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Économie - Grand angle

Les réserves d’or du Liban : ce bas de laine qui a survécu aux crises

Avec 286 tonnes inscrites sur son bilan financier, le Liban possède encore le deuxième plus grand stock de métal jaune de la région.

Les réserves d’or du Liban : ce bas de laine qui a survécu aux crises

La Banque impériale ottomane deviendra la Banque du Liban et de la Syrie, située rue Allenby à Beyrouth, où seront déposées les réserves d’or du pays avant leur transfert à la Banque du Liban en 1964. Photo tirée des archives de Salt Library

Depuis que la crise financière a commencé au Liban, il y a de cela près de trois ans, la vente ou la mise sous garantie des réserves d’or du pays font l’objet de nombreuses discussions dans le cadre des plans de relance de l’économie nationale. S’ils sont remis au goût du jour, ces débats ne sont toutefois pas inédits, d’autres ayant eu lieu lors de crises précédentes. Ils interrogent surtout sur la raison pour laquelle le Liban possède le deuxième plus grand stock d’or de la région, à hauteur de 286 tonnes équivalent à 9,22 millions d’onces troy (1 once = 31,1 grammes), dont environ 40 % sont stockés aux États-Unis.

En 1987, le Premier ministre Salim el-Hoss propose de vendre 20 % de l’or national pour relancer l’économie libanaise, comme l’indique ce titre de l’époque de « L’Orient-Le Jour ». Photo DR

Bretton Woods

L’achat de l’or est généralement attribué à l’ancien gouverneur de la Banque du Liban et futur président de la République Élias Sarkis. Pourtant, il s’agit là d’une fausse vérité. Bien que ce dernier soit effectivement responsable de l’acquisition d’une importante partie des réserves d’or, 59,6 % des quantités actuelles avaient été achetées avant qu’il ne prenne la tête de la banque centrale.

Déjà utilisé à l’époque des Ottomans et du mandat français, les traces de l’utilisation moderne de l’or par le Liban ne remontent qu’à la fin des années 1940. À l’époque, le Fonds monétaire international (FMI) cherchait à rattacher les valeurs des différentes monnaies mondiales au dollar à travers le système de Bretton Woods, en fonction duquel les dollars seraient convertibles en or, chaque once valant 35 dollars.

Le 14 avril 1947, le Liban intègre le FMI avec une quote-part de 4,5 millions de dollars entièrement payée en espèces, selon le rapport annuel du Fonds de cette même année. « Les responsables libanais ont invoqué des excuses culturelles et financières peu convaincantes pour retarder les envois d’or au FMI afin de se dérober de leur obligation de payer la quote-part d’or du Liban », explique pour sa part l’historien Hicham Safieddine. Un an plus tard, le Liban abandonne son union monétaire avec la Syrie à la suite de la signature de l’accord franco-libanais dans lequel il est indiqué que la livre libanaise ne sera plus équivalente ni interchangeable avec la livre syrienne et qu’elle ne sera plus soutenue par les réserves françaises. Cette décision est consécutive à la volatilité du franc français vis-à-vis du dollar américain, qui affectait la valeur de la livre.

Le Liban recentre alors sa politique monétaire sur un taux de change favorable avec le dollar américain. Pour ce faire, il adopte le 24 mai 1949 une loi en vertu de laquelle la valeur de la livre est équivalente à 405,512 milligrammes d’or. En plus, ce texte précise que toute monnaie en circulation doit être au moins garantie à 50 % par de l’or et des devises étrangères, le reste étant couvert par des obligations et des titres. Le décret 15105, publié quelques jours plus tard, souligne que cette part devrait être progressivement atteinte au cours des quatre années suivantes.

Pour mémoire

Les députés de la contestation proposent une loi pour protéger les réserves d’or de la BDL

À la fin de 1949, les réserves d’or du Liban atteignaient 620 000 onces troy, représentant une garantie de 25 %. Fin 1950, ce ratio atteignait 36 %. Ce n’est qu’en 1952 qu’il sera porté à 55 %, avec des réserves atteignant 870 000 onces troy. Trois ans plus tard, en 1955, le Liban garantissait sa monnaie à 95 % par ses réserves d’or, un ratio qui fluctuera entre 77 et 92 % au cours des années suivantes, alors qu’il continuera d’augmenter ses réserves pour faire face à la hausse du volume de monnaie en circulation, passé de 200 millions de livres en 1952 à 399 millions de livres en 1958, année où le Liban possède désormais 2,5 millions d’onces troy.

