Les élections législatives qui se sont déroulées en France les 30 juin et 7 juillet 2024 ont révélé une crise politique profonde qui pourrait menacer le système de la Ve République. Pour la première fois depuis sa fondation en 1958, l’Assemblée nationale est divisée en trois blocs sans majorité absolue. Cette situation inédite soulève une question fondamentale : la France est-elle en train de vivre une crise institutionnelle majeure qui pourrait mener à la création d’une sixième République ? Les résultats des élections législatives de 2024 ont produit un Parlement fragmenté en trois blocs principaux : le Rassemblement national (RN), la coalition présidentielle et le Nouveau Front populaire (NFP) de gauche. Cette tripartition, inédite dans l’histoire récente de la France, a engendré une impasse législative et une crise de gouvernabilité similaire à celle qui a marqué la fin de la IVe République (1946-1958). La Ve République, fondée en 1958 par Charles de Gaulle, repose sur une centralité présidentielle renforcée par l’élection du président au suffrage universel direct depuis 1962. Cette structure a permis une stabilité gouvernementale relative en comparaison avec les régimes parlementaires précédents. Toutefois, les élections de 2024 ont mis en évidence les limites de ce système dans un contexte de polarisation politique extrême. Emmanuel Macron, élu président en 2017 et réélu en 2022, doit désormais faire face à une Assemblée nationale divisée en trois blocs distincts. Le Nouveau Front populaire, une coalition de partis de gauche, bien que n’ayant pas obtenu la majorité absolue, a réussi à capter une part significative des suffrages, reflétant un mécontentement croissant parmi les électeurs contre la politique ancienne française. De l’autre côté, le camp présidentiel a également réalisé une percée importante, tandis que le RN se trouve affaibli, incapable de rassembler une majorité relative, comme au premier tour des élections législatives. La Constitution de 1958, élaborée par le gaulliste Michel Debré, a introduit un système parlementaire « rationalisé » conçu pour éviter les excès des IIIe et IVe Républiques. Cependant, avec l’instauration de l’élection présidentielle au suffrage universel direct, le régime est souvent qualifié de « semi-présidentiel ». Cette évolution a renforcé la légitimité démocratique du président, rapprochant son pouvoir de celui du président des États-Unis. Depuis le début des années 2000, avec la synchronisation des calendriers électoraux et le passage au quinquennat, le régime a progressivement évolué vers une présidentialisation accrue.
Les cohabitations passées, notamment sous les présidences de François Mitterrand et de Jacques Chirac, ont démontré la flexibilité du système. Toutefois, la crise actuelle rappelle la nature parlementaire du système, où le gouvernement est responsable devant l’Assemblée nationale et où il existe une coopération et un équilibre entre les pouvoirs législatif et exécutif. Bien que le texte de la Constitution de 1958 visât à assurer une nette majorité au chef de l’État pour garantir une stabilité gouvernementale, la situation actuelle, avec une Assemblée nationale tripartite, remet en cause cette architecture. Par conséquent, la centralité présidentielle est mise à l’épreuve et la capacité du président à gouverner sans une majorité claire est diminuée. Cela pose la question de la résilience de la Ve République face à des configurations politiques inédites. Ainsi, la formation d’un gouvernement de coalition semble désormais nécessaire pour sortir de l’impasse actuelle. Cependant, les négociations entre les blocs parlementaires s’annoncent ardues. La coalition présidentielle, le Parti socialiste et les Verts pourraient tenter de former un gouvernement, mais sans obtenir la majorité absolue, leur tâche sera impossible. Donc, le scénario d’une cohabitation, où le président doit travailler avec un Premier ministre issu d’un autre camp politique, n’est pas exclu. En contraste, si la formation d’un gouvernement stable échoue et que la crise de gouvernabilité persiste, la possibilité d’une transition vers une VIe République pourrait devenir envisageable après les élections présidentielles de 2027.
Cette nouvelle République nécessiterait une réforme constitutionnelle significative pour s’adapter à la réalité politique actuelle, peut-être en adoptant des mécanismes plus inclusifs de coalition et de dialogue interpartis. Un tel scénario poserait des défis considérables. La révision de la Constitution exigerait un large consensus politique, ce qui pourrait s’avérer difficile dans le climat actuel de polarisation. De plus, une nouvelle république impliquerait une redéfinition des rôles et des pouvoirs du président, du Premier ministre et du Parlement. Cela pourrait inclure des ajustements pour renforcer la proportionnalité dans les élections législatives, favoriser les coalitions gouvernementales et probablement même réévaluer le mode d’élection du président. Un autre scénario pourrait voir le maintien de la Ve République, mais avec des réformes internes pour répondre aux défis actuels. Cela pourrait inclure des changements dans les procédures parlementaires pour faciliter la formation de gouvernements de coalition, des ajustements dans les pouvoirs présidentiels pour éviter les blocages institutionnels, et une réforme électorale pour mieux refléter la diversité politique du pays.
En conclusion, la France est à un tournant de son histoire politique. La crise actuelle offre à la Ve République une opportunité de se réinventer ou de céder la place à une VIe République plus adaptée aux défis contemporains. La capacité des acteurs politiques à négocier et à coopérer sera déterminante pour l’avenir du système républicain français. Si le pari de la coexistence entre le président et un gouvernement de coalition réussit, la Ve République pourra encore perdurer. Sinon, une nouvelle ère institutionnelle pourrait s’ouvrir pour la France après 2027.
Finalement, la complexité de la situation actuelle nécessite une réflexion profonde sur les fondements et l’évolution de la République française. Les crises passées étaient souvent des catalyseurs de changement, et la crise actuelle pourrait bien être un prélude à une transformation majeure. La question reste ouverte : la France est-elle prête pour une sixième République, ou la Ve République trouvera-t-elle en elle-même les ressources nécessaires pour s’adapter et perdurer ? Seul l’avenir nous le dira.
Docteur en droit privé
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