
Pink Martini, un groupe américain un peu loufoque à l’ouverture internationale. Crédit photo : Pink Martini
En trois mots, comment décririez-vous le concert à venir ?
Exaltant, international, diplomatique !
La musique, comment ça a commencé pour vous ?
J’ai commencé par étudier le piano classique. J’ai ensuite fait des études d’histoire et de littérature à Harvard, à l'issue desquelles je voulais me lancer dans la politique. C’est comme ça qu'a commencé Pink Martini : j’avais besoin d’un groupe pour jouer à des rassemblements et des levées de fonds. Au départ, on jouait simplement toute la musique que j’aimais : le répertoire était le reflet de mon intérêt pour les langues, le cinéma, et aussi un désir de mettre en avant tous les divers talents des membres du groupe. C'était l’imaginaire des films de Pedro Almodovar, Breakfast At Tiffany's, des chanteurs comme Maria Tănase, Feyrouz, Oum Koulthoum, Abdel Halim Hafez… Finalement, ça a empreint Pink Martini d’une touche de glamour à l'ancienne, inspirée du Hollywood des années 40 et 50. En tout cas, je n’aurais jamais imaginé faire carrière dans la musique, c'était accidentel ; le meilleur moyen de commencer une carrière. Si je l’avais planifié, ça n'aurait jamais aussi bien marché. Certains membres sont des jazzeux dans l'âme, d’autres viennent de la musique classique, certains sont plutôt pop/rock, China (Forbes, chanteuse, NDLR) aime le folk, la pop, le rock et le disco ! Tous ces intérêts informent le répertoire et le style du groupe.
Thomas Lauderdale, le directeur musical du groupe Pink Martini. Crédit photo : Pink Martini
Deux collaborations de rêve : une vivante et une de l’au-delà ?
Certainement Feyrouz et Abdel Halim Hafez.
Aussi, Édith Piaf. En fait, il y a des centaines de personnes ! En ce moment, nous préparons un album avec la légende iranienne Googoosh, c'est une chance immense et un grand privilège.
Avez-vous déjà eu l’occasion de séjourner longtemps au Liban ?
Oui, en l’an 2000. Un enfant des rues, qui devait avoir 9 ans, m’avait alors adopté et m’avait promené dans Beyrouth pendant 3 jours, à travers tous les sites bombardés. J’ai des polaroids de ce séjour, mais je ne saurais malheureusement pas nommer les sites que j’ai visités.
La tournée des 30 ans de Pink Martini passe par Beyrouth le 24 juillet 2024. Photo DR
Pink Martini a toujours eu une volonté d’introduire le public américain aux musiques du monde, arabe notamment : comment cela s’est-il fait ?
Il y a une volonté de partager toute la beauté de cette musique, mais aussi d’apporter une ouverture culturelle au public américain. Quand on voyage dans un nouveau pays, c’est un moment privilégié pour faire de la recherche et tout apprendre sur sa musique. Parfois, les recommandations viennent d’amis, ou de gens que l'on rencontre par hasard en voyageant. Les fans du groupe sont vraiment extraordinaires. Nous avons toujours beaucoup d’idées farfelues, et ils nous suivent dans tout avec enthousiasme. Nous travaillons aussi avec un génial professeur d’arabe, Dr Dirgham H. Sbait de la Portland State University qui nous aide avec la prononciation. C’est lui qui m’a récemment introduit à l'album de Noël de Feyrouz, qui est une merveille ! Nous allons d’ailleurs enregistrer la chanson Talj. En tout cas, il y a 30 ans, les sections « musique internationale » des magasins de disques étaient très limitées. Ça a beaucoup changé ces 20 dernières années ; aux États-Unis, presque personne n’avait entendu parler de Feyrouz ; mais aujourd’hui, les magasins de disques (ceux qui restent !) sont beaucoup plus conscients de l'intérêt pour la musique de différentes parties du monde, grâce à internet. En ce sens, il y a 20 ou 30 ans, nous étions les champions de cette musique au moment même où elle devenait plus accessible au public américain. J’aime penser que nous avons joué un petit rôle dans le partage de cette musique et de la langue arabe auprès d’un public qui n’aurait pas pu les découvrir autrement.
Pink Martini est très centré sur le public, avec humour, bienveillance et fantaisie. Comment cet état d'esprit s'est-il formé ?
Je crois que ça vient simplement d’une curiosité naturelle de l’ensemble du groupe, une volonté de donner à une chanson un très bel arrangement. Il y a un grand respect entre les membres de Pink Martini. C’est un très grand groupe, nous sommes 12, parfois plus quand nous jouons avec un orchestre entier. Si nous étions quatre, je crois que nous aurions rompu le groupe il y a très longtemps ! Mais comme nous sommes nombreux, ça disperse l'énergie ; et puis c’est tout un spectacle sur la scène ! Nous avons toutes ces percussions, ces cuivres, des chansons dans toutes les langues, ça remue, c’est comme un carnaval ! Et la musique est réjouissante et euphorisante, même si les paroles sont souvent tristes, c’est joyeux.
En tant que groupe autoproclamé « old-fashioned », quel est votre rapport aux réseaux sociaux ?
À vrai dire, j’y pense très peu. J’ai mon compte Instagram personnel, mais j'y publie surtout des vidéos de mes amis et moi qui construisons des forts en bois flotté sur une île près de chez moi. Sinon, je fais beaucoup de travail politique ; je fais partie du conseil d'administration de l'Orchestre symphonique de l'Oregon, et de la Historical Society, et d’autres organisations portées sur l’art.
Quels conseils donneriez-vous à quelqu'un qui aimerait se constituer une tribu (créative) comme Pink Martini ?
Je pense que travailler avec d’autres personnes sur des projets, c’est merveilleux. Le plus de sons de cloches, le mieux. Surtout collaborer avec des personnes plus âgées que soi, c’est fantastique. Nous travaillons avec des professeurs de langues, avec des chanteurs plus âgés (Googoosh doit avoir dans les 70 ans, nous avons travaillé avec des personnes bien au-delà de 80), ce n’est pas commun. En réalité, il faut qu’il y ait un « chef de meute », c’est le rôle que j’occupe dans le groupe. C’est une position souvent très difficile ! J’essaie d'être aussi inclusif que possible, pour que chacun soit fier de ses contributions et de son travail. Lorsqu’on crée quelque chose ensemble, tout le monde a de grosses opinions, c'est dur de savoir quand être très ouvert et quand l'être un peu moins ; mais pour pouvoir arriver à des décisions, c’est important.
Aimez-vous la vie en tournée ?
J’ai envie de dire oui, mais parfois je préférerais être à la maison, que j'aime beaucoup. Mais il n’y a rien de mieux que de jouer en live, et d’avoir cette expérience avec les gens. Donc, oui et non ! Nous voyageons à travers le monde, nous avons des applaudissements tous les soirs, les gens nous aiment, sont gentils, heureux. Comparé à la politique, mon rêve initial, travailler dans un bureau sous des néons avec des gens qui sont mécontents et en train de crier tout le temps, et puis je dois à chaque fois me faire réélire ! Il n'y a pas photo. C’est vraiment une grande chance. La récompense, c’est de regarder le public à la fin de la soirée, et de voir tout le monde à la queue leu leu lorsque nous jouons Brazil : que peut-il y avoir de mieux ? Ça, et la beauté de la musique elle-même, et le partage avec les musiciens. Si j'étais un pianiste classique qui jouait tout seul, je n’aimerais pas ça. Mais voyager avec une tribu, travailler ensemble, forger des relations année après année, c’est une famille choisie.