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Campus - SÉCURITÉ ROUTIÈRE

Des milliers de jeunes Libanais forcés de conduire sans permis

Directement affectés par la fermeture des services qui octroient les permis de conduire, les jeunes de 18 ans et plus se retrouvent plongés malgré eux au cœur du chaos.

Des milliers de jeunes Libanais forcés de conduire sans permis

Antonio Naddaf. Photo DR

Pour ses déplacements, Antonio Naddaf emprunte déjà la voiture de son père, sauf qu’il n’a pas encore passé le permis de conduire. Et pour cause. Jeune majeur, âgé de 18 ans et un mois, il affirme avoir cherché ces derniers mois à obtenir le permis auprès des centres d’enregistrement des véhicules (communément appelés Nafaa), en vain. « J’ai essayé à maintes reprises, mais, tout d’abord, il faut que ces centres reprennent le travail de façon régulière pour que je puisse passer l’examen et décrocher le permis », indique-t-il. En attendant, le jeune homme, qui n’a pas suivi de formation auprès d’une auto-école, mais a quand même bénéficié de « conduite accompagnée » depuis ses seize ans grâce à son père qui lui a appris à conduire, continuera de circuler seul et de manière autonome. Une situation qui ne plaît pas trop à sa mère, Nada. « À chaque fois qu’il prend le volant, je suis sur le qui-vive. Je l’appelle toutes les cinq minutes pour m’assurer que tout va bien, qu’il est bien arrivé à destination », confie-t-elle. « Je crains qu’il ne soit arrêté par une patrouille de police, et je suis stressée parce que je sais que conduire sans permis constitue une infraction au code de la route et un délit en matière de sécurité routière. Par conséquent, cela expose le conducteur à une amende et à des sanctions », ajoute-t-elle. Attristée par cette situation « tragique » qui prévaut au pays, elle tient néanmoins à préciser que tant que son fils n’a pas son permis, il n’a pas le droit de conduire en dehors de la zone géographique strictement délimitée par ses parents.À tout juste 18 ans, Sibelle el-Gayth a commencé à apprendre à conduire il y a un an.

Sibelle el-Gayth. Photo Imad al-Alam

La jeune fille, qui devrait rejoindre les bancs de l’université dans quelques mois, hésite encore entre rester au pays ou partir à l’étranger, notamment en France. Elle s’est déjà renseignée auprès d’une connaissance travaillant au centre d’enregistrement sur la possibilité d’obtenir un simple document ou une sorte de permis provisoire qui lui permettrait de circuler en toute tranquillité. Cependant, sa demande s’est heurtée à une fin de non-recevoir. « J’ai contacté quelqu’un que je connais pour savoir s’il serait possible d’obtenir ne serait-ce qu’un petit bout de papier, mais la réponse a été négative », dit-elle. Face à cette situation, Sibelle continue à rouler sereinement à bord de la voiture de ses parents sur les routes et autoroutes qu’elle emprunte quotidiennement à Sin el-Fil, avec son père pour copilote. Parallèlement, elle s’emploie à apprendre le code de la route et à se préparer à l’examen, histoire d’être fin prête au cas où les services concernés reprendraient soudain leur activité ! À l’instar d’Antonio et de Sibelle, des milliers de jeunes Libanais conduisent aujourd’hui depuis au moins trois ans sans permis valide, dans l’attente que la fameuse commission chargée de l’examen des candidats soit nommée par le ministre de l’Intérieur. En mode survie depuis l’éclatement de la crise en 2019, avançant entre débrouille, faculté d’adaptation et résilience, les Libanais ont néanmoins trouvé une solution provisoire pour contrer la paralysie et la désintégration totale des institutions publiques. Pour gérer tant bien que mal ce contexte complexe et « normaliser » le quotidien, un expédient palliatif a été mis en place, comme l’affirme Chucri Ayoub, expert des accidents de la route et ancien secrétaire général du syndicat des experts. En effet, un accord a été établi avec les compagnies d’assurances, indique-t-il. « Actuellement, en cas d’accident impliquant un jeune de 18 ans, les compagnies d’assurances couvrent désormais les dégâts, aussi bien matériels que physiques.

