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Culture - Exposition

La fondation Aïshti déroule sa « Nuit américaine » au palazzo romain des Barberini

C’est le genre de choc artistique qui vous coupe le souffle et vous laisse bouche bée. Rome n’est certes pas avare de ce « syndrome de Stendhal », mais la Fondation Aïshti y a frappé fort avec l’exposition « Day for night » installée pour trois mois aux Galeries nationales d’art ancien, sous les lambris XVIIe siècle du palais Barberini.

La fondation Aïshti déroule sa « Nuit américaine » au palazzo romain des Barberini

De gauche à droite : Flaminia Gennari Santori, Tony Salamé et Massimiliano Gioni. Photo Alberto Novelli

Du 14 avril au 14 juillet, la Gallerie Nazionali di Arte Antica, en collaboration avec la Fondation Aïshti de Beyrouth, présente l’exposition « Day for night : New american realism », organisée par les curateurs Massimiliano Gioni et Flaminia Gennari Santori.

D’abord la confrontation du passé et du présent. Une partie de la collection d’Elham et Tony Salamé d’art contemporain américain, environ 150 œuvres d’artistes tels que Cecily Brown, George Condo, Nicole Eisenman, Urs Fischer, Wade Guyton, Julie Mehretu, Laura Owens, Richard Prince, Charles Ray, David Salle, Dana Schutz, Cindy Sherman, Lorna Simpson, Henry Taylor, Christopher Wool, ainsi que libanais, parmi lesquels Ziad Antar, Simone Fattal, Etel Adnan et Rayyane Tabet, côtoient les œuvres et fresques du baroque italien dans les salles monumentales de l’un des plus somptueux palais de Rome : la résidence du pape Maffeo Barberini, connu sous le nom d’Urbain VIII.

Dans une des salles du palais Barberini se côtoient une œuvre du Libanais Ziad Antar et une autre de l’Américaine Cindy Sherman. Courtoisie Fondation Aïshti

Une œuvre inquiétante de Lorna Simpson

Sous le thème de la « Nuit américaine », technique de tournage de scènes nocturnes en plein jour popularisée en 1973 par François Truffaut avec son film éponyme, l’exposition interroge les notions de réalisme et réalité, vérisme et vérité alternative, post-vérités et fake news. L’œuvre qui donne son titre à cette exposition est en fait une peinture à l’encre de l’artiste Lorna Simpson. Day for night est une œuvre inquiétante, noyée dans des teintes d’indigo et de bleu, qui place le spectateur dans la posture d’un badaud qui observe une femme debout sur le rebord d’une fenêtre, côté façade. « L’érosion progressive de la définition même de la vérité qui a caractérisé la culture américaine ces dernières années a paradoxalement coïncidé avec un retour à la figuration dans le travail de nombreux artistes contemporains. Alors que des concepts tels que les « faits alternatifs et les « post-vérités » ont fait leur chemin dans la conscience publique américaine, de nombreux artistes ont entrepris une réflexion complexe sur le concept de réalisme, en particulier dans le domaine de la peinture contemporaine. Cette exposition rassemble des œuvres d’artistes émergents qui explorent de nouvelles approches de l’imagerie figurative, ainsi que des contributions d’importants prédécesseurs qui ont anticipé le débat actuel sur la représentation et le vérisme », indique le critique d’art contemporain Massimiliano Gioni, directeur du New Museum de New York et cocurateur de l’exposition avec Flaminia Gennari Santori, historienne de l’art et ex-directrice de la Gallerie Nazionali di Arte Antica.

En conversation avec les « Caravegesques »

À ce titre, la présence des œuvres américaines de la collection d’Elham et Tony Salamé trouve au palais Barberini une exceptionnelle pertinence. En effet, la Galerie nationale d’art ancien du palais d’Urbain VIII abrite un important ensemble de peintures du Caravage, ce peintre ultracontemporain de son époque, et la plus grande collection d’œuvres de ceux que l’on appelle les « Caravaggeschi », ces artistes qui, au début du XVIIe siècle, ont participé à la reconfiguration complète de la représentation naturaliste de la réalité, affectant profondément l’histoire de l’art italien et européen. « L ’exposition Day for Night invite le visiteur à explorer la manière dont l’art contemporain peut devenir un outil de découverte et d’échange, jetant des ponts entre les diverses histoires et cultures et célébrant les infinies possibilités provoquées par ces rencontres », souligne Tony Salamé.

Pour mémoire

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L’exposition se déploie sur les trois étages du palais Barberini, reliés par le célèbre escalier hélicoïdal de Borromini. Elle occupe les douze pièces du rez-de-chaussée et se poursuit à travers les espaces les plus emblématiques du musée, y compris plusieurs salles monumentales de l’« étage noble », telles que l’atrium du Bernin, la salle de Marbre et l’atrium Borromini. Elle culmine dans les appartements privés d’Urbain VIII, l’« Appartamento Settecenttesco » où se trouve notamment une petite chapelle. Les œuvres présentées abordent toutes les techniques, supports et expressions, de la peinture au ready-made, de la sculpture à la vidéo.

