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Idées - Commentaire

La Jamaa islamiya, révélateur des fractures sunnites face l’« axe de la résistance »

La Jamaa islamiya, révélateur des fractures sunnites face l’« axe de la résistance »

Un cortège funèbre se déplace à travers la localité de Bébnine, dans le Akkar, pour deux hommes du groupe al-Fajr de la Jamaa islamiya, tués lors d'une attaque israélienne dans la Bekaa occidentale, en avril 2024. Photo d'archives Michel Hallak/L'OLJ.

L’assaut israélien sur Gaza, lancé en réponse à l’opération Déluge d’al-Aqsa du 7 octobre, ainsi que l’ouverture ultérieure par le Hezbollah d’un front militaire limité avec le nord d’Israël pour soutenir les Palestiniens, ont bouleversé la scène politique sunnite au Liban.

La décision de la Jamaa islamiya, un parti politique islamiste sunnite, d’adopter une ligne politique contraire à celle de l’establishment de sa communauté en est peut-être l’exemple le plus évident. Non seulement la Jamaa, qui a des liens particulièrement étroits avec le Hamas, a annoncé sa participation au fronde soutien contre Israël et a commencé à tirer des roquettes contre le voisin du sud du Liban, mais elle a également commencé à parler de la réconciliation de deux projets politiques supposés contradictoires : la résistance du Hezbollah et l’autonomisation de l’État libanais. Cette évolution pourrait bien diviser davantage le public sunnite entre ceux qui soutiennent les objectifs de la Jamaa et ceux qui continuent à s’opposer à la stratégie de résistance du Hezbollah, qu’ils considèrent comme préjudiciable à l’entreprise de reconstruction de l’État libanais.

Les principaux dirigeants et représentants sunnites, y compris le courant du Futur, divers hommes politiques et Dar al-Fatwa, l’organisme officiel chargé de superviser les affaires religieuses des sunnites libanais, s’opposent au Hezbollah et à ses alliés depuis deux décennies. Cette opposition a commencé après l’assassinat de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri en 2005, et s’est aggravée avec la division du pays entre les forces du 8 Mars et du 14 Mars ; les événements du 7 mai 2008, lorsque la milice chiite a brièvement pris le contrôle de plusieurs quartiers sunnites de Beyrouth ; et son intervention en Syrie contre un soulèvement populaire soutenu par une majorité de sunnites libanais. La récente décision de la Jamaa de s’aligner sur le Hezbollah constitue donc une rupture avec une pierre angulaire de l’identité politique sunnite contemporaine.

Coopération finalement reconnue

En raison de sa nouvelle orientation, la Jamaa islamiya a dû faire face à des critiques émanant de divers milieux. Les adversaires du Hezbollah l’ont considéré comme un cas isolé dans la scène de cette communauté et ont cherché à s’assurer qu’il n’influence pas de manière significative le sentiment sunnite populaire ou officiel.

Par exemple, Fouad Siniora, ancien Premier ministre et bras droit de Hariri, s’est opposé à l’implication du Liban, en particulier des sunnites, dans le conflit en cours à Gaza. De même, Radwan al-Sayyed, figure religieuse respectée, a demandé au mufti Abdellatif Deriane d’intervenir et de contenir les religieux qui prônent la résistance. Pour ces raisons, la Jamaa elle-même s’est d’abord méfiée de l’antagonisme avec certains pans de sa communauté. En effet, lorsqu’elle a annoncé sa participation au front sud contre Israël, la Jamaa a précisé qu’elle ne se coordonnait avec aucun groupe – une allusion claire au Hezbollah.

