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Lifestyle - Histoires de thérapies

2/ De l’importance du salon de loisirs dans un service de psychiatrie

Le moment est sacré, intime, personnel. Un face-à-face entre le psychanalyste et son patient, qui se fait dans la colère, les larmes, les fous rires et les silences.

Dans cette rubrique bimensuelle, le Dr Chawki Azouri partage des histoires et des cas qu’il a vécus tout au long de sa carrière. Pour cette nouvelle série, il revient dans un second article sur son expérience personnelle lors de la création du service psychiatrique de l’hôpital Mont-Liban.

2/ De l’importance du salon de loisirs dans un service de psychiatrie

Photo d'illustration bigstock

À l’asile psychiatrique qui ressemble souvent plus à un « camp de concentration », il est impossible de créer un salon de loisirs. L’idéologie qui y règne ne peut envisager cela. Pourtant, Michaël Balint, pédiatre et psychanalyste anglais, avait remarqué que les stéréotypies étaient très fréquentes en camp de concentration, alors qu’on les attribuait à la clinique de la psychose.

Autrement dit, les psychiatres qui s’occupaient des patients hospitalisés depuis longtemps dans les asiles pensaient que ces troubles de comportement étaient dus à la psychose, alors qu’en fait ils étaient provoqués aussi par l’enfermement.

Les stéréotypies sont des comportements reliés en général à l’autisme. Ce sont des gestes répétitifs, sans but apparent, rythmés et qui ressemblent à des tics. Mais elles sont beaucoup plus graves que les tics. Par exemple, balancer le corps d’arrière en avant, se cogner la tête contre le mur, se frapper le corps, se mordre, etc. Elles favorisent l’évitement de l’autiste qui se coupe du monde et permettent l’autostimulation.

Ainsi, elles faisaient partie des symptômes de l’autisme comme le reconnaissaient les psychiatres du XIXe siècle. Mais la remarque de Balint prit son importance et par la suite, on a reconnu que si les stéréotypies faisaient partie des symptômes psychotiques, particulièrement l’autisme, c’était aussi parce que les patients étaient enfermés depuis longtemps. L’enfermement était donc aussi responsable des stéréotypies autant que la psychose en elle-même.

L’idée commençait à germer qu’il fallait peut-être ouvrir les asiles et soigner les psychotiques dans leur milieu ambiant. En France, dans les années 60, ce fut la « politique de secteur ». Un secteur géographique est divisé en parties. Chacune d’elles comprend un service de psychiatrie en hôpital général, un hôpital de jour, un dispensaire ou centre médico-psychologique et éventuellement un hôpital de nuit. Ainsi, un patient hospitalisé à plein temps dans le service hospitalier qui quitte l’hôpital n’est pas lâché dans la nature. Il est suivi dans les différentes structures du secteur jusqu’à redevenir fonctionnel.


Pour mémoire

L’accompagnement de Jane à l’hôpital 1/4


Dans le service de psychiatrie que j’ai fondé à l’hôpital Mont-Liban, le « salon » était très prisé car il permettait aux patients, aux infirmiers et aides-soignants ainsi qu’aux médecins et psychologues de rester ensemble, de boire un café et de sortir ainsi de leurs rôles, le temps d’une conversation. Jeux de cartes, Monopoly, backgammon, etc. permettaient à tout le monde d’être sur la même longueur d’onde.

Je jouais un jour au backgammon avec un patient. Entre alors le père d’une patiente hospitalisée. Il s’installe près de nous et observe la partie, intéressé. C’était un important homme d’affaires qui travaillait en Arabie saoudite, fier et orgueilleux. Je ne le connaissais pas, c’est sa fille qui m’a donné ces détails plus tard. Je lui propose de jouer. Après avoir fait la fine bouche, il accepte. Il avait un bon niveau, mais ce jour-là, la chance était avec moi. Il s’énerve un peu trop, sort de ses gongs, se lève et me dit : « Je vais vous casser en deux. » Réalisant qu’il parlait au chef de service, il se confond en excuses alors que tout le monde riait, y compris sa fille.

Cet exemple montre la nécessité d’un lieu, à l’intérieur d’un service de psychiatrie, où il n’y a plus ni patients, ni soignants, ni parents. Les fonctions thérapeutiques n’existent plus à l’intérieur du salon de loisirs, le temps d’un moment. Mais l’effet thérapeutique s’est fait sentir.

En 20 ans de service et pendant que j’étais à ce poste, nous n’avons eu aucune tentative de suicide, très peu d’agressivité et un taux de réussite très appréciable. Et le service continue de fonctionner.

À l’asile psychiatrique qui ressemble souvent plus à un « camp de concentration », il est impossible de créer un salon de loisirs. L’idéologie qui y règne ne peut envisager cela. Pourtant, Michaël Balint, pédiatre et psychanalyste anglais, avait remarqué que les stéréotypies étaient très fréquentes en camp de concentration, alors qu’on les attribuait à...

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