Pour s’approvisionner en or, le Liban s’est tourné vers les marchés locaux, américains, suisses ou britanniques et a eu recours à la vente de ses réserves de devise française. Au cours des dix ans suivant l’accord franco-libanais de 1948, le Liban a échangé 13 milliards de francs (110 millions de dollars à l’époque) de ses réserves contre 2,6 millions d’onces troy, soit 82 tonnes d’or, d’une valeur de 91,2 millions de dollars, selon les chiffres du FMI et de la Banque de Syrie et du Liban (BSL).

En parallèle, le Liban a également eu recours au moins une fois à une source financière improbable pour acheter une partie de son or : l’aide étrangère. Selon des documents du Congrès américain, le Liban, alors présidé par Fouad Chéhab, a utilisé une aide des États-Unis de 10 millions de dollars pour acheter l’équivalent en or auprès de la Réserve fédérale américaine.

Balance des paiements positive

À cette époque, et selon les chiffres des années 1950 de la Banque mondiale et les rapports des années 1960-1970 de la BDL, la balance des paiements du Liban était positive, malgré une balance commerciale négative. Cette balance des paiements positive a ainsi renforcé la capacité du pays à acquérir de l’or.

Le fait que les flux d’argent entrant au Liban en provenance de l’étranger étaient supérieurs à ceux qui en sortaient – contribuant à une balance des paiements positive – s’explique par la position de Beyrouth à l’époque en tant que centre financier, ainsi que par les envois de fonds des expatriés libanais et les frais de transit versés au Liban par les compagnies d’infrastructures pétrolières pour l’utilisation des ports et raffineries à Tripoli (Liban-Nord) et Saïda (Liban-Sud).

Durant les années 1950-1960, Beyrouth sert d’intermédiaire entre les marchés de l’or européen et asiatique, comme le montrent les chiffres du rapport annuel 1965 de la BDL qui indiquent qu’à partir de 1961, l’or constituait 20 à 30 % des importations du Liban. Mais si « l’or non monétaire (disponible sur le marché mais non détenu par la BDL, NDLR) entre légalement dans le pays, (…) la plupart de cet or sort ensuite du pays dans les vestes ou les bagages de “coursiers” sans que ces quantités exportées ne soient enregistrées dans les chiffres du commerce », peut-on lire dans un manuel déclassifié de la CIA sur le Liban, datant de 1971.

Signe des temps, cette situation est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles la banque soviétique Moscou-Narodny a choisi d’établir une succursale à Beyrouth pour « vendre de l’or soviétique sur le marché libre du Liban afin de financer les achats de blé auprès des États-Unis et du Canada », rapporte le New York Times en 1964, année au cours de laquelle la BDL prend les rênes de la gestion des finances du pays, remplaçant dans ce rôle la Banque de Syrie et du Liban, une banque française privée.

Lors de cette transition, l’or sera transféré du siège de la BSL, rue Allenby – où se trouvent aujourd’hui les salles de cinéma de Beirut Souks – au nouveau siège de la banque centrale à Hamra. Il est alors précieusement conservé derrière une porte de 17 tonnes dans une chambre forte souterraine dont les parois font 80 cm d’épaisseur, prétendument construite pour résister à une explosion nucléaire. Selon le rapport annuel de la BDL de 1965, trois ans avant qu’Élias Sarkis ne soit nommé gouverneur de la BDL, le Liban détenait environ 5,5 millions d’onces troy d’or.

Celles-ci ont permis au Liban de se prémunir contre les différents chocs qui auraient pu ébranler sa monnaie. Par exemple, à la suite du conflit de 1958, les réserves d’or, utilisées dans cet objectif, avaient diminué de 420 000 onces troy. L’année suivante, pour les reconstituer, le pays achetait 1,16 million d’onces troy. Cette situation sera répétée quelques années plus tard et à plusieurs reprises, en réaction à la faillite de la banque Intra en 1966, à la guerre israélo-arabe de 1967 et aux attaques israéliennes sur Beyrouth en 1968, année au cours de laquelle les réserves d’or atteignent 8,214 millions d’onces troy. Durant toute cette période, et malgré les nombreux événements, la livre est restée plutôt stable, avec un taux de change oscillant autour de 3 livres pour un dollar.

Le dernier achat d’or par le Liban remonte à 1971, portant ses réserves à 9,211 millions d’onces troy. Cette même année, le président américain Richard Nixon suspend temporairement la convertibilité en or du dollar, prévue par l’accord de Bretton Woods, avant d’y mettre un terme officiellement en 1973. Dès lors, la valeur d’une once n’étant plus ancrée à 35 dollars, le prix de l’or s’envole et la valeur des réserves d’or du Liban passe de 375 millions de dollars en 1971 à près de 1,5 milliard de dollars au début de la guerre civile libanaise en 1975.

