Alors que les cours mondiaux d’or ont récemment atteint leur plus haut niveau historique (dépassant mardi la barre des 2 260 dollars l’once), la question de la vente des réserves libanaises de ce matériau précieux revient sur le devant de la scène, tandis que le pays poursuit son délitement économico-financier depuis plus de quatre ans.
Avec 286,8 tonnes d’or de réserves, une quantité stable depuis des années, le Liban est le second plus grand détenteur d’or parmi les pays arabes et le 19e dans le monde. Alors que ce stock ne valait qu’environ 13,5 milliards de dollars fin 2019, l’actuelle hausse des cours internationaux l’a fait grimper à plus de 20,5 milliards de dollars.
Au début de la crise déjà, la vente d’une partie de ces réserves pour palier l’effondrement financier du Liban était envisagée. Aujourd’hui, grâce à cette hausse des cours de l’or, L’Orient-Le Jour s’interroge à nouveau : et si le Liban vendait son or ? Trois experts nous ont répondu.
Charbel Nahas, économiste, ancien ministre du Travail et des Télécoms et fondateur du parti politique Citoyens et citoyennes dans un État
Il serait criminel de confier à la bande de politiciens qui gouverne aujourd’hui le pays n’importe quelle ressource en espérant que cela pourrait avoir un effet positif sur l’économie nationale. Encore plus l’or, qui est désormais la seule richesse du pays et qui est considéré comme étant une valeur refuge à n’utiliser qu’en cas d’urgence. Bien que nous soyons en situation d’urgence depuis plusieurs années, vendre l’or, ou une partie, quelle que soit sa valeur, serait équivalent à priver un jour des personnes, capables d’effectuer un réel changement (pour le pays), des moyens dont ils auraient besoin.
En théorie, je ne suis pas contre la vente de l’or pour venir en aide à l’économie nationale. En revanche, je m’oppose à le faire au bénéfice de la classe politique actuelle, qui est incompétente, et qui a gaspillé 30 milliards de dollars (notamment à travers les politiques de subventions et de stabilisation du taux de change) après le déclenchement de la crise, sans obtenir des résultats concrets pour la relance de l’activité économique. Adoptée en 1986, dans un contexte de guerre, la loi n° 42 interdit d’ailleurs à quiconque de disposer directement ou indirectement de ces réserves en or, placées à la Banque du Liban et aux États-Unis, sans l’autorisation du Parlement.
Outre cette problématique, il faut encore s’assurer que les quantités de réserves d’or annoncées par la BDL sont correctes. Car tous les rapports d’audit de la banque centrale attestent que l’institution n’est pas en mesure de vérifier si l’or gardé dans des coffres-forts aux États-Unis existe dans les bonnes quantités et si le Liban peut en disposer librement.
Garbis Iradian, économiste en chef de l’Institut de la finance internationale (IFI) pour la zone MENA et Asie centrale
Il est grand temps que la BDL vende une partie des réserves d’or. Je suis pour cette solution depuis le début de la crise et, vu les cours mondiaux actuels, j’en suis encore plus convaincu. Pour cela, je pense que le Liban doit vendre au moins 50 % de ses réserves, ce qui devrait lui assurer plus de 10 milliards de dollars, qu’il distribuera ensuite aux petits déposants (moins de 100 000 dollars sur leurs comptes soumis aux restrictions bancaires). Une partie de cette somme devrait aussi être distribuée à la part de la population libanaise la plus pauvre, même si elle n'est pas bancarisée.
Bien évidemment, tout cela dépend des garde-fous et des mécanismes de surveillance mis en place pour s’assurer que les résultats voulus seront atteints. Pour qu’il n’y ait pas d’abus, il faut que cela se fasse en toute transparence, en se basant entre autres sur les listes des déposants dont disposent les banques. Il devrait aussi y avoir une sorte de système de contrôle pour s'assurer qu'aucun politicien ne puisse bénéficier du produit de la vente de l'or.
Cette solution sera bénéfique pour l’économie libanaise à plusieurs niveaux. Premièrement, cela permettra aux déposants de recevoir de l’argent et donc de le redépenser, ce qui fera redémarrer le cycle économique. Deuxièmement, cela fera circuler plus de dollars dans l’économie nationale, appréciant la livre libanaise sur le marché et augmentant le pouvoir d’achat de ceux qui en détiennent. J’estime également que cela fera baisser le taux de change de près des 90 000 LL/$ actuels à 70 000 LL/$ ou encore 60 000 LL/$.
Selon nos projections, le PIB du Liban vaudra, en 2024, 25,6 milliards de dollars. Aujourd’hui, le stock d’or dont dispose le pays représente 81 % de son PIB. C’est du jamais-vu ! Un pays n’a pas besoin d’avoir autant d’or en réserve. En ce qui concerne les pays qui en possèdent en bonne quantité, ce ratio se situe au maximum à 20 % – il est de 2,3 % pour les États-Unis et l’Afrique du Sud ; de 3,9 % pour la Turquie ; de 4,2 % pour l’Arabie saoudite ; de 6,5 % pour la France ; ou encore de 10 % pour la Russie.
Michel Santi, économiste expert en banques centrales et en marchés financiers
La vente des réserves d’or dont dispose le Liban représente une importante bouée de sauvetage pour le pays et ses effets sur la reprise économique pourraient être très importants. Mais une telle démarche ne peut être envisagée à la légère. Les sommes reçues par la BDL doivent être utilisées à bon escient. Il est hors de question que ces sommes servent à éponger une partie de la dette de la banque centrale ou du déficit libanais. La corruption est un autre obstacle à la vente du stock d’or, car la situation au Liban est telle que la moitié des sommes obtenues serait ruisselée dans d’autres canaux clientélistes.
Pour y remédier, il faudra mettre en place un organisme supranational, dans lequel les dirigeants libanais ne seront pas responsables de décider de la manière dont cette enveloppe sera dépensée. Aucune réforme ni solution ne doit dépendre de la classe politique actuelle.
Il faudra aussi en profiter pour complètement dollariser l’économie libanaise et créer un dollar numérique libanais (par exemple sous la forme d’une cryptomonnaie locale) afin d’éviter que les dollars obtenus ne ressortent immédiatement de l’économie nationale.
Compte tenu des cours de l’or actuels, je suis plus que jamais partisan de la vente des réserves d’or libanais, voire la vente de tout le stock, dont l’enveloppe totale récoltée serait presque équivalente au PIB du pays. En termes d’allocation finale, cette enveloppe devrait être utilisée, entre autres, pour relancer la consommation ; améliorer les infrastructures routières, hospitalières et sanitaires ; subventionner les secteurs de l’éducation et de la santé ; et repenser tout le secteur de l’électricité.
Mais tout cela ne pourra se faire qu’à deux conditions : que les autorités libanaises acceptent de ne pas avoir leur mot à dire ; et que les Libanais aient un minimum de civisme quant à l’utilisation de ces fonds.
commentaires (20)
Je suis partisane a vendre une partie de l’or qui sera essentiellement destine aux deposants mais pas avec la classe politique actuelle qui risque de le voler comme elle a vole toutes les ressources existantes .
Skaff Soumaya
11 h 41, le 07 avril 2024