
Le guide suprême iranien Ali Khamenei (à dr.) recevant le président du Parlement libanais Nabih Berry, le 22 mai 2024, à Téhéran. Photo ANI
« Sincères condoléances », disent les uns, « pas en notre nom », répondent les autres. Sur la scène politique libanaise, les réactions à l’égard du décès du président iranien, Ebrahim Raïssi, dans un accident d’hélicoptère dimanche sont loin de faire l’unanimité.
Pour témoigner à la République islamique du deuil de l’État libanais, le président du Parlement, Nabih Berry, s’est rendu mercredi à Téhéran où il été reçu dans la nuit par le guide suprême iranien, l’ayatollah Ali Khamenei, après avoir assisté aux funérailles du président Raïssi et du chef de la diplomatie, Hossein Amir-Abdollahian, également tué dans le crash. « Ce fut un honneur pour moi de connaître Ebrahim Raïssi avant qu’il ne devienne président. Il était de notre devoir d’être aux côtés de l’Iran, qui a soutenu et continue de soutenir le Liban, pour présenter nos condoléances au nom du Liban et des Libanais », a déclaré M. Berry devant la presse, à son arrivée dans la capitale iranienne. Selon des informations de l’Agence nationale d’information (ANI, officielle), la délégation libanaise s’est également entretenue avec le nouveau président par intérim de la République islamique, Mohammad Mokhber.
« Amis du Liban »
Au Liban, un deuil national de trois jours a été décrété lundi par le Premier ministre sortant, Nagib Mikati. Les drapeaux libanais ont été mis en berne au-dessus des bâtiments publics tandis que « les programmes radiophoniques et télévisuels habituels (ont été) adaptés aux circonstances ».
Le guide suprême iranien a remercié le Liban pour ses condoléances et pour les trois jours de « deuil national ». « L’annonce du deuil national au Liban est un signe d’harmonie totale entre les deux pays. Nous considérons notre relation avec nos frères libanais et Hassan Nasrallah (le chef du Hezbollah, NDLR) comme une relation de parenté et de fraternité », a écrit Ali Khamenei sur son compte X. « L’implication du Liban pour la cause de la Palestine et de Gaza a eu un impact profond. Si le Liban n’avait pas entrepris une telle démarche, il aurait certainement subi des pertes beaucoup plus importantes », a-t-il ajouté.
M. Mikati s’est personnellement rendu à l’ambassade d’Iran pour présenter ses condoléances à l’ambassadeur Mojtaba Amani. De nombreux autres officiels et responsables de partis politiques libanais lui ont emboîté le pas. Parmi eux, une délégation du Hezbollah, du mouvement Amal, du Courant patriotique libre menée par son chef Gebran Bassil, du Parti socialiste progressiste, ou encore les anciens présidents de la République Michel Aoun et Émile Lahoud.
Cet hommage aux deux dirigeants iraniens défunts s’est également traduit par une campagne d’affichage dans plusieurs zones contrôlées pas le Hezbollah, dont la banlieue sud de Beyrouth, la région de Jabal Amel, les alentours de Nabatiyé ou encore le sud de Saïda, à Ghaziyé et Zahrani, au Liban-Sud, où des pancartes à l’effigie d’Ebrahim Raïssi et de Hossein Amir-Abdollahian ont été placardées ici et là, d’après les informations de notre correspondant Mountasser Abdallah et des images de l’AFP.
Un motard, le 23 mai 2024 à Nabatiyé au Liban-Sud, passe devant une affiche à l'effigie du président iranien tué dans un accident d'hélicoptère Ebrahim Raïssi. Photo AFP/MAHMOUD ZAYYAT
« Colonie perse »
Cet échange d’amabilités n’a pas manqué de faire grincer des dents au sein de l’opposition et des adversaires du Hezbollah qui dénoncent l’influence iranienne sur le Liban. « La colonie du Liban remercie le grand et immortel Empire perse pour ses sentiments paternels », a ironisé sur X Peter Germanos, l’ancien commissaire du gouvernement près le tribunal militaire.
De son côté, le député Forces libanaises de Baabda Pierre Bou Assi a interpellé le guide suprême iranien : « Pourquoi n’as-tu pas mené cette bataille avec ton armée, ton peuple et ta résistance (plutôt qu’à travers le Liban) ? »
« Nous allons limiter et fermer les administrations et les institutions pendant trois jours pour un président qui a massacré son peuple et entraîné le Liban dans l’axe du terrorisme et de la destruction ? » a quant à lui dénoncé Nadim Gemayel, député Kataëb.
« Le Liban est sous occupation iranienne. L’opposition doit commencer par le reconnaître et reconstituer un quorum national pour y mettre un terme », a commenté de son côté Farès Souhaid, ancien député et farouche opposant au Hezbollah.
Même son de cloche du côté de Siba Madwar, journaliste syrienne d’opposition, qui estime que si Khamenei a remercié nommément Hassan Nasrallah pour avoir annoncé trois jours de deuil plutôt que le Premier ministre Nagib Mikati, c’est parce qu’« il ne considère pas le Liban comme un État, mais seulement comme une milice basée dans la banlieue sud de Beyrouth ». Et d’ajouter : « Que Dieu vienne en aide aux Libanais. »
Il ne faut pas condondre le Liban officiel avec le Liban tout court et les libanais. Il est bien évident que les condoléances n’émanent que du premier. Les libanais, ou bien s’en fichent royalement, ou mieux, s’en réjouissent. - "Khamenei a remercié nommément Hassan Nasrallah pour avoir annoncé trois jours de deuil plutôt que le Premier ministre Nagib Mikati". Il serait étonnant de s’en étonner. Les remerciements s’adressent naturellement au décideur et non à un sous-fifre.
07 h 15, le 25 mai 2024