roues du juge d'instruction Fadi Sawan, puis de son successeur Tarek Bitar. Mais, cette fois-ci, les parents ont significativement haussé le ton. Au point de s’en prendre nommément au chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, qui « gouverne le pays depuis le sous-sol où il se trouve », pour reprendre les termes de William Noun. Le président de la Chambre, Nabih Berry, a lui aussi été la cible de sa colère.
« Il est grand temps de briser tous les tabous »
« Il ne s’agit pas d’un problème d’ordre personnel. Si le Hezbollah n’entravait pas le cours de l’enquête, nous n’aurions eu aucun problème avec lui », assure M. Noun à L’Orient-Le Jour. Mais la base populaire du tandem ne l’entend pas de cette oreille. Quelques heures après le rassemblement populaire pour la commémoration de la double explosion, l’armée électronique des deux formations chiites, Amal et le Hezbollah, s’en est prise au jeune homme. « Il est intolérable d’insulter le sayyed (Hassan Nasrallah) de la sorte », a écrit un partisan du Hezbollah sur son compte. D’autres sont allés plus loin, accusant William Noun d’« instrumentaliser le sang de son frère » dans le cadre d’une bataille politique contre le Hezbollah. « Ce n’est pas de l’instrumentalisation. Quatre ans après le crime, il est tout à fait normal de mettre les points sur les « i » et de dévoiler les noms de ceux qui nous empêchent d’atteindre la vérité », rétorque le jeune homme. « Nous avions promis à nos proches que nous allons pointer du doigt tous ceux qui ne veulent pas faire la lumière sur l'affaire », appuie Cécile Roukoz, dont le frère Joseph Roukoz a lui aussi été tué lors de la double explosion. Dans son allocution dimanche, l’avocate s’était en effet employée à nommer toutes les personnalités politiques et sécuritaires qui continuent de lier les mains du juge Bitar, s’attaquant nommément à Nabih Berry. « Après quatre ans de lutte, il est grand temps de briser tous les tabous », lance-t-elle à L’Orient-Le Jour.
Pour sa part, la coordinatrice spéciale des Nations unies au Liban, Jeanine Hennis-Plasschaert, qui avait reçu une délégation des proches des victimes samedi dernier, s’est rendue dimanche à la caserne des pompiers à Beyrouth en signe de solidarité avec les parents. « Il faut que justice soit faite », a-t-elle lancé.
Si le président de l'époque, Michel Aoun, et le gouvernement de Hassane Diab avaient promis que les responsables de ce drame seront connus en à peine cinq jours, l'enquête s'est éternisée, en grande partie du fait de l'intransigeance du Hezbollah. En 2021, Wafic Safa, un haut responsable du parti chiite, avait même menacé le président du Conseil supérieur de la magistrature, Souheil Abboud, de « déboulonner » le juge Bitar. Il reste que les proches des victimes ont donné un nouvel élan à leur bataille dans un contexte tendu pour le Hezbollah. La quatrième commémoration du 4-Août est intervenue à l’heure où il est impliqué dans la guerre en cours à Gaza à partir du Liban-Sud en soutien au Hamas palestinien. Un conflit qui risque sérieusement de se transformer en une guerre régionale.
« Le port est aussi une priorité »
Ce sont surtout les propos portant sur le Liban-Sud qui ont provoqué l’ire de la base populaire du Hezb. Car le frère du pompier Joe Noun a critiqué, en substance, l’engagement indéfectible du Hezbollah aux côtés des Palestiniens, alors qu’il ne contribue pas à débloquer un dossier aussi important que celui du port. Une diatribe qui a valu à William Noun des accusations de « politisation inopportune » du dossier du 4-Août. « Hausser le ton dans cette affaire ne réduit en rien notre respect à ceux qui paient de leurs vies le prix de la guerre », réagit M. Noun.
« Nous voulons la justice tant pour nos victimes que pour celles proches du Hezbollah », ajoute le militant, affirmant ne pas avoir profité du contexte de la guerre pour hausser la barre face à ce parti, dont le service média n’a pas donné suite aux appels de L’OLJ pour un commentaire.
Pour M. Noun, le seul objectif de la bataille qu'il mène est que justice soit rendue pour mettre fin à l’impunité dans ce pays. Une bataille que les parents des victimes ne mènent pas seuls. En dépit de leur insistance à prendre leurs distances par rapport aux partis politiques traditionnels, nombre de ceux-ci, notamment l’opposition, se sont joints à ce combat, lui donnant une coloration politique. Tel est le cas des Forces libanaises, des Kataëb, du bloc du Renouveau, dont des ténors ont pris part à la cérémonie commémorative. « Il est vrai que cela est à même de resserrer l’étau sur le Hezbollah qui bloque l’enquête sur le drame, affirme le porte-parole des FL, Charles Jabbour. Mais nous y sommes impliqués parce que personne ne peut rester les bras croisés face à une telle tragédie, qui a frappé les quartiers chrétiens de plein fouet. »
Dans tous les malheurs du liban il faut chercher le hezb.
12 h 20, le 06 août 2024