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Néanmoins, il est rapidement apparu que la Jamaa avait attiré à ses côtés un certain nombre de sunnites ordinaires, ainsi que certaines personnalités de Dar al-Fatwa. Le soutien à la cause palestinienne est depuis longtemps un pilier de la politique nationaliste et islamiste arabe, deux orientations historiquement populaires parmi les sunnites libanais. Dans une certaine mesure, les opposants sunnites du Hezbollah au Liban ont été pris au dépourvu, comme en témoignent leurs tentatives maladroites de s’opposer aux percées de l’axe du Hezbollah parmi les sunnites. Rapidement, la Jamaa s’est sentie suffisamment confiante pour admettre une coordination avec le Hezbollah sur le champ de bataille, ce qu’elle avait auparavant nié. Par ailleurs, les médias ont fait état d’une rencontre entre le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, et le secrétaire général de la Jamaa, cheikh Mohammad Takkouch. L’organisation est ainsi passée d’une hésitation à mentionner la coordination sur le terrain avec le Hezbollah à l’annonce de consultations entre les deux groupes au plus haut niveau.

Pont entre deux tendances opposées

Les choses ont rapidement dépassé les positions politiques pour prendre une dimension religieuse. Le 11 juillet, le cheikh Takkouch a prononcé un discours lors d’une commémoration de l’Achoura organisée par le Conseil suprême islamique chiite, après avoir accepté l’invitation du vice-président du Conseil, Ali al-Khatib. Ce fait est remarquable pour trois raisons. Premièrement, bien que les sunnites vénèrent Hussein ibn Ali, ils ne participent généralement pas aux événements organisés pour commémorer sa mort au combat. Deuxièmement, l’alignement étroit du Conseil suprême islamique chiite sur le Hezbollah et le mouvement Amal a ajouté un élément politique à sa participation. Troisièmement, le cheikh Takkouch était confronté à des risques sécuritaires en raison de la participation de la Jamaa à des opérations militaires contre Israël et de l’assassinat par ce dernier de certains de ses principaux membres. Son choix de participer et de s’exprimer lors d’un événement aussi public et important a souligné l’importance et la bravoure de son geste.

L’une des raisons de cette nouvelle audace de la Jamaa est qu’elle bénéficiait du soutien des principaux cheikhs de Dar al-Fatwa. À un moment donné, le cheikh Ali Ghazzawi, mufti de Zahlé et de la Békaa nommé par Dar al-Fatwa, est apparu aux funérailles d’un membre des Forces Fajr, l’aile militaire de la Jamaa, brandissant un fusil et déclarant son soutien à la résistance armée contre Israël. À la suite des critiques formulées par les sunnites anti-Hezbollah, le cheikh Amin al-Kurdi, la deuxième plus haute autorité de Dar al-Fatwa, a pris la défense d'Ali Ghazzawi. Faisant clairement allusion à la scène du fusil levé, il a déclaré : « Bénissez vos mains » et « Vous représentez tous les cheikhs et tous ceux qui sont honorables ». En outre, les vidéos des funérailles des dirigeants de Fajr tués lors de frappes aériennes israéliennes suggèrent qu’ils bénéficient d’un soutien populaire.

Il est raisonnable de conclure que le discours et les actions de la Jamaa sont conformes aux sentiments de nombreux sunnites, ainsi qu’à la position d’une aile importante de Dar al-Fatwa. La secte sunnite sympathise avec Gaza et sa résistance, et nombre de ses membres ont également commencé à se réconcilier avec l’idée d’une coordination avec le Hezbollah pour servir la résistance. Cela n’implique pas pour autant une alliance sunnite-chiite. Dans les milieux sunnites, le soutien à l’engagement militaire du Hezbollah auprès d’Israël, que ce soit pour la Palestine ou pour les terres libanaises encore occupées, pourrait devoir coexister avec l’opposition aux autres politiques du Hezbollah, que ce soit au Liban ou en Syrie.

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En fin de compte, ce que la Jamaa a récemment exprimé en la personne de son (unique) membre du Parlement, Imad el-Hout, est instructif. Faisant un clin d’œil à la position sunnite traditionnelle, M. Hout a déclaré que le groupe recherchait un État fondé sur la « citoyenneté » ainsi que sur la « régularité institutionnelle ». Toutefois, dans une déclaration très proche de la position du Hezbollah, il a également déclaré que la Jamaa avait l’intention de « confronter l’ennemi sioniste, idéalement par le biais d’une stratégie défensive de l’État ». M. Hout plaide essentiellement en faveur d’un projet qui intègre la construction de l’État et la résistance. Cette approche place la Jamaa, et même la secte sunnite dans son ensemble, comme un pont entre ces deux tendances par ailleurs opposées.