Chucri Ayoub. Photo DR

D’ailleurs, une police d’assurance tous risques peut être émise en son nom », explique-t-il. « Cependant, certaines de ces compagnies exigent, en plus de l’âge, une condition supplémentaire, à savoir la soumission d’une attestation dûment signée par une auto-école reconnue et membre du syndicat des auto-écoles au Liban, témoignant de l’aptitude du jeune à conduire », ajoute-t-il, avant de préciser que « cette attestation ne remplace en aucun cas le permis de conduire » et que « tout candidat doit forcément passer tôt ou tard l’examen auprès du centre d’enregistrement ».Mais comment ces attestations sont-elles délivrées ? S’assure-t-on au moins que le postulant est en mesure de conduire ? Est-il soumis à un examen ? « Les auto-écoles réputées respectent les procédures, mais j’ai entendu dire que certains bureaux dans différentes régions se contentent d’octroyer l’attestation contre une somme bien déterminée, soit l’équivalent de 20 $ », réplique-t-il. « Ce n’est peut-être qu’une rumeur », tient-il encore à ajouter.Certes, dans un pays où le « provisoire » perdure, ces mesures prises permettent de contourner momentanément la situation problématique dans laquelle se trouvent l’ensemble des Libanais, notamment les jeunes, mais ne règlent qu’un aspect infime et dérisoire de ce fléau à multiples facettes qu’est la sécurité routière au Liban. Pour Ziad Akl, fondateur de l’association pour la sécurité routière YASA, tout réside dans la mise en place du code de la route comme il se doit par toutes les parties concernées. « C’est un véritable scandale. Cela fait pratiquement plus de 15 mois que les services chargés de superviser les examens et délivrer les permis de conduire ne fonctionnent plus, alors que les centres de l’inspection mécanique des véhicules affichent portes closes depuis deux ans déjà. Ça ne s’est même pas produit durant les années de guerre civile », s’écrie-t-il sur un ton indigné.

Ziad Akl. Photo Ziadakl.org

Des chiffres alarmants

Dénonçant un « manque de sérieux » de la part des autorités dans le traitement du dossier de la sécurité routière, Ziad Akl insiste par ailleurs sur la responsabilité commune, voire de tout un chacun, dans la prévention des accidents routiers. Cela commence par le citoyen, appelé à se conformer au code de la route et à effectuer un contrôle technique régulier de son véhicule, en passant par le ministère des Travaux publics chargé de la maintenance des infrastructures routières, jusqu’au ministère de l’Intérieur, notamment l’Autorité de gestion du trafic et des véhicules, dont le rôle est primordial dans l’application de la loi. « Un examen pour passer son permis, aussi important soit-il, ne signifie rien, d’autant que nous savons tous qu’il était possible d’obtenir son permis sans passer par le centre d’enregistrement », affirme-t-il.Si, en 2021 et 2022, les accidents routiers ont diminué parce que les Libanais circulaient moins en raison du Covid, de la crise des carburants et de la flambée des prix, la situation s’est en revanche dégradée en 2023. « La régression du pouvoir d’achat des Libanais s’est directement répercutée sur leur capacité à réparer et à maintenir leurs véhicules en bon état », souligne l’activiste. « Conjugué à l’absence de l’inspection mécanique, ce manque de moyens a accentué les risques sur les routes, sans oublier le recul dans les travaux d’entretien des infrastructures routières, l’absence d’éclairage et de feux de signalisation », ajoute-t-il, soulignant au passage que la YASA a déjà mis en garde les autorités concernées contre cette situation qui risque d’empirer, prévoyant ainsi une augmentation du taux des accidents de 20 %.Rien qu’à titre d’exemple et jusqu’en février 2024, vingt-cinq victimes d’accidents routiers ont été recensées, contre 17 pour la même période en 2023, seize en 2022, vingt-quatre en 2018 et vingt-trois en 2017. Des chiffres alarmants qui révèlent non seulement l’ampleur de la catastrophe, mais aussi les réponses inadéquates avancées au fil des ans par les dirigeants, ainsi que leur incurie.

Pour ses déplacements, Antonio Naddaf emprunte déjà la voiture de son père, sauf qu’il n’a pas encore passé le permis de conduire. Et pour cause. Jeune majeur, âgé de 18 ans et un mois, il affirme avoir cherché ces derniers mois à obtenir le permis auprès des centres d’enregistrement des véhicules (communément appelés Nafaa), en vain. « J’ai essayé à maintes reprises,...
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