À quelques jours de la quatrième commémoration de l'explosion du 4 août 2020 au port de Beyrouth, une campagne de solidarité pour protéger les silos encore debout a adressé une lettre ouverte aux autorités françaises titrée « démolir ou mourir encore » dans laquelle elle met en garde contre « la démolition des silos, ainsi que l’effacement du site de l’explosion » qui seront « comme une nouvelle explosion ».
Parmi les membres fondateurs de ce collectif se trouvent : des associations des familles des victimes ainsi que des habitants de la zone touchée par l'explosion, L’Ordre des ingénieurs et architectes de Beyrouth, Beirut Urban Lab/AUB, Legal Agenda, Public works studio, Town Planning and Heritage Sites Development Studio Coalition de 25 experts du Patrimoine, LiveLoveBeirut, ACA Arab Center for Architecture, Beirut Urban Declaration, Madinati et The socio-economic justice initiative – MAAN.
La campagne explique avoir pris l'initiative d'envoyer cette lettre « après avoir vu le plan directeur du port de Beyrouth, résultat du travail des deux compagnies françaises ARTELIA & EGIS ». « Bien que l’ambassadeur, Hervé Magro, ait déclaré que 'l’avenir des silos n’a pas été abordé par les experts français, compte tenu de son importance mémorielle pour les Libanais, nous avons été très surpris et alarmés de voir que le plan directeur envisage la construction sur et autour du lieu de l’explosion, en effaçant toutes les traces visibles aujourd’hui du crime. Le sort de ces silos, a été décidé dans ce plan directeur sans l’implication des experts, de la population de Beyrouth et des familles des victimes », dénonce la campagne.
Les représentants de trois sociétés françaises mandatées par l’État français pour élaborer un plan « pragmatique » pour réhabiliter le port de Beyrouth avaient présenté leurs propositions en mars.
Les institutions derrière l'initiative rappellent que « les silos ainsi que le site de la tragédie (...) sont la représentation de la mémoire collective du peuple et de la ville ». Ils ont « pour les familles des victimes une fonction identique à celle d'une tombe ». « L’intervention comme planifiée par les compagnies françaises, est considéré comme une intrusion dans une propriété considérée comme privée par les Beyrouthins et les familles des victimes en quête de vérité », dénonce la campagne.
Pour le collectif, « le site et les silos où la tragédie s’est produite font partie du patrimoine architectural moderne qui doit être classé, protégé et préservé ». Il rappelle aussi que « la partie restante méridionale des silos, n’a pas besoin d’être renforcée » et que cela « a été confirmé par de nombreuses études d’ingénierie structurelle ». Elle affirme aussi que les familles des victimes « imaginent leurs défunts à l’intérieur. Ça sera très dur de les mettre devant le spectacle de la démolition ; ils se considèreraient en train de les voir mourir une deuxième fois ». « La démolition des silos, ainsi que l’effacement du site de l’explosion seront une répétition de l’angoisse de l’explosion », dénonce la campagne.
Etat libanais divisé
Dans sa lettre ouverte, elle rappelle que les familles des victimes, soutenues par des institutions privées, des associations, et des groupes œuvrent depuis 2022 pour sauvegarder le site de l’explosion et les silos tandis que l’Etat libanais est divisé entre la décision de garder, et celle de démolir ».
« Les responsables, ministres et députés, ont pris diverses décisions, parfois même contradictoires », affirme la campagne. Le 18 mars 2022, la ministre de la Culture a classé les silos parmi les monuments historiques. Mais un peu moins d'un mois plus tard, le gouvernement « a pris la décision de démolir les silos et d’ériger un nouveau monument pour commémorer les victimes ». En juin 2022, les familles des victimes ont intenté trois poursuites distinctes devant le Conseil d’Etat pour empêcher le gouvernement de démolir ce qui reste des silos.
La campagne rappelle aussi que le 7 juillet 2022, des incendies ont éclaté dans les silos. « Les feux ont continué à brûler tout au long du mois d’août. Le gouvernement n’a pas pris de mesures pour contenir l’incendie », dénonce-t-elle. Enfin, le 29 août 2022, le Comité des travaux du Parlement a recommandé au gouvernement de protéger et de préserver la partie sud des silos. Fin août 2022, le Premier ministre sortant Nagib Mikati a écrit une lettre au ministre des Travaux publics pour lui demander de « préserver le bloc sud des silos en guise de mémorial à la mémoire des martyrs du port. » En outre, rappelle la campagne, trois propositions de lois soumises par différents blocs parlementaires visent à préserver les silos.