En dépit de la procédure en cours la concernant devant le Conseil supérieur de discipline des magistrats, et après avoir été empêchée par le parquet de cassation de se pencher sur les grands crimes financiers, la procureure générale près la cour d’appel du Mont-Liban, Ghada Aoun, poursuit l’étude des dossiers bancaires contre vents et marées. Elle s’attire ainsi le mécontentement du procureur général près la Cour de cassation par intérim, Jamal Hajjar, qui a succédé à Ghassan Oueidate, parti à la retraite en février 2024.
Ce dernier avait écarté la magistrate, il y a trois ans, de l’examen des grosses affaires bancaires, après qu’elle a engagé des poursuites contre des banques et l’ancien gouverneur de la Banque du Liban, Riad Salamé, pour « des transferts massifs à l’étranger et des faits relevant du blanchiment d’argent ». Selon une source proche de Ghada Aoun, contactée par L’Orient-Le Jour, le juge Oueidate était pourtant revenu sur sa décision, se pliant ainsi à l’article 12 du Code de procédure pénale, en vertu duquel « chaque procureur dirige son service et répartit les tâches sur les avocats généraux qui l’assistent ». Du côté du parquet de cassation, on note au contraire que la procureure d’appel « a ouvert des dossiers bancaires pour lesquels elle n’a aucune compétence, d’autant qu’elle fait l’objet de recours qui lui ôtent sa mainmise sur ces affaires ».
C’est dans ce cadre que Jamal Hajjar, qui est son supérieur hiérarchique, lui aurait demandé de lui faire parvenir les dossiers qu’elle traite et à cause desquels elle fait l’objet de recours en dessaisissement et en responsabilité de l’État, émanant de responsables qu’elle poursuit. La juge Aoun lui aurait envoyé un seul dossier, celui de Bank Audi. Selon une source judiciaire informée, le patron du parquet ne le lui aurait pas rendu, alors qu’une audience était prévue la semaine dernière dans le cadre de l’affaire. La magistrate avait toutefois pris ses « précautions » en faisant des copies des procès-verbaux des audiences précédentes. Quant aux conclusions soumises par les parties au procès, il faudrait qu’elles soient à nouveau présentées. En tout état de cause, Ghada Aoun n’entend plus faire parvenir à Jamal Hajjar les documents originaux d’autres dossiers financiers qu’il lui réclame, ajoute la source précitée, rappelant que la magistrate traite, entre autres, le dossier d’une société financière libanaise, Optimum Invest, soupçonnée de transactions financières présumées suspectes.
Audience le 10 juin
Par ailleurs, notons que le 27 mai, le Conseil supérieur de discipline a reporté au 10 juin une séance consacrée à l’audition de Ghada Aoun. Selon une source judiciaire informée, celle-ci refuse de comparaître tant que n’auront pas été tranchés les recours en dessaisissement et en responsabilité de l’État qu’elle a présentés contre le président du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), Souheil Abboud, devant cette instance, ainsi que devant l’Assemblée plénière de la Cour de cassation et le Conseil supérieur de discipline.
Ah, il n’est donc pas arrivé là par hasard. La citadelle reste solide malgré les coups de boutoir de Ghada Aoun: des coups d’épée dans l’eau?
09 h 21, le 05 juin 2024