Une œuvre emblématique de Nicole Eisenman à l’exposition « Day for night ». Courtoisie la Fondation Aïshti

Les chemins parallèles de la mode et de l’art

Considéré comme l’un des dix grands collectionneurs actuels d’art contemporain, Tony Salamé, connu comme le fondateur des magasins Aïshti, à Beyrouth, où se concentrent les principales marques de l’univers du luxe, a commencé à constituer sa collection il y a 25 ans. Une collection suffisamment significative pour justifier la création de la Fondation Aïshti à laquelle il consacre toute une aile d’un bâtiment iconique, au nord de Beyrouth, conçu par l’architecte britannique David Adjaye. Il confie que c’est un premier voyage en Italie, avec sa famille, à l’âge de 13 ans, qui lui a ouvert les yeux sur l’art, l’architecture et la mode. Une histoire de passion qui va lui permettre de nouer, à la faveur de son travail dans la mode, des amitiés indéfectibles dans le monde artistique, à commencer par celui qui sera un peu son mentor, Dino Facchini, fondateur du Byblos Art Hotel à Vérone et grand collectionneur d’Arte Povera, grâce à qui il acquiert ses premières toiles de Lucio Fontana. De marchands d’art comme Jeffrey Deitch, en commissaires de musées comme Massimiliano Gioni, en artistes inaccessibles comme pratiquement tous les artistes majeurs, il emprunte le chemin compliqué des collectionneurs éclectiques qui le fait courir d’un bout à l’autre du globe pour saisir une œuvre, toujours une pépite, qui manque à sa collection ou simplement à son cœur. La mode et l’art suivent des chemins parallèles qui ne manquent pas d’occasions de se croiser. Tony Salamé se dote d’ubiquité et bondit de l’un à l’autre avec persévérance et obstination, veillant à être, dans sa quête, le mieux accompagné qu’on puisse l’être.

Une œuvre de Nate Lowman d’après une représentation météorologique d’un cyclone. Courtoisie Fondation Aïshti

« Le Triomphe de la Divine Providence »

Cette exposition au palais Barberini permet de mesurer le chemin parcouru par Tony Salamé, d’un jeune commerçant de mode à une référence du monde de l’art. L’idée de l’exposition est partie d’une suggestion de Pepi Marchetti Franchi, la directrice fondatrice de la galerie Gagosian de Rome. Elle s’est développée avec l’aide de Flaminia Gennari Santori et du nouveau directeur de la Gallerie Nazionali di Arte Antica, Thomas Clément Salomon. L’accrochage, dans ce lieu historique, a nécessité plusieurs semaines. L’élévation et la suspension d’une toile de George Condo a requis à elle seule quatre heures de travail. Les murs du palais étant intouchables, il a fallu commander des panneaux géants tendus de tissu pour les masquer et suspendre les œuvres. Le cocktail de vernissage a eu lieu dans le grand salon du palais, sous la fabuleuse fresque en trompe-l’œil de Pierre de Cortone, Le Triomphe de la Divine Providence, une peinture tridimensionnelle qui représente une allégorie de l’histoire de la famille Barberini. Une « Sixtine » baroque et éminemment romaine.

De gauche à droite : Tony Salamé, Massimiliano Gioni, Flaminia Gennari Santori. Photo Alberto Novelli

L’œuvre inattendue

Le 13 avril, à la veille de l’ouverture au public, était donnée une réception féerique dans les salons de la villa Médicis qui abrite l’Académie de France à Rome. L’inscription sur le fronton laisse rêveur. On peut y lire « À Napoléon Bonaparte, les Arts reconnaissants ». Le décor plongé dans une fantasmagorie de fleurs géantes et de végétation surréaliste accentuait l’atmosphère onirique du moment. Dans son allocution, Massimiliano Gioni souligne n’avoir jamais vu, dans aucune grand-messe de l’art contemporain, une telle concentration de collectionneurs majeurs, de marchands d’art, de commissaires d’exposition et de directeurs de musée. Entre la poire et le fromage tombait une première alerte inquiétante : l’Iran attaque Israël. Violente intrusion de la réalité dans un moment et un cadre qui avaient semblé brièvement lui échapper. Un jour mortifère s’invite dans la soirée nimbée d’une douce lumière crépusculaire sous une lune en faucille d’or. Brusque télescopage des fuseaux horaires, de la panique et de la raison. Troisième Guerre mondiale ? Guerre des étoiles ? Fausse nouvelle ? Vraie-fausse nouvelle ? Vérité alternative ? Farce planétaire ? Tout à coup, le dîner tout entier venait s’ajouter comme une œuvre à part entière à la Nuit américaine. Comme une réponse, aussi, à la confusion des sens et aux infinies perceptions de la réalité.

Du 14 avril au 14 juillet, la Gallerie Nazionali di Arte Antica, en collaboration avec la Fondation Aïshti de Beyrouth, présente l’exposition « Day for night : New american realism », organisée par les curateurs Massimiliano Gioni et Flaminia Gennari Santori.D’abord la confrontation du passé et du présent. Une partie de la collection d’Elham et Tony Salamé d’art...

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