Le Liban est revenu sur sa décision de reconnaître la compétence de la Cour pénale internationale (CPI) pour les crimes israéliens commis sur le territoire libanais à partir du 7 octobre 2023.
En avril, au terme d’un vote, le gouvernement libanais sortant avait demandé au ministère des Affaires étrangères de remettre une déclaration à la CPI reconnaissant sa compétence et l'autorisant à enquêter et à poursuivre les crimes de guerre présumés depuis le début des affrontements transfrontaliers entre le Liban et Israël, au lendemain du début de la guerre de Gaza. Mais le ministre libanais sortant des Affaires étrangères, Abdallah Bou Habib, n'a jamais déposé la déclaration demandée. Et mardi, le cabinet a publié une décision modifiée qui ne mentionnait pas la CPI, indiquant que le Liban déposerait plutôt des plaintes auprès des Nations unies. Le Liban a régulièrement déposé des plaintes auprès du Conseil de sécurité des Nations unies concernant les bombardements israéliens au cours des sept derniers mois. Mais elles n'ont pas donné lieu à la moindre décision contraignante de la part des Nations unies.
Ni le Liban, ni Israël ne sont membres de la CPI. Une déclaration formelle à la Cour serait nécessaire de la part de l'un ou l'autre pour lui donner la compétence de lancer des enquêtes sur une période donnée.
Porte ouverte à des enquêtes sur d'autres dossiers ?
Contacté par Reuters, M. Bou Habib n'a pas commenté les raisons pour lesquelles il n'avait pas remis la déclaration demandée. Un officiel libanais, s'exprimant sous couvert d'anonymat, a pour sa part déclaré à Reuters que la décision initiale du cabinet avait suscité une « confusion » quant à savoir si une déclaration « ouvrirait la porte à la Cour pour enquêter sur ce qu'elle veut dans différents dossiers ». Le haut placé a déclaré que la demande de réexamen de la décision émanait de Georges Kallas, un ministre proche du président du Parlement, Nabih Berry, chef du mouvement Amal, allié au Hezbollah et engagé comme lui dans les affrontements transfrontaliers avec Israël.
Contacté par Reuters, M. Kallas a confirmé qu'il avait demandé un réexamen de la décision initiale du gouvernement, mais il a nié que c'était par crainte que le Hezbollah ou Amal ne fassent l'objet de mandats d'arrêt de la CPI.
Le Liban a accusé Israël de violer à plusieurs reprises le droit international depuis octobre, lorsque le Hezbollah a ouvert le front du Liban-Sud en soutien au Hamas dans la bande de Gaza, entraînant la riposte de l'État hébreu. Depuis, les bombardements israéliens ont tué, selon le décompte de L'Orient-Le Jour, 432 personnes, parmi lesquelles on retrouve principalement des combattants du Hezbollah (321) mais également 66 civils, dont des enfants, 19 secouristes et trois journalistes. Du côté israélien, dix civils ont été tués le long de la frontière nord depuis début octobre et environ 60 000 résidents ont été déplacés.
Condamnations
Human Rights Watch a condamné le revirement du gouvernement. « Le gouvernement libanais avait une occasion historique d'assurer la justice et la responsabilité pour les crimes de guerre au Liban. Il est honteux qu'il renonce à cette opportunité », a déclaré à Reuters Ramzi Kaiss, chercheur de HRW sur le Liban. « L'annulation de cette décision montre que les appels du Liban à rendre des comptes sonnent creux », a-t-il ajouté. De son côté, Reporters sans frontière s'est dit « atterrée par la volte-face du gouvernement libanais qui ferme la porte à la Cour pénale internationale et ouvre celle de l'impunité pour l'attaque israélienne qui a tué le reporter Issam Abdallah. Une décision qui laisse en danger les journalistes qui couvrent le conflit », a déclaré l'ONG, sur X. Photojournaliste pour Reuters, Issam Abdallah a été tué, selon plusieurs enquêtes indépendantes, par un tir de char israélien alors qu'il couvrait les affrontements au Liban-Sud, le 13 octobre.
« Notre optimisme initial quant à la décision du gouvernement libanais d'accorder à la CPI l'autorité d'enquêter et de poursuivre les crimes de guerre (...) a cédé la place à une profonde déception », a déclaré à l'AFP Aya Majzoub, d'Amnesty International. « Le gouvernement dit qu'il veut que justice soit faite (..) mais il a fermé la porte à l'une des rares voies de responsabilité », a ajouté la directrice régionale adjointe pour le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord à Amnesty.
Selon l'ONG juridique libanaise Legal Agenda, « certains partis politiques influents au sein du Conseil des ministres, notamment le Hezbollah, n'étaient pas entièrement satisfaits de la décision » d'avoir recours à la CPI. L'ONG explique dans un communiqué que ces partis pourraient « craindre » que la CPI vise des dirigeants du Hezbollah ou des responsables libanais.
Le ministre sortant de l'Information Ziad Makari, porte-parole du gouvernement, a de son côté souligné qu'il avait soutenu la décision initiale et qu'il « continuerait à explorer d'autres tribunaux internationaux pour rendre la justice » malgré ce revirement.
Le Liban a fait marche arrière quelques jours après que la CPI a demandé des mandats d'arrêt pour crimes de guerre présumés à l'encontre du Premier ministre et du ministre de la Défense d'Israël, ainsi que de trois dirigeants du Hamas. C'est la députée Halimé Kaakour, titulaire d'un doctorat en droit international public, qui était à l'origine de la demande de déclaration à la CPI. Elle a recommandé la mesure à la commission parlementaire de la Justice, qui l'a approuvée à l'unanimité. Le cabinet l'avait approuvée à la fin du mois d'avril. « Les partis politiques qui ont soutenu cette initiative dans un premier temps semblent avoir changé d'avis. Mais ils ne nous ont jamais expliqué la raison, ni à nous ni au peuple libanais », a regretté Mme Kaakour à l'agence Reuters. « Les plaintes du Liban auprès du Conseil de sécurité des Nations unies n'aboutissent à rien. Nous avons eu l'occasion de donner à la CPI un délai pour examiner la question, nous avons la documentation - si nous pouvons utiliser ces mécanismes internationaux, pourquoi pas ? »
Triste et dommage !
20 h 00, le 30 mai 2024