Marginalisation accrue ?

Cependant, il est extrêmement difficile de trouver un équilibre entre la résistance et la construction de l’État. D’une part, les forces chrétiennes et les politiciens sunnites traditionnels du Liban exhortent les États du Golfe et l’Égypte à éloigner les sunnites du conflit avec Israël et de l’influence du Hezbollah et des partis sunnites de même tendance. D’autre part, le Hezbollah déploie des efforts considérables pour transformer sa coordination temporaire avec la Jamaa en une alliance à long terme, qui attirera d’autres groupes sunnites. Par conséquent, l’avenir immédiat des sunnites au Liban est délicat et imprévisible, avec la possibilité de divisions profondes.

En effet, bien que la Jamaa et ses opposants s’efforcent de renforcer la position des sunnites dans le paysage politique libanais interne et d’améliorer leur propre statut, le conflit en cours avec Israël et son escalade potentielle présentent des risques pour toutes les parties concernées. La Jamaa et ses alliés pourraient avoir du mal à mettre en œuvre leur vision et à obtenir les ressources nécessaires, ce qui pourrait affaiblir leur influence et celle de leurs partisans. Si la Jamaa ne parvient pas à obtenir les ressources nécessaires, elle pourrait rechercher la protection et le soutien du Hezbollah. Inversement, les opposants à la Jamaa qui résistent à la croissance de l’opinion publique favorable à la résistance parmi les sunnites s’éloigneront de leur base, ce qui diminuera encore leur rôle représentatif au sein de la secte. Une telle dynamique pourrait entraîner une marginalisation accrue des sunnites et aggraver les frustrations au sein de la communauté.

Quoi qu’il en soit, la prévention d’une scission majeure parmi les sunnites, et éventuellement d’une situation dans laquelle une partie de la communauté a le sentiment d’avoir été mise à l’écart, nécessitera de sérieux efforts de la part de toutes les parties concernées.

Ce texte est disponible en anglais et en arabe sur Diwan, le blog du Malcom H.Kerr Carnegie MEC.

Par Mohamad FAWAZ

Chercheur en relations internationales.



L’assaut israélien sur Gaza, lancé en réponse à l’opération Déluge d’al-Aqsa du 7 octobre, ainsi que l’ouverture ultérieure par le Hezbollah d’un front militaire limité avec le nord d’Israël pour soutenir les Palestiniens, ont bouleversé la scène politique sunnite au Liban.La décision de la Jamaa islamiya, un parti politique islamiste sunnite, d’adopter une ligne...
commentaires (2)

Ils s’unissent et s’allient toujours ponctuellement pour mieux s’étriper et se tuer plus tard. On les a toujours vu à l’œuvre, d’où l’enlisement de tous les pays arabes et la prospérité des autres. Certains ont compris le problème et se sont émancipés pendant que d’autres sont là à vouloir les anéantir pour régner. C’est tout le problème de cette région multi faciale.

Sissi zayyat

14 h 14, le 18 août 2024

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Commentaires (2)

  • Ils s’unissent et s’allient toujours ponctuellement pour mieux s’étriper et se tuer plus tard. On les a toujours vu à l’œuvre, d’où l’enlisement de tous les pays arabes et la prospérité des autres. Certains ont compris le problème et se sont émancipés pendant que d’autres sont là à vouloir les anéantir pour régner. C’est tout le problème de cette région multi faciale.

    Sissi zayyat

    14 h 14, le 18 août 2024

  • Les mollahs savent intelligment jouer la carte de l'affectif et utiliser encore une fois la soit disant cause palestinienne pour servir leurs intérêts propres. Tout les états arabes le savent et ont choisi pour la plupart, sagesse et développement au lieu de démagogie et de chaos. A eux de reprendre en main leur confrères Libanais et Palestiniens qui sont perdus.

    Liban Libre

    18 h 35, le 03 août 2024

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