Rechercher
Rechercher

Nos Lecteurs ont la Parole

Lorsque la théorie prend chair : le vécu de la violence contre les femmes

Si les témoignages personnels peuvent parfois causer de la gêne à ceux qui les livrent, leur importance réside dans le fait qu’ils confèrent aux théories une dimension humaine concrète, augmentant ainsi leur impact et leur influence sur le psychisme humain. En d’autres termes, le témoignage personnel donne vie à la théorie et permet de comprendre qu’il s’agit d’une réalité vécue par un être humain qui se caractérise par une identité propre, des sentiments, une dignité et une souffrance.

Et quand il s’agit du délicat sujet de la violence contre les femmes, il ne suffit donc plus de fournir une définition théorique des formes physiques, sexuelles, émotionnelles et psychologiques que peut prendre cette violence. Il serait essentiel et plus humain de compléter par des témoignages concrets qui lui donnent, en quelque sorte, une âme.

Ayant pratiqué pendant de longues années en tant qu’anesthésiste-réanimateur et urgentiste, j’ai été confrontée à d’innombrables formes de violence infligée à des femmes. Si les formes de violence peuvent être différentes et les raisons – jamais validées – multiples, la douleur est unique et les conséquences effarantes. La femme victime de violence mais également son entourage proche seront marqués à vie.

Je me souviens encore de cette jeune femme qui se présentait régulièrement aux urgences. Pendant des années, elle a porté les stigmates invisibles d’une souffrance indicible. À chaque visite, j’observais son corps meurtri marqué par les coups et les humiliations. À chaque visite, j’écoutais sa voix silencieuse et devinais son calvaire.

Mais malgré la douleur physique et psychologique, la peur la tenait captive. Elle n’osait pas briser le silence, paralysée par la peur de son bourreau et par la crainte de ne pas être crue. Elle était également soucieuse du bien-être de ses enfants et de l’impact d’une séparation sur leur avenir, dans un contexte dévastateur de normes sociales discriminatoires.

Je me souviens également de cette femme qui attendait l’arrivée de son premier enfant, une fille, qui fut battue à mort par un mari en colère, aveuglé par la tradition patriarcale, qui rêvait d’un héritier.

L’histoire n’appartenant qu’à la personne qui l’a vécue, j’ai évidemment modifié les circonstances et les conséquences de la violence, dans le but de préserver l’anonymat des personnes impliquées, tout en évitant tout détail professionnel pouvant identifier les individus. Mais bien qu’à la limite du fictif, ces récits illustrent la terrible réalité des violences faites aux femmes. Toutefois, mon expérience ne se limite pas à mon seul champ professionnel, j’ai également mes intimes narratifs.

Quand, en octobre 2023, je suis nommée ambassadrice au Liban de l’ONG française « Maux et mots de femmes » (WhatsApp +33761017001), mon émotion est immense. Je me sens investie d’une mission importante : lutter contre la violence faite aux femmes dans ce pays où les abus et les discriminations envers elles sont encore très répandus.

Je commence alors à écrire ce texte. Mais les mots me manquaient. Je me sentais bloquée, incapable de mettre en forme mes pensées. Il semblait rester inachevé.

Cependant, en parlant de mon blocage à une psychologue, elle me fait comprendre que ma peur d’écrire était liée au fait que ce sujet me touche personnellement. Et qu’en essayant d’écrire les histoires des autres, je craignais de raviver mes propres expériences enfouies dans mon inconscient et qui hélas, continuaient à m’affecter. Oui, effectivement, j’ai également, en tant que femme membre d’une société patriarcale, et en tant que femme médecin, subi des violences psychologiques et émotionnelles. Des remarques désobligeantes, des comportements condescendants, des tentatives de minimiser mes compétences... Ces micro-agressions quotidiennes ont fragilisé ma confiance en moi et ont parfois remis en question ma vocation de médecin et mon bien-être.

C’est ainsi que je décide de reprendre mon texte. Écrire libère et guérit, mais aussi écrire pour toutes les femmes victimes de violence au Liban et de par le monde, écrire pour dénoncer les injustices et contribuer à un monde où toutes les femmes sont libres et respectées.

En effet, partager son histoire, même brièvement, a un pouvoir inestimable. En mettant des mots sur des maux, les témoignages donnent vie aux statistiques (selon un rapport de l’Organisation mondiale de la santé de 2021, une femme sur trois dans le monde a subi, au moins une fois dans sa vie, une ou plusieurs formes de violence https://www.who.int/publications/i/item/9789240022256) et aux concepts abstraits. Ils humanisent également la souffrance : derrière chaque histoire se cache un être humain, en l’occurrence une femme, avec ses émotions, ses blessures et sa dignité. Les témoignages brisent également les tabous : en parlant ouvertement, on encourage d’autres femmes à se libérer de leur silence et à demander de l’aide.

Ce texte est un témoignage, mais aussi un appel à l’action, y compris pour les femmes médecins, souvent témoins durant leur pratique professionnelle, et parfois même victimes. Nous devons tous nous mobiliser, garder le silence nous rend complices. C’est un combat pour l’égalité, la justice et l’humanité. Ne restons pas la voix silencieuse.

MD, MPH, MHA

Fondatrice et présidente de Lamsa, ONG libanaise pour

la promotion de la santé mentale et le bien-être des jeunes

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « Courrier » n’engagent que leurs auteurs. Dans cet espace, « L’Orient-Le Jour » offre à ses lecteurs l’opportunité d’exprimer leurs idées, leurs commentaires et leurs réflexions sur divers sujets, à condition que les propos ne soient ni diffamatoires, ni injurieux, ni racistes.

Si les témoignages personnels peuvent parfois causer de la gêne à ceux qui les livrent, leur importance réside dans le fait qu’ils confèrent aux théories une dimension humaine concrète, augmentant ainsi leur impact et leur influence sur le psychisme humain. En d’autres termes, le témoignage personnel donne vie à la théorie et permet de comprendre qu’il s’agit d’une réalité vécue par un être humain qui se caractérise par une identité propre, des sentiments, une dignité et une souffrance.Et quand il s’agit du délicat sujet de la violence contre les femmes, il ne suffit donc plus de fournir une définition théorique des formes physiques, sexuelles, émotionnelles et psychologiques que peut prendre cette violence. Il serait essentiel et plus humain de compléter par des témoignages concrets qui lui donnent, en...
commentaires (0) Commenter

Commentaires (0)

Retour en haut