Guerre de 1975-1990

Malgré ce conflit, la situation monétaire du Liban est restée dans un premier temps largement intacte. Un an après le déclenchement des combats, un mémo des services de renseignements américains relevait que le dollar s’échangeait toujours pour 2,7 livres et que la monnaie locale était toujours garantie à 80 % par l’or, dont « la majorité des stocks (sont) apparemment situés à l’étranger ». En 1979, le Liban a même réussi à accroître son stock d’or, à hauteur de 3 850 onces troy, en rachetant au FMI sa part de l’or distribué à ses membres.

Alors que la guerre civile entrait dans les années 1980, la balance des paiements du pays était encore positive. Dans un article du Financial Times daté d’août 1982, un banquier libanais anonyme attribue cette situation aux envois de fonds par la diaspora, ainsi qu’aux financements étrangers destinés à soutenir les milices impliquées dans la guerre. À cette époque, le prix de l’once d’or était passé de 160 dollars en 1975 à 376 dollars en 1982, portant la valeur totale des réserves d’or du Liban à près de 4 milliards de dollars.

Quand les marines américains se sont déployés au Liban, les discussions commençaient à évoquer la reconstruction du pays et la manière dont elle pourrait être financée. Les conférences régionale et internationale rassemblant plusieurs donateurs n’ont toutefois permis de lever que des sommes dérisoires par rapport à l’enveloppe totale de 13 milliards de dollars nécessaire pour la reconstruction.

Rapidement, l’attention se porte sur la façon dont l’or pourrait être mis à profit pour reconstruire le Liban. Toutefois, le gouverneur de la banque centrale de l’époque, Michel el-Khoury, s’y oppose. Selon une évaluation déclassifiée des services de renseignements américains, ce dernier a fait part à l’envoyé américain de sa réticence à dépenser les réserves d’or du pays pour la reconstruction « au motif que tout ce qui est reconstruit peut facilement être détruit dans une nouvelle série de combats ».

Comme prédit, les espoirs de paix ont vite été anéantis, alors qu’en parallèle la monnaie libanaise commençait à se déprécier par rapport au dollar américain, la balance des paiements devenant négative en 1983. Un phénomène que la BDL explique par la baisse des prix du pétrole, qui entraîne une diminution des envois de fonds, alors que la presse évoque aussi le départ de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) vers la Tunisie, réduisant le flux de fonds étrangers à destination du Liban.

Selon les chiffres de la BDL, la balance des paiements accusait un déficit de 533 millions de dollars en 1983, contre un excédent de 238 millions de dollars l’année précédente. Pour inverser cette tendance, la BDL commence alors à utiliser ses réserves de devises pour soutenir sa monnaie. Celles-ci, s’élevant à 2,6 milliards de dollars fin 1982, ont diminué de 613 millions de dollars « sous la double pression des demandes des banques et du secteur public », indique le rapport annuel de la banque centrale de 1983.

Craignant que l’or ne soit utilisé pour soutenir la livre et pour renforcer la confiance dans la monnaie, les députés adoptent, le 19 août 1986, une loi empêchant la banque centrale de puiser dans les réserves d’or sans l’autorisation du Parlement. Mais, en 1987, la monnaie locale continue de sombrer, s’échangeant à un taux de 17 livres pour un dollar en janvier, puis à 220 livres pour un dollar en août de cette même année. Pour essayer d’inverser cette situation, le Premier ministre de l’époque, Salim el-Hoss, propose de vendre 20 % de l’or pour soutenir la monnaie. Selon des propos qu’il a accordés à l’agence Associated Press, une telle mesure « nous assurerait quelque 800 millions de dollars (qui seront utilisés) pour un fonds spécial destiné à soutenir la livre libanaise ».

Cette proposition suscite l’opposition des experts, certains la décrivant comme inutile. Ces derniers observent que l’épuisement des réserves était principalement dû aux subventions sur le gaz et le blé, qui faisaient l’objet d’une contrebande en raison de la dépréciation de la monnaie nationale – un scénario qui n’est pas sans rappeler la crise actuelle et qui, comme aujourd’hui, nécessitait des réformes plus larges. Le président Amine Gemayel s’y était également opposé.

Selon un rapport du New York Times, la vente d’une partie de l’or dépendait de la formation d’un nouveau cabinet, qui n’a jamais eu lieu. Les réserves de devises étrangères avaient été largement épuisées pour tenter de maintenir la stabilité de la livre et n’atteignaient que 200 millions de dollars en 1987. Edmond Naïm, alors gouverneur de la BDL, déclarait à l’AP que cette situation « a dangereusement réduit la capacité de la banque centrale à soutenir la livre libanaise ».

