
Le député Taymour Joumblatt reçu à Aïn el-Tiné par le président de la Chambre Nabih Berry, en 2018. Photo tirée du compte Flickr du Parlement.
Le compromis est le maître mot qui résume l’approche de Walid Joumblatt dans le dossier de la présidentielle. Et si le leader druze presse depuis longtemps dans ce sens, son fils Taymour, à la tête du Parti socialiste progressiste depuis un an, veut passer aux choses concrètes. Après son séjour à Doha, il y a deux semaines, et la cinquième visite de l’émissaire français pour le Liban, Jean-Yves Le Drian, qui a mis en garde contre « la disparition du Liban politique » si le pays ne se dote pas d’un président de la République le plus rapidement possible, le député du Chouf lance une initiative visant à convaincre tous les chefs de file politique d’aller vers une sorte de « dialogue » qui défricherait le terrain devant un accord élargi autour du prochain locataire de Baabda. Sauf que Taymour Joumblatt rentre en scène à l’heure où le président de la Chambre, Nabih Berry – partenaire de Walid Joumblatt – conditionne la convocation d'une séance électorale à la tenue d'un dialogue national en amont, ce que l'opposition rejette catégoriquement. Avant le PSP, le bloc de la Modération nationale (ex-haririens) avait essayé de trouver un terrain d'entente en proposant des « concertations » informelles entre les députés, en vain.
« Notre initiative est née d’une idée de Taymour, mais aussi de Walid Joumblatt, qui s’étaient entretenus avec M. Le Drian la semaine dernière », confie à L’Orient-Le Jour Marwan Hamadé, député du Chouf, proche de Moukhtara. « D’autant plus que ce que nous avons entendu au Qatar et en France est dangereux », souligne, pour sa part Hadi Aboul Hosn, son collègue de Baabda, dans une référence aux mises en garde contre un risque « sérieux » de guerre totale entre le Liban et Israël.
« Il nous faut donc tenter de faire bouger les choses, surtout que notre positionnement centriste nous permet de dialoguer avec tout le monde », explique encore M. Hamadé. Taymour Joumblatt prévoit d'ailleurs des entretiens avec les leaders politiques de tous bords, du chef des Forces libanaises, Samir Geagea, à son grand adversaire chrétien, le numéro un du CPL, Gebran Bassil, en passant par les blocs du Renouveau (opposition) et de la Modération nationale. Une réunion est même prévue avec Sleiman Frangié, candidat du tandem chiite Amal-Hezbollah à la présidence. Selon les informations de L’OLJ, Ghazi Aridi, ancien ministre joumblattiste, s’est réuni lundi avec une délégation du Hezbollah. « C’est un entretien tout à fait ordinaire dans le cadre de nos rencontres périodiques avec ce parti », précise toutefois Bilal Abdallah, député du Chouf.
Au vu du contexte dans lequel elle intervient, la démarche joumblattiste s’inscrit dans le prolongement des efforts du Quintette impliqué dans le dossier libanais (États-Unis, France, Arabie saoudite, Égypte, Qatar). Dans son fameux communiqué du 16 mai dernier, le groupe a ouvertement plaidé pour l’élection d’une figure de troisième voie, loin du chef des Marada, Sleiman Frangié, et de son adversaire, Jihad Azour, appuyé par l’opposition chrétienne, le Courant patriotique libre et… le PSP. Faut-il en déduire que les joumblattistes sont officiellement en quête d’un substitut à l’ancien ministre des Finances, afin de faciliter la tenue de la présidentielle ? Non, à en croire les cercles de Moukhtara. «Notre initiative ne porte pas sur des noms de présidentiables », dit M. Aboul Hosn. Marwan Hamadé, lui, se veut plus clair. « Il s’agit de pousser vers des tractations qui aboutiraient à la tenue de la présidentielle », dit-il.
« Faux, faux et faux »
Ces « tractations » correspondent-elles au dialogue tel que voulu avec insistance par Nabih Berry, ou aux consultations préconisées par le groupe des Cinq dans leur communiqué ? « Je ne crois pas qu’il y ait un terme qui exprime au mieux la véritable solution », ironise Marwan Hamadé, résumant ainsi le chaos sémantique et politique généré par la polémique suscitée, autour du processus à suivre pour sortir de l’impasse. « Il faut quand même reconnaître que M. Berry a mis de l’eau dans son vin et a accepté de se rabattre sur des consultations (lors de la visite de Le Drian) », rappelle M. Hamadé. Reste que le maître du perchoir persiste et signe : il veut à tout prix être le moteur du déblocage. Lundi, il est revenu à la charge. Dans une interview accordée au quotidien al-Joumhouriya, il a déclaré : « J’ai été flexible avec le Quintette qui m’a demandé de remplacer le ‘‘dialogue’’ par des ‘‘consultations’’ (…). Mais il y a des constantes face auxquelles je ne peux être indulgeant. D’autant plus que contrairement à ce que l’on serait tenté de croire, ce ne sont pas de simples questions de forme mais des règles institutionnelles. » « Le Parlement est le lieu de toute consultation. Et cette Chambre a un président qui devrait être à la tête de toute séance de consultation », a-t-il expliqué. Et de rappeler que cette prise de position « n’a rien à voir avec (sa) personne », mais « il y va des prérogatives de la présidence de la Chambre ».
De quoi s'attirer les foudres du camp adverse. Lundi, Samir Geagea, chef des FL (dont une délégation s’est rendue au même titre que le bras droit de Nabih Berry, Ali Hassan Khalil, à Doha dans le cadre des efforts qataris pour une issue de crise) est monté au créneau. « Faux, faux et faux. Je lui rappelle qu’il est président de la Chambre, et non des blocs parlementaires (…) qui peuvent se concerter quand ils veulent et là où ils veulent », a lancé le leader chrétien dans une interview accordée à l’agence al-Markaziya. Rappelant que la Constitution ne mentionne pas une table de dialogue précédant chaque élection présidentielle, Samir Geagea s’en est pris au maître du perchoir sans mâcher ses mots : « M. Berry a fait tomber les masques. Il tente de mettre en place des pratiques non constitutionnelles. Nous ne sommes pas pour un dialogue sous sa houlette, mais pour des consultations entre les blocs parlementaires. »
Querelle futile et vaine pour une simple question de forme! Que les consultations soient ou non sous la houlette de Berry,qu'est-ce que cela va changer ?Avec ce bloquage,la présidentielle sera envoyée aux calendes grecques. M.Z
12 h 14, le 04 juin 2024