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Société - Magistrature

Un organe du Conseil de l’Europe épingle un projet de réforme de la justice administrative au Liban

La Commission de Venise critique les pouvoirs « étendus » de «  juge suprême » accordés au président du Conseil d’État par une proposition de loi qui lui a été soumise.

Un organe du Conseil de l’Europe épingle un projet de réforme de la justice administrative au Liban

Une photo illustrant la Commission de Venise, publiée sur le site du Conseil de l'Europe, le 19 décembre 2023.

La Commission européenne pour la démocratie par le droit, plus connue sous le nom de Commission de Venise, a publié la semaine dernière ses remarques sur une proposition de loi que lui avait communiquée le ministre sortant de la Justice, Henri Khoury, en juin 2023.

L’organisme européen, dont la mission est d’aider les États à mettre leurs structures juridiques et institutions en conformité avec les normes internationales, a ainsi affirmé que le texte proposé, en juillet 2021, par le président de la Commission parlementaire de l’administration et de la justice (CAJ), Georges Adouane, favorise « une influence prépondérante » du président du Conseil d'État (CE) sur la justice administrative, ce qui constitue « une source de préoccupation » quant à l'indépendance de la justice.


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Tout en saluant la création d’un Conseil supérieur de la magistrature administrative composé de dix membres « pour améliorer l’indépendance de la justice administrative », en remplacement de l’actuel bureau du Conseil d’État qui en comporte sept, la commission met en garde contre « l’accumulation » de « pouvoirs considérables » accordés au président du CE, notamment aux plans administratif et disciplinaire. Il est « un juge suprême », peut-on lire dans le document publié par la Commission de Venise, qui met en garde contre « l’établissement d’un système fermé ».

Interrogé par L’Orient-Le Jour, le directeur de Legal Agenda, Nizar Saghiyé, critique dans ce sillage « les pouvoirs amplifiés » du président du CE. « Tout renforcement de son autorité hiérarchique signifie, concrètement, permettre au pouvoir exécutif de dominer le pouvoir judiciaire administratif à travers un seul homme », avertit-il.

Influence décisive

La Commission de Venise note que le texte proposé par la CAJ édicte la désignation par décret pris en Conseil des ministres, sur proposition du ministre de la Justice, de trois membres du Conseil supérieur de la magistrature administrative, en l’occurrence le président du Conseil d’État, le commissaire du gouvernement auprès du Conseil d’État, et le chef de l’Inspection judiciaire. Au sujet de la présidence du Conseil supérieur, Me Saghiyé affirme que son cabinet avait préparé une proposition de loi, présentée en mars 2021 par le député Oussama Saad, dans laquelle il suggère que tous les juges du Conseil d’État élisent trois magistrats parmi lesquels le pouvoir exécutif en choisirait un à la tête de l’instance.

La proposition de loi examinée par la Commission de Venise donne en outre au président du Conseil d’État le pouvoir de nommer cinq membres du Conseil supérieur de la magistrature administrative, tandis que seuls deux membres restants sont élus par leurs pairs. Une telle répartition favorise « une influence décisive » du pouvoir exécutif sur le choix des magistrats, note l’organisme européen, pour lequel au moins cinq membres devraient pouvoir être élus par les juges du CE, « dans le respect du pluralisme et de la représentation équitable ». « Quel que soit le modèle choisi, la nomination des juges doit être un processus fondé sur le mérite », ajoute le document, soulignant que « les considérations politiques ne doivent pas prévaloir ».

Clientélisme

À l’opposé, l’idée d’une élection de plus de deux membres est réfutée par un magistrat du Conseil d'État, interrogé par notre journal. « Permettre une large élection ouvre la voie au clientélisme et au confessionnalisme », avance-t-il sous couvert d'anonymat, estimant que « les candidats seraient préoccupés par leurs campagnes et le souci de plaire à leurs confrères plutôt que de se concentrer sur leur travail ».

À la critique faite par la Commission de Venise de la désignation de cinq membres par le président du CE, ce juge administratif rétorque que celle-ci n’a lieu qu’après que des commissions d’évaluation des magistrats présentent au CE les trois juges les mieux « côtés » dans chaque confession, pour briguer ces postes. Le président du CE fait alors parvenir au ministre de la Justice les noms sélectionnés, parmi lesquels ce dernier choisira les cinq membres, qui seront alors nommés en Conseil des ministres.

L'organisme européen déplore, sur un autre plan que, dans la loi proposée, le président du Conseil supérieur de la magistrature administrative intervient dans les différentes étapes des procédures disciplinaires des magistrats et préside le Conseil supérieur de discipline, qui statue sur les recours contre les décisions du conseil disciplinaire. Le juge précité riposte en se demandant « qui d’autre que le président du Conseil d’État devrait se trouver à la tête du Conseil supérieur ».

Or pour la Commission de Venise « les procédures disciplinaires à l'égard des juges devraient être conduites par une autorité indépendante ». « Une telle autorité serait compétente en appel », explicite Nizar Saghiyé, suggérant que « les juges qui la composent soient différents de ceux du Conseil supérieur de la magistrature administrative qui statuent au 1er degré ».

Le secret des procès

Quant à la mention faite dans le document européen sur le pouvoir du président du CE d’« approuver l'arrestation d'un juge administratif pour un crime ou un délit », le juge interrogé la réfute. « Le texte de loi proposé prévoit de déférer les infractions d’un magistrat à l’Inspection judiciaire ou au ministère de la Justice », soutient-il.

Un autre élément critiqué par la Commission de Venise est le caractère « secret » du procès devant le Conseil de discipline. Elle le juge problématique car « les audiences ne doivent être tenues à huis clos qu'exceptionnellement, dans les circonstances prévues par la loi », telles que « l’atteinte à l'ordre public, à la vie privée, et aux intérêts de la justice ».

Sur un autre plan, la Commission de Venise reproche à la loi proposée de permettre à un magistrat d'accomplir des tâches dans les administrations publiques. Elle estime que cette affectation viole notamment les principes d’indépendance du juge et de séparation des pouvoirs.

Autre source de critique : le texte soumis à la Commission de Venise permet la mutation d’un magistrat sans son consentement. « Or un juge ne peut être transféré à un autre poste sans qu’il consente, sauf en cas de sanctions disciplinaires ou de réforme du système judiciaire », insiste l’organisme européen.

Enfin, si la Commission de Venise salue la création de tribunaux administratifs prévue dans chacun des neuf mohafazats, elle doute que leur mise sur pied soit possible à court terme, au vu notamment de « manque de fonds, d'infrastructures appropriées, et d'effectifs de juges ».

La Commission européenne pour la démocratie par le droit, plus connue sous le nom de Commission de Venise, a publié la semaine dernière ses remarques sur une proposition de loi que lui avait communiquée le ministre sortant de la Justice, Henri Khoury, en juin 2023.L’organisme européen, dont la mission est d’aider les États à mettre leurs structures juridiques et institutions en...

commentaires (1)

De quel droit un organisme européen dont les Européens eux-mêmes ignorent l'existence peut il se permettre de donner son avis sur les institutions libanaises !

Yves Gautron

18 h 16, le 27 mars 2024

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Commentaires (1)

  • De quel droit un organisme européen dont les Européens eux-mêmes ignorent l'existence peut il se permettre de donner son avis sur les institutions libanaises !

    Yves Gautron

    18 h 16, le 27 mars 2024

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