À gauche, les réserves d’or sont conservées derrière une porte de 17 tonnes dans une chambre forte souterraine au siège de la BDL. À droite, la construction du siège de la BDL à Hamra entre 1962 et 1964. Photo tirée des archives de L’Orient-Le Jour

L’or déjà dépensé

Aujourd’hui, certains considèrent la vente d’or comme inévitable. Contacté par L’Orient Today, l’analyste financier Mike Azar a déclaré que, loi ou pas loi, l’or est théoriquement déjà dépensé. « In fine, la BDL et les ramifications politiques en son sein ont trouvé un moyen de contourner la loi et l’opinion publique. Bien sûr, la loi dit que l’or ne peut pas être utilisé de quelque manière que ce soit, poursuit-il, mais que se passe-t-il si vous contractez autant de dettes et subissez tant de pertes que vous devenez insolvable, et que tous vos actifs (dont l’or) deviennent nécessaires pour couvrir ces dettes ? » Les signes concernant l’utilisation de l’or sont évidents dans les plans de redressement successifs depuis 2020, ajoute-t-il.

« Tous les plans de redressement financier et les chiffres depuis 2020 ont assigné l’or à la couverture des pertes de la BDL », a-t-il précisé. Mike Azar indique ainsi que les pertes de plus de 60 milliards de dollars inscrites au bilan de la BDL « seraient plus élevées si l’or n’était pas pris en compte » et que, dans ce cas, il faudrait imposer aux gros déposants une « décote » (haircut) plus sévère que celle proposée actuellement.

Face aux tentatives de certains élus d’interdire la vente de l’or, l’analyste l’affirme : « Si les députés du changement ne veulent pas que l’or soit utilisé pour couvrir les pertes de la BDL, ils proposeraient une loi interdisant expressément que l’or soit utilisé de cette manière dans son bilan. Et ce, avec toutes les retombées que cela implique. »

Cet article a été originellement publié en anglais par « L’Orient Today » le mercredi 20 juillet 2022.

Depuis que la crise financière a commencé au Liban, il y a de cela près de trois ans, la vente ou la mise sous garantie des réserves d’or du pays font l’objet de nombreuses discussions dans le cadre des plans de relance de l’économie nationale. S’ils sont remis au goût du jour, ces débats ne sont toutefois pas inédits, d’autres ayant eu lieu lors de crises précédentes. Ils...

commentaires (4)

Très bel article… un peu d’histoire ne fait pas de mal. Ça permet de voir l’énorme décalage de valeurs et de compétences entre les précédents dirigeants et les actuels !! Oui, la neutralité du Liban proposée par le patriarche Rai serait peut-être le moyen de “neutraliser” ou au moins de limiter la casse causée par les gens du pouvoir. Que le Bon Dieu nous vienne en aide !

Joseph KHOURY

09 h 10, le 26 juillet 2022

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Commentaires (4)

  • Très bel article… un peu d’histoire ne fait pas de mal. Ça permet de voir l’énorme décalage de valeurs et de compétences entre les précédents dirigeants et les actuels !! Oui, la neutralité du Liban proposée par le patriarche Rai serait peut-être le moyen de “neutraliser” ou au moins de limiter la casse causée par les gens du pouvoir. Que le Bon Dieu nous vienne en aide !

    Joseph KHOURY

    09 h 10, le 26 juillet 2022

  • Un tres bel article qui fait la lumiere sur la thesauisation promue par nos gouvernants d'antan.Ils ont fait preuve de perspicacite et de vision. A en juger ou nous en sommes en ce moment, on realise que ce que le pays vit est ininimaginable et inconcevable;Mais ou nous ont ils menes ces politiciens et banquiers de puis 1990 a ce jour; un crime contre la nation, impardonnable.De la gloire a la decheance,de la prosperite a la misere.Il est temps que les choses changent au Liban , le Liban est moribond mais il ne mourra pas, esperons qu'une nouvelle figure, non traditionnelle , sera elue a la tete de l'etat, et qu'elle puisse remettre le pays sur les rails ;Sans toutefois connaitre sa beatitude le Patriarche Rahi, c'est l'une des rares figures libanaises qui dit clairement ce qui a besoin d'etre fait.Il a besoin du soutien de tous ceux qui souhaitent revoir un merveilleux liban.

    Antoine Albert Najjar

    15 h 42, le 22 juillet 2022

  • Are you sure? Comment peut on affirmer que le pactole est intacte alors que personne n’a vu la couleur? Ce sera comme la bonne santé économique du pays que son gouverneur de banque n’a cessé de vanter alors que les caisses se vider à vue d’œil par ses soins pour alimenter sa mafia moyennant commissions au passage de chaque milliard.

    Sissi zayyat

    11 h 59, le 22 juillet 2022

  • Qu’est ce que cet article apporte comme information nouvelle? Ou bien il est destiné à étaler les connaissances de son auteur ! Je rappelle que la culture c’est comme la confiture, moins on en a plus on l’étale

    Lecteur excédé par la censure

    08 h 57, le 22 juillet 2022

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