L'Association des familles des victimes de l'explosion du port de Beyrouth et la campagne « Les silos et la ville » ont adressé une lettre au directeur de la région Moyen-Orient de la Banque mondiale, Jean-Christophe Carret, lui demandant d'intervenir d'urgence pour préserver les silos du port de Beyrouth, selon un communiqué publié par les proches des victimes.
Le 4 août 2020, une explosion meurtrière dans le port de Beyrouth a coûté la vie à plus de 220 personnes, blessé plus de 6 500 personnes et détruit de larges pans de la ville. Dans les mois qui ont suivi la catastrophe, de nombreux projets de réhabilitation ont été proposés par des acteurs locaux et étrangers pour tenter de réhabiliter, voire de repenser, la zone portuaire. Les autorités n'ont pas encore déblayé tous les débris qui encombrent la zone portuaire - même si certaines zones, comme le terminal conteneur, sont opérationnelles. Elles n'ont pas encore donné suite aux différents projets mis sur la table.
Alors que l'enquête sur l'explosion reste entravée par des pressions politiques, les proches des victimes ainsi que de nombreuses organisations de la société civile se sont mobilisés pour exiger la préservation du site de l'explosion ainsi que du bâtiment des silos, afin d'en faire un lieu de mémoire pour honorer les victimes de l'une des plus grandes explosions non nucléaires de l'histoire.
Ne pas exclure le site
En mars 2022, le géant français du transport et de la logistique CGA CGM a remporté une concession pour gérer le terminal à conteneurs de Beyrouth, ce qui a incité les autorités à demander une étude complète sur l'avenir du port, y compris les phases de développement, les options de financement et la réforme de la gouvernance, en raison de l'ambiguïté de la structure de gestion.
L'étude, lancée en 2022 par la Banque mondiale, comprenait des consultations avec les parties prenantes et proposait des phases de réhabilitation du port de Beyrouth, en mettant l'accent sur l'amélioration du terminal à conteneurs et le déplacement des silos à l'ouest du quatrième bassin, à proximité des fonctions « General Cargo ».
Le site de l'explosion, y compris le cratère et les silos, serait préservé dans son intégralité en tant que lieu de mémoire et de contemplation accessible au public, à l'instar du mémorial de la paix d'Hiroshima, déclaré site du patrimoine mondial par l'Unesco en 1996. Bien que le plan ait été présenté en 2023 par la Banque mondiale, il a été retardé en raison de l'indécision du Parlement, tandis que la France a proposé un projet alternatif.
Le 13 mars, des propositions ont été présentées par trois entreprises françaises, mandatées par le gouvernement français pour élaborer un plan « pragmatique » de réhabilitation du port de Beyrouth. Contrairement au projet de la Banque mondiale, le projet français, révélé aux officiels et à la presse, a été élaboré dans le secret des bureaux d'études, sans aucune consultation préalable du public, de la société civile ou des organisations professionnelles. Mais il prévoit aussi la mise en sécurité du site de l'explosion et le déplacement des silos.
Le plan français « exclut également le site des silos », laissant aux autorités libanaises le soin d'agir, selon la déclaration de l'Association des familles des victimes de l'explosion du port de Beyrouth.
« Nous considérons (le fait d'exclure le site) comme honteux, surtout après que toutes nos tentatives de communication et de discussion avec le bureau de la Banque mondiale aient été ignorées », ajoute le communiqué. Si les promoteurs du plan français ont assuré que l'idée était de sanctuariser ce site mais de laisser les Libanais décider ce qu'il fallait en faire, les auteurs de la lettre semblent craindre que les autorités du pays n'interprètent cette invitation à leur manière pour raser les silos et effacer ainsi toute trace permettant de remonter jusqu'aux responsables du drame, qui n'ont toujours pas été identifiés ni poursuivis.
« La lettre soumise à Jean-Christophe Carret discutait de solutions pratiques et matérielles, y compris l'acceptation d'un don koweïtien alloué au renforcement des silos, ce qui n'entraînerait aucune charge financière pour la ville, mais générerait des revenus pour le port à long terme », poursuit le communiqué.
Les ministres sortants des Travaux publics Ali Hamieh et de l'Economie Amine Salam n'étaient pas disponibles pour le moment pour un commentaire.