Des générateurs, fumants et assourdissants, installés au bord des routes, entourés de déchets et de fuites de mazout… Voilà le triste spectacle auquel les Libanais de toutes les régions ont dû s’accoutumer durant des décennies, faute de courant électrique assuré par les institutions étatiques. Or ce spectacle n’est pas seulement désagréable, il est pratiquement létal, les fumées des générateurs rejetant des polluants cancérigènes à longueur de temps.
Se basant sur une étude récente effectuée par son équipe à l’Université américaine de Beyrouth (AUB), qui a montré que les polluants rejetés par les générateurs ont doublé depuis 2017, la députée Najat Aoun Saliba, elle-même experte en la matière, a lancé, en coopération avec l’avocat et militant écologiste Choucri Haddad, une campagne pour équiper les générateurs d’un triple système de sécurité : un filtre contre les polluants, un silencieux contre les bruits et un extincteur pour une intervention rapide en cas d’incendie. La conférence de presse s’est tenue jeudi au siège de l’Institut socio-économique pour le développement à Badaro (Beyrouth).
« Nous n’avons pas à choisir entre le poison et l’électricité, à être à la merci des propriétaires des générateurs de quartier ou à vivre dans l’inquiétude de voir éclater un incendie près de chez soi », a lancé tout de go Najat Aoun Saliba, mettant en avant ce que son étude, qui a duré un an et a porté sur trois zones à Beyrouth, a démontré : une augmentation de 50 %, dans l’air de la capitale, de petites particules qui entrent profondément dans les bronches et sont un risque majeur de maladies, dont les cancers. « Que veut dire 50 % d’émanations toxiques en plus ? Cela signifie qu’avec les bonnes mesures, on peut facilement et rapidement réduire de moitié la pollution résultant de ce secteur », a-t-elle affirmé.
Porter l’affaire en justice
Cette campagne, a précisé Me Haddad, comporte un lobbying politique et des actions en justice. « Nous avons déjà adressé des lettres aux ministères de l’Intérieur et des Municipalités, de l’Environnement et de l’Énergie, afin de les mettre face à leurs responsabilités », a-t-il assuré.
L’avocat a précisé que de nombreuses plaintes ont déjà été déposées devant le parquet et que les lois libanaises sont suffisantes pour encadrer une action visant à réduire la pollution résultant des générateurs. Parmi elles : le code de l’environnement datant de 2002, la loi sur la qualité de l’air de 2018 et les décisions récentes prises, notamment par le ministère de l’Environnement, pour contraindre les propriétaires des générateurs à installer des filtres. Choucri Haddad a ajouté que des particuliers qui envisageraient de porter plainte contre un propriétaire de générateur polluant peuvent faire appel à eux pour un soutien. « Nous nous apprêtons à présenter une note d’information auprès du parquet environnemental sur la pollution des générateurs », a également annoncé l’avocat.
Pour Najat Aoun Saliba, les propriétaires de générateurs n’ont aucune excuse pour se dérober à leurs responsabilités. « Selon les chiffres de la Banque mondiale, ce secteur informel vaut quatre milliards de dollars et ne paye même pas de taxes à l’État. Il peut donc équiper sans problème les générateurs de systèmes de sécurité », a-t-elle dit.
À une question de L’Orient-Le Jour sur les plaintes déjà déposées et si elles ont atteint leurs objectifs, Me Haddad a précisé qu’elles « ont été transférées aux autorités compétentes ». Qu’attendent les auteurs de la campagne des lettres aux ministères, sachant que ces derniers n’ont jamais pris d’initiative en vue de limiter la pollution résultant des générateurs ? « Les chiffres révélés par l’étude récente de Najat Aoun Saliba montrent une nette augmentation des risques liés à la pollution, notamment les risques de contracter un cancer en raison de ces émanations auxquelles nous sommes continuellement exposés. Par conséquent, refuser de réagir relève désormais de la responsabilité pénale », a-t-il martelé.
Interrogé sur les mesures légales précises qui sont envisagées dans le cadre de la campagne au cas où les officiels ou les propriétaires de générateurs ne donneraient pas suite aux appels, Me Haddad dit préférer ne pas les divulguer avant terme.
Près de 35 ans après la fin de la guerre de 1975-1990, l’État libanais n’a toujours pas su (ou voulu) réformer le secteur de l’électricité de manière à assurer 24 heures de courant. Les Libanais ont recours aux générateurs privés pour combler ce manque, plus encore depuis que le secteur s’est pratiquement effondré durant la crise qui a commencé en 2019 et que le gouvernement n’a plus les moyens d’acheter le fuel pour alimenter les centrales. Au plus fort de la crise en 2020-2021, les générateurs étaient devenus pratiquement la seule source d’alimentation en électricité, ce qui a fortement augmenté les heures de fonctionnement et, parallèlement, la pollution en ville.
Belle initiative que nous espérons voir couronnée de succès.
11 h 08, le 27 